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L’Afrique, berceau du genre Homo

L’Afrique, berceau du genre Homo

28.07.2025, par
Temps de lecture : 11 minutes
Reconstitution d’un Homo ergaster, « Turkana Boy » par Elisabeth Daynes.
Reconstitution du spécimen d’Homo ergaster surnommé Turkana Boy.
Série d’été « Homo avant Sapiens » 2/6 – Il y a environ 7 millions d’années, en Afrique, la lignée humaine se serait séparée de celle des chimpanzés. Mais que sait-on de l’émergence du genre Homo, de son évolution et de ses migrations avant l’apparition de Sapiens ?

Cet article est paru à l'origine dans la revue Carnets de science n° 17

D’où venons-nous ? Pour répondre à cette grande question, il est crucial de comprendre les débuts du genre Homo, auquel appartient notre propre espèce, Homo sapiens, mais aussi plusieurs autres aujourd’hui toutes éteintes. Malgré les données accumulées ces dernières années, l’histoire de nos origines reste parsemée de nombreuses zones d’ombre. Cela dit, les paléoanthropologues ont déjà plusieurs éléments de réponse intéressants.

Tout aurait commencé en Afrique de l’Est, où le genre Homo serait apparu il y a plus de 2,8 millions d’années. C’est en tout cas ce que suggère le plus ancien reste attribué au genre Homo à ce jour, une mandibule trouvée en 2013 dans la région Afar, en Éthiopie. L’identité de notre plus ancien ancêtre n’est pas encore connue avec certitude. Cela dit, « le plus probable est qu’il s’agissait d’un Australopithèque1. Et plus précisément, un Australopithecus afarensis, une espèce qui a vécu en Afrique de l’Est il y a entre 3,9 et 2,9 millions d’années et à laquelle appartenait le spécimen fossile Lucy », indique Amélie Beaudet, qui travaille sur l’ancêtre d’Homo au laboratoire Paléontologie, évolution, paléoécosystèmes, paléoprimatologie (Palevoprim)2, à Poitiers.

Crâne et mandibule d’un Homo habilis sur fond noir.
Crâne et mandibule d’un Homo habilis. Fossiles découverts à Olduvaï (Tanzanie) et datés à 1,75 million d’années.
Crâne et mandibule d’un Homo habilis sur fond noir.
Crâne et mandibule d’un Homo habilis. Fossiles découverts à Olduvaï (Tanzanie) et datés à 1,75 million d’années.

Les premières étapes de l’évolution d’Homo restent entourées de beaucoup de mystères. Et pour cause : « Le registre de fossiles Homo datant d’avant 2 millions d’années, indispensable à la description des premiers humains d’alors, est très fragmentaire, composé seulement de quelques éléments dentaires », indique Jean-Renaud Boisserie, qui étudie la période d’émergence d’Homo au Centre français des études éthiopiennes3, à Addis Abeba, en Éthiopie. En revanche, l’évolution d’Homo après 2 millions d’années est, elle, mieux documentée.

Trois espèces humaines et une Terre

Plusieurs fossiles, tous mis au jour le long de la vallée du Rift (Éthiopie, Kenya, Tanzanie, Malawi) et en Afrique du Sud, ont permis de distinguer trois espèces anciennes : Homo habilis (littéralement « l’homme habile », en référence à ses capacités manuelles), Homo rudolfensis (de « Rudolf », ancien nom du lac Turkana, au Kenya, où ses premiers fossiles ont été découverts) et Homo ergaster (« l’homme artisan », car inventeur d’un outil plus complexe, le biface). Respectivement, ces espèces auraient vécu en Afrique de l’Est il y a entre 2,4 et 1,65 million d’années, 2,45 et 1,8 million d’années, et 1,9 et 1,45 million d’années.

Ainsi, « alors que depuis 40 000 ans Homo sapiens est la seule espèce Homo à évoluer sur Terre, aux premiers temps de notre lignée, trois espèces apparentées auraient coexisté en Afrique de l’Est pendant près de 100 000 ans », relève Sandrine Prat, paléoanthropologue au laboratoire Histoire naturelle de l’homme préhistorique4, à Paris.

Certains chercheurs distinguent une quatrième espèce ancienne potentielle : Homo erectus (« l’homme redressé », car longtemps considéré, à tort, comme la plus ancienne forme d’hominine capable de se tenir debout). Mais « il pourrait s’agir de la même espèce qu’Homo ergaster. Lequel serait en fait une version africaine et plus ancienne d’Homo erectus, dont le fossile le plus ancien, vieux de plus de 1,5 million d’années, a été découvert en Asie », précise Jean-Renaud Boisserie.

Une évolution buissonnante

Comparés aux Australopithèques et aux paranthropes – genre contemporain des premiers représentants du genre Homo –, « ces premiers humains présentaient une plus grande capacité crânienne (de 500 à plus de 850 cm3), un front bombé, une face moins inclinée vers l’avant, une mâchoire en “V” et non en “U”, un menton débutant et des molaires et prémolaires plus petites. Ces différences étant plus marquées chez l’espèce la plus récente, Homo ergaster », décrit Sandrine Prat.

Ensuite, « Homo habilis avait une morphologie très proche de celle des Australopithèques, avec des bras relativement longs par rapport aux jambes reflétant une bipédie non stricte, permettant encore de grimper aux arbres. Alors que Homo ergaster avait, lui, des proportions similaires à Sapiens, témoignant d’une bipédie stricte ». Cette dernière différence explique pourquoi « certains chercheurs placent Habilis et Rudolfensis parmi les Australopithecus et font débuter le genre Homo seulement à partir d’Ergaster », précise Jean-Renaud Boisserie.

Reconstitution d’un Homo habilis femelle, accroupie et tenant un caillou taillé
Reconstitution d’un Homo habilis femelle qui vivait il y a environ 1,9 million d’années. Réalisée d’après le moulage d’un crâne daté de 1,9 million d’années, découvert à Koobi Fora (Kenya).
Reconstitution d’un Homo habilis femelle, accroupie et tenant un caillou taillé
Reconstitution d’un Homo habilis femelle qui vivait il y a environ 1,9 million d’années. Réalisée d’après le moulage d’un crâne daté de 1,9 million d’années, découvert à Koobi Fora (Kenya).

Comment sont apparues les premières espèces Homo ? Pendant longtemps, les chercheurs ont eu une vision très linéaire de l’évolution de ce genre, avec une accumulation de changements anatomiques qui auraient mené des Australopithecus afarensis à Homo habilis, puis Erectus et enfin à Sapiens. Mais lors de travaux publiés en 20215, Sandrine Prat et ses collègues ont analysé numériquement des caractères anatomiques du crâne de 22 espèces d’hominines. Finalement, ils ont montré que cette évolution est en fait de nature buissonnante, avec de nombreuses branches, où chacune représente une espèce et où chaque nœud correspond à un ancêtre commun.

« En effet, les espèces du genre Homo ne se seraient pas succédé les unes après les autres mais auraient coexisté. Cela après s’être diversifiées par hybridation – donc par transfert de gènes – entre différentes populations au sein du genre Homo. Dite “réticulée”, cette évolution explique mieux la grande diversité des espèces fossiles du genre Homo », développe la paléoanthropologue.

Au laboratoire Histoire naturelle de l’homme préhistorique, Aurélien Mounier et Hugo Hautavoine, doctorant, ont mené, eux, une recherche6 qui a porté sur la période « juste » avant l’apparition d’Homo sapiens : le Pléistocène moyen (774 000-129 000 ans). Après comparaison informatique de neurocrânes (crânes sans face ni mandibule) d’une quinzaine de spécimens africains et eurasiatiques de cette époque, les chercheurs ont observé que quatre, trouvés en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud, présentaient de fortes similitudes avec Sapiens. D’où l’hypothèse que « ces spécimens appartenaient sûrement à des populations très proches de Sapiens et que, potentiellement, celui-ci serait né de la rencontre et de l’hybridation de celles-ci », explique Hugo Hautavoine.

Vagues de peuplement

Quoi qu’il en soit, un point fait consensus : les premiers humains à s’être aventurés hors d’Afrique ne sont pas des Sapiens. « Il est désormais bien admis que plusieurs déplacements humains ont eu lieu d’Afrique vers l’Eurasie, avant les premiers réalisés par Homo sapiens il y a plus de 150 000 ans », développe Sandrine Prat, auteure d’un article qui a fait le point sur ce sujet7. Souvent ces migrations sont qualifiées de sorties d’Afrique, une adaptation de l’expression anglo-saxonne out of Africa utilisée pour les désigner.

carte Expansion géographique humaine
Expansion géographique humaine il y a plus de 1 million d'années : les itinéraires supposés des migrations hors d’Afrique des espèces humaines antérieures à 1 million d’années.
carte Expansion géographique humaine
Expansion géographique humaine il y a plus de 1 million d'années : les itinéraires supposés des migrations hors d’Afrique des espèces humaines antérieures à 1 million d’années.

Cependant, « que ce soit l’une ou l’autre, ces deux expressions laissent penser que les humains ont déserté l’Afrique à ce moment. Expansions ou dispersions hors d’Afrique sont bien plus fidèles à la réalité scientifique : celle d’une évolution continue des humains en Afrique qui lance périodiquement des vagues de peuplement vers l’Eurasie », fait remarquer Jean-Renaud Boisserie.

Les premières dispersions hors du berceau originel seraient survenues il y a plus de 2 millions d’années (voir carte ci-dessus). En effet, les plus anciens fossiles d’Homo mis au jour hors d’Afrique (des squelettes de cinq dindividus découverts sur le site de Dmanissi en Géorgie, datés de 1,77 million d’années), attestent d’une présence humaine dans cette région au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie, dès cette période. Des outils découverts à Shangchen, en Chine et décrits en 20188, font, eux, remonter la présence humaine en Asie à encore plus loin : 2,12 millions d’années !

Mais impossible de déterminer avec certitude qui d’Habilis ou d’Ergaster a été la première espèce à s’aventurer au-delà des frontières africaines… « L’analyse des plus anciens ossements d’Homo trouvés hors d’Afrique – ceux du site géorgien de Dmanissi – montre que ces individus avaient des caractères similaires à ceux d’ Homo habilis et d’autres proches de ceux d’Homo ergaster. Donc difficile de trancher », explique Sandrine Prat.

Moulages de mandibules alignées sur un fond noir
Moulages de mandibules, depuis l’Australopithèque, à gauche, jusqu’à l’Homo sapiens (à droite).
Moulages de mandibules alignées sur un fond noir
Moulages de mandibules, depuis l’Australopithèque, à gauche, jusqu’à l’Homo sapiens (à droite).

Traversées terrestres

Quant aux raisons de ces migrations, elles restent débattues. Certains chercheurs pointent des changements climatiques qui auraient poussé à aller plus loin au Nord ; d’autres, une augmentation de la taille corporelle et du volume cérébral, ou une modification des techniques de fabrication d’outils, qui auraient permis d’explorer d’autres régions. Mais aucune de ces hypothèses n’est validée par le registre fossile.

« Il n’y a sûrement aucune cause particulière à cette dispersion hors d’Afrique : elle est sans doute le fait de simples mouvements aléatoires d’humains chasseurs-cueilleurs, dirigés par la nécessité de trouver de quoi s’alimenter avec, par exemple, des déplacements de 10 km à chaque génération... jusqu’à franchir des frontières invisibles », analyse Sandrine Prat.

Pour rejoindre l’Eurasie, ces migrants de la première heure ont pu emprunter trois voies : le corridor levantin, une bande de terre située au niveau des actuelles Égypte, Israël et Palestine ; le détroit de Bab-al-Mandeb, un bras de mer de 30 km qui sépare l’Afrique de la péninsule Arabique ; ou enfin le détroit de Gibraltar, qui sépare de 14 km l’Afrique du Nord de l’Europe.

Carte de l’Afrique où sont localisés des fossiles africains exceptionnels de plus de 1,5 million d’années.
Carte de l’Afrique où sont localisés des fossiles africains exceptionnels de plus de 1,5 million d’années.

« La première option est la plus plausible, car sans doute la plus simple à l’époque. Les deux autres impliquaient de traverser des bras de mer qui, certes, ne sont pas larges, mais qui étaient soumis à de forts courants », observe Sandrine Prat. Selon elle – et la plupart des experts dans ce domaine –, le scénario le plus probable est que ces premiers humains ont rejoint l’Eurasie en passant par le couloir levantin, puis la Turquie et la Géorgie. Ils auraient ensuite continué vers l’est, vers l’Asie. Et ce n’est qu’environ 400 000 ans plus tard que certains groupes auraient commencé à se diriger vers l’Europe de l’Ouest. ♦

Série d’été « Homo avant Sapiens »
Les Dénisoviens, la lignée fantôme (1/6) 

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Notes

Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.