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Pied gauche, pied droit. Et puis on recommence. Marcher en mode bipède - sur deux pieds donc - est une caractéristique fondamentale de l’être humain. Nous sommes les seuls primates à marcher, quasi-exclusivement, en bipédie.
Ce moyen de locomotion est tellement spécifique à l’être humain, que son émergence au cours de l’évolution sous sa forme habituelle reste une question centrale pour les scientifiques qui étudient les origines d’Homo sapiens.
Bien loin de l’image célèbre - et tellement cliché - de la marche du progrès, les découvertes de ces dernières décennies témoignent plutôt d’une évolution qui n’est pas linéaire mais buissonnante - avec plusieurs espèces différentes d’hominidés existant pour certaines, à la même époque.
Gilles Berillon, paléoanthropologue
Depuis six, sept millions d’années, il a existé une très grande diversité d’espèces d’hominines. Suffisamment distinctes les unes des autres pour que justement on puisse les distinguer comme des espèces différentes. (...) Et quand on regarde la morphologie de l’appareil locomoteur de ces espèces là, on s’aperçoit qu’elles diffèrent les unes par rapport aux autres. Or, dans l’ensemble, elles ont une architecture qui est compatible mécaniquement avec l’équilibre bipède. Donc ils font la bipédie. Mais comme, dans les détails, c’est pas tout à fait la même chose, on peut supposer - enfin c’est l’hypothèse que l’on formule - que ces espèces ont pu pratiquer des formes de bipédie distinctes.
Comment marchaient nos ancêtres hominines ? Et comment le savoir ? Gilles Berillon et son équipe ont monté un projet de recherche mêlant paléo-anthropologie, anatomie et biomécanique comparée et simulation informatique.
Le but : créer un simulateur de marche bipède qui permettra de déduire la locomotion de l’individu, à partir du modèle 3D de son squelette.
L’équipe a commencé à travailler sur l’humain.
Nous sommes dans le gymnase instrumenté de l’ENS de Rennes qui permet d’étudier le mouvement - ici, la marche. La locomotion de cette etudiante, peut ainsi être modélisée , mise en équations, grâce aux marqueurs collés à sa peau et dont la position dans l’espace est enregistrée par un système de caméras infra-rouges installés tout autour de la pièce.
Franck Multon, biomécanicien, informaticien
On peut mesurer tout un tas d’informations - des angles au cours du temps au niveau des articulations, on peut mesurer aussi les vitesses, on peut mesurer les accélérations, et avec les plateformes de forces qui sont au sol, on mesure les forces de réaction du sol, les centres de pression.
Toutes ces informations permettent de décrire avec des équations et des valeurs, le cycle locomoteur de l’individu.
Ces données expérimentales servent également de premier test pour le simulateur de la bipédie. Pour que l’outil informatique en cours de développement soit valide pour l’humain, il devra retrouver cette même démarche naturelle à partir des données anatomiques du squelette.
Et ce n’est pas un petit problème à résoudre...
Franck Multon
Un mouvement, c’est un exemple de combinaisons de toutes ces variables à un instant t. Or il y a une infinité de combinaisons possibles. On peut marcher de plein de manières possibles - plus ou moins accroupi, plus ou moins les pieds écartés, plus ou moins en croisant, comme les marches de mannequins, et parmi tout ça, on en sélectionne une. Quand on marche. On sélectionne une manière de marcher. Et le gros défi scientifique pour nous en simulation, c’est d’être capables de retrouver cette marche là. Ou quelque chose s’approchant de cette marche là ou de plausible.
L’étude très fine de notre démarche permet de poser les bases théoriques de la bipédie… humaine. Mais si nous voulons retrouver la marche bipède d’un australopithèque par exemple, les données humaines, ne suffiront pas...
Franck Multon
Il est clair que si on se base uniquement sur notre morphologie et sur notre contrôle du mouvement, on ne va pas pouvoir extrapoler sur des créatures dont on n’a pas la connaissance du mouvement. Donc l’idée c’est d’accumuler des grosses bases de données sur des locomotions de primates non-humains qu’on peut quand même mesurer, par exemple le babouin, le chimpanzée, pour pouvoir avoir des comparatifs et vérifier qu’il y a une relation forme anatomique et fonction ce que l’on ne peut pas faire si on a qu’une seule forme.
Il faut donc trouver… d’autres formes.
Direction la station de primatologie du CNRS de Rousset, près d’Aix en Provence. Les babouins qui vivent ici ainsi que ceux vivant à l’état sauvage pratiquent, occasionnellement, la marche bipède, comme bon nombre de primates non humains d’ailleurs.. Pour mesurer la biomécanique de la bipédie des babouins, un étonnant dispositif doit être mis en place. Ce sont des caméras dans le visible cette fois ci, qui sont installées autour de la pièce afin de modéliser leur marche sur les deux pattes arrières.
C’est après un long travail en amont que les animaux finissent par accepter la présence des scientifiques, de leur matériel de mesure, et qu’ils viennent marcher naturellement sur le tapis.
François Druelle, anthropo-biologiste
Il faut que l’animal ne soit pas trop en train d’accélérer, ni trop décélérer, il faut qu’il reste à peu près au même endroit sur le tapis, et puis surtout qu’il y ait plusieurs cycles de pas.
Les mesures effectuées sur ces animaux permettront, comme pour les humains, de modéliser leur bipédie. Et, comme pour les humains encore, c’est ce mouvement que devra trouver le simulateur en se basant sur le squelette du babouin.
Gilles Berillon
La logique, c’est que si ça marche pour l’homme, si ça marche pour un babouin, un chimpanzée, un bonobo ou un gibbon, il y a de fortes chances que pour les espèces hominines fossiles qui sont entre tout ça, ça fonctionne aussi. En tout cas que le résultat soit plausible.
Cette recherche fondamentale, pousse les scientifiques à mieux définir la bipedie des primates d’aujourd’hui et d’hier ainsi que mieux connaître les fondements anatomiques de ces marches bipèdes.
Ils doivent également développer de nouveaux outils informatiques qui se basent sur les dernières avancées technologiques.
Franck Multon
Et les nouvelles méthodes de simulation, que ce soit basé sur le machine learning, ou les méthodes que l’on travaille, en commun avec des roboticiens, par exemple le LAAS, CNRS à Toulouse, vont nous permettre d’explorer des pistes que l’on n’aurait pas pu explorer avant.
Qu’il s’agisse de mieux comprendre une des grandes particularité de l’être humain, ou de trouver des applications en robotique ou dans le domaine médical, le projet Hobis n’a pas fini d’alimenter notre marche continuelle vers la connaissance et le progrès.
Comment marchaient nos ancêtres ?
Comment marchaient Australopitecus, Homo habilis et nos autres ancêtres ou « cousins » ? Pour le savoir, les biomécaniciens et informaticiens du projet HoBis modélisent la marche de spécimens humains bardés de capteurs, mais aussi celle de babouins, adeptes occasionnels du déplacement sur leurs deux pattes arrières… À découvrir dans ce reportage proposé en partenariat avec LeMonde.fr.
François Druelle (CNRS)
Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (HNHP)
CNRS / Museum National d’Histoire Naturelle / Université Perpignan Via Domitia
Franck Multon (Inria)
Mouvement, Sport, Santé (M2S)
Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires (IRISA)
Inria / Université Rennes 2
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