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La Joconde révèle son spolvero

La Joconde révèle son spolvero

17.09.2020, par
Déjà révélé sur d'autres tableaux de Léonard, le noir de fumée typique du spolvero n'avait jamais pu être mis en évidence sur La Joconde.
La Joconde n’aurait pas été tracée à main levée sur le tableau – du moins pas entièrement. Une analyse multispectrale de longue haleine révèle que Léonard De Vinci a utilisé le « spolvero » pour réaliser son célèbre portrait, une technique très prisée à la Renaissance pour transférer un dessin préparatoire sur le support définitif.

C’est un tableau dont on pensait avoir percé tous les mystères. La Joconde vient pourtant de révéler un nouveau secret, grâce à une longue et minutieuse analyse multispectrale : un spolvero – un tracé de points réalisé au noir de fumée –, est dissimulé sous la couche de peinture du célèbre portrait de Léonard de Vinci. « Le spolvero est une technique de transfert de dessin très utilisée à la Renaissance. Elle a d’ailleurs été révélée sur d’autres tableaux de Léonard, comme La Dame à l’hermine. Mais elle n’avait jamais pu être mise en évidence sur La Joconde », explique Lionel Simonot, spécialiste des propriétés optiques des matériaux à l’Institut Pprime, qui cosigne avec Pascal Cotte, ingénieur, l’article qui paraît ces jours-ci dans Cultural Heritage1.

Un astucieux procédé de décalque

Concrètement, le spolvero consiste à transférer le dessin préparatoire sur le support définitif – une planche de bois préparée – grâce à un astucieux procédé de décalque. Une feuille est glissée sous le carton où a été tracé le dessin, et le tout est posé sur un support mou ; grâce à une aiguille, des petits trous sont percés tout le long du tracé ; la feuille ainsi perforée est ensuite placée sur la planche de bois et frottée avec du noir de fumée pour y imprimer le tracé en pointillé. « C’est très utile pour les portraits, notamment pour reproduire la position des mains, si particulière à chaque individu », explique Pascal Cotte, qui a mis au point au début des années 2000 la caméra multispectrale utilisée sur La Joconde. La technique du spolvero présente d’autres avantages : elle facilite le travail en atelier – on sait que les grands maîtres de la peinture travaillaient rarement seuls –, et permet de reproduire à l’envi les œuvres, dans les cas de commandes multiples.
 

Technique du spolvero : la feuille perforée en suivant le tracé du dessin préparatoire est placée sur la planche de bois et frottée avec du noir de fumée.
Technique du spolvero : la feuille perforée en suivant le tracé du dessin préparatoire est placée sur la planche de bois et frottée avec du noir de fumée.

« Lorsque j’ai fait les images de Mona Lisa en 2004, à la demande du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), il n’était pas question de spolvero, en réalité. Le C2RMF souhaitait avant toute chose faire une mesure précise des couleurs et connaître la signature spectrale des pigments employés par Léonard », raconte Pascal Cotte. Initialement développées pour le spatial et la télédétection, les caméras multispectrales analysent la lumière réfléchie par les objets pour en déterminer la nature ; appliquées au monde de l’art, elles offrent la possibilité de caractériser en chaque point d’un tableau le mélange de pigments utilisés.

Au cœur de la couche picturale

Prises de vue de la Joconde avec la caméra multispectrale développée par Pascal Cotte.
Prises de vue de la Joconde avec la caméra multispectrale développée par Pascal Cotte.

« Treize images de La Joconde ont ainsi été capturées par la caméra multispectrale, dans treize longueurs d’onde différentes : dix dans le visible, et trois dans le proche infrarouge. Un procédé sophistiqué de traitement des images multispectrales, le LAM (pour Layer Amplification Method), a ensuite été appliqué. En exploitant les propriétés de diffusion de la lumière dans la couche picturale, il a permis de calculer et restituer toutes les images intermédiaires, soit 1 650 clichés au total », détaille Lionel Simonot.

 

Treize images de La Joconde ont été capturées, dans treize longueurs d’onde différentes. Leur traitement a permis de calculer et restituer toutes les «couches» intermédiaires, soit 1 650 clichés au total.

La Joconde a ensuite été « déshabillée » image par image, couche par couche pourrait-on dire, et ce pour chaque zone du tableau : les yeux, la bouche, les mains, les plis de l’habit, etc… « Il a fallu analyser une à une les images créées par les pénétrations différentes de la lumière dans la couche picturale, et ce jusqu’à épuisement des 1 650 images », poursuit Pascal Cotte. La même opération a été répétée zone par zone, sachant que la pénétration de la lumière peut varier d’une zone à l’autre et d’un mélange de pigments à l’autre.
 

Un travail de fourmi qui a entraîné le passionné d’ingénierie à poursuivre ses recherches bien au-delà de sa mission initiale de caractérisation des couleurs…, jusqu’à ce jour de 2015 où il a vu apparaître les points noirs caractéristiques du spolvero. « Cela a été une grande émotion. J’ai dû montrer les images à plusieurs personnes pour me convaincre que je ne rêvais pas ! », raconte Pascal Cotte. « Le résultat est incontestable, confirme Lionel Simonot. Il est d’autant plus surprenant que plusieurs types d’infrarouges avaient été utilisés par le passé pour détecter les dessins sous-jacents de La Joconde, avec la technique déjà éprouvée de réflectographie infrarouge. »

Du spolvero sur les mains et le front

En plus des spolvero sur les mains et le front, un dernier détail - une aiguille à cheveux ? - a été repéré près de la tête de La Joconde.
En plus des spolvero sur les mains et le front, un dernier détail - une aiguille à cheveux ? - a été repéré près de la tête de La Joconde.

Plus précisément, le spolvero de La Joconde est visible en deux points du tableau : à la jointure des mains, et sur le haut du front, où les points de spolvero ont été reliés entre eux et dessinent une bordure.
 

Sur le front, le spolvero ne correspond pas à la Mona Lisa que l'on connaît : dans le projet initial, le visage de La Joconde était davantage orienté vers la droite.

« Concernant les mains, la peinture finale reprend le dessin préparatoire des points de spolvero, précise Lionel Simonot. Sur le front, en revanche, on peut voir que le spolvero (les points ont ici été reliés entre eux, Ndlr) ne correspond pas à la démarcation du front et du voile de la Mona Lisa que l’on connaît : il est clairement décalé vers le côté gauche du tableau. Cela signifie que dans le projet initial de Léonard de Vinci, le visage de la Joconde était orienté davantage vers la droite. »
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La détection de spolvero sur d’autres zones plus sombres du tableau n’a pas été possible, la technique LAM se révélant moins performante quand la couche picturale est très absorbante. L’analyse multispectrale a en revanche fait apparaître un ultime détail tracé à main levée avec du noir de charbon et dissimulé sous la couche picturale : situé légèrement à droite de la tête, un petit dessin ressemblant à une tête d’aiguille à cheveux semblait faire partie du dessein initial, mais n’a vraisemblablement pas été retenu par Léonard. Était-ce l’esquisse d’une coiffure différente pour la Joconde, ou les traces d’un tout autre projet ? Ce mystère-là reste pour l’instant entier. ♦

 

Notes
  • 1. "Mona Lisa’s spolvero revealed", Journal of Cultural Heritage, août 2020.