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L'arbre qui déambule
La Biennale d’art contemporain de Venise, qui fête cette année son 120e anniversaire, sera l’occasion pour le public de découvrir, en flânant dans les jardins (Giardini della Biennale) situés sur l’îlot San Isepo ou à l’Arsenal (Arsenale), les œuvres produites par plus d’une centaine d’artistes venus du monde entier.
Rêvolutions au pavillon français
Dans le pavillon français, l’artiste Céleste Boursier-Mougenot et la commissaire Emma Lavigne exposent le projet Rêvolutions. Selon l’Institut français, opérateur du pavillon français, cet étonnant projet a pour vocation de transporter le public dans un monde merveilleux. Comment ? En transformant le pavillon en « îlot organique », où les arbres, statiques dans notre monde, deviennent mobiles. Mais que l’on se rassure, rien d’anormal ici. Tout s’explique. Ce n’est pas de la magie, c’est de la science !
révéler le
métabolisme,
la vie de l’arbre,
par sa mise
en mouvement.
Le projet a donc pour objectif de mettre en mouvement des arbres. « L’artiste, explique Jean-Paul Laumond, roboticien au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS, souhaite révéler le métabolisme… la vie de l’arbre, par sa mise en mouvement. » Son ambition est de faire bouger des pins sylvestres d’environ 4,5 m de hauteur en fonction de paramètres issus de leur métabolisme, de façon discrète.
« Céleste Boursier-Mougenot est arrivé dans mon bureau pour me soumettre son idée, raconte Jérôme Chave, du laboratoire Évolution et diversité biologique1. Pour savoir comment une plante perçoit son environnement, Céleste souhaitait mesurer les composés chimiques produits par cette plante. Pour cela, nous avions besoin de placer des spectromètres de masse sur l’arbre, mais ce n’était pas possible pour une raison de coût et d’encombrement. Je lui ai alors proposé un autre dispositif, plus discret. »
Mesurer la montée de sève
Avec Valérie Le Dantec, maître de conférences à l’université Paul-Sabatier-Toulouse-III et chercheuse au Centre d’études spatiales de la biosphère2, il a proposé à Céleste Boursier-Mougenot d’utiliser des sondes Granier. « Cette technique de mesure, précise Jérôme Chave, a été mise au point en 1983 par notre collègue André Granier, chercheur Inra à Nancy, qui s’intéresse à la physiologie des plantes. » Grâce à ces sondes, il est possible de mesurer la vitesse de montée de sève. Cette montée est fortement influencée par les conditions atmosphériques : le flux de sève est différent selon que l’arbre se trouve dans l’ombre ou en pleine lumière. La sève brute achemine l’eau de la terre à travers le tronc jusqu’aux branches puis aux feuilles.
« Pour mesurer ce flux, nous avons utilisé deux sondes thermiques : l’une était chauffée et l’autre non. Nous les avons introduites à quelques centimètres dans le bois d’aubier des pins sylvestres, région assurant le transport de la sève, ajoute Jérôme Chave. Plus le flux est important, plus la différence de potentiel entre les deux sondes est faible, indiquant ainsi que l’arbre “transpire”. » Ainsi, la mesure du flux de sève permet de connaître les conditions de l’environnement de la couronne.
De la perception à l’action
Pour mettre en mouvement les arbres, il a fallu les doter d’un outil de locomotion. « Avec mon collègue Michel Taïx, indique Jean-Paul Laumond, nous avons eu un rôle de conseil auprès de l’artiste pour l’aider à trouver les meilleures technologies applicables à son projet. Nous avons alors fait appel aux professionnels de la robotique pour concevoir le robot. » La société mordelaise BA Systèmes, conceptrice de plateformes mobiles pour la logistique, a réalisé spécialement pour ce projet trois robots plateformes mobiles sur roues.
Mais comment les arbres sont-ils mis en mouvement ? « Il n’y a pas de joystick, personne ne les contrôle », rappelle Jérôme Chave. Non, les arbres « choisissent » leurs déplacements en fonction des informations que leur fournissent trois types de capteurs embarqués : des sondes Granier pour mesurer leur métabolisme, donnée la plus importante pour l’artiste, des capteurs de localisation de type GPS et des télémètres laser pour éviter que les arbres, dans leur mouvement, ne se percutent ou percutent une personne. Il s’agit également de faire en sorte « qu’ils ne s’échappent pas », plaisante Jean-Paul Laumond.
développé
l’ensemble de
l’architecture
logicielle afin
qu’une fonction
de perception corresponde
à une fonction
de mouvement.
« Comment organiser toutes les capacités de perception de ces capteurs pour avoir des mouvements cohérents répondant au cahier des charges de l’artiste ?, continue le chercheur. Nous avons développé l’ensemble de l’architecture logicielle afin qu’une fonction de perception corresponde à une fonction de mouvement. Pour cela, nous avons engagé Guilhem Saurel, doctorant au laboratoire. Il a utilisé des algorithmes de génération de mouvement où la primauté est donnée à l’information issue des sondes Granier. Les algorithmes ont d’abord été testés dans un simulateur, lequel était accessible à l’artiste via Internet. Puis Guilhem a réalisé une série de tests sur la plateforme robotisée chez BA Systèmes, à Mordelles, avant de se rendre à Venise pour réaliser la dernière phase de tests. »
Ce projet « à la dimension poétique mêlant art et robotique », comme le qualifie Jean-Paul Laumond, est en lice avec 89 autres pour le prix de la meilleure participation nationale. La cérémonie de remise des prix aura lieu au siège historique de la Biennale de Venise, à Ca’ Giustinian, sur l’îlot San Marco, le 9 mai à 12 heures.
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Auteur
Meryem Tizniti est étudiante en journalisme scientifique à l’université Paris-Diderot et diplômée en physique.
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