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RoboCup 2022 : une équipe de Brest championne du monde !
Ce sont des olympiades un peu particulières où le panel d’épreuves va de la pratique du football jusqu'à l’art de faire respecter des règles de conduite à des invités indélicats. Mais surtout, les participants sont tous des robots. Cette RoboCup, souvent considérée comme le plus important et le plus prestigieux tournoi de robotique du monde, existe depuis vingt-cinq ans. Et après deux sessions en distanciel, elle s’est enfin tenue en public cette année, du 11 au 17 juillet dernier à Bangkok, en Thaïlande. Plus de 3000 robots et 3500 concurrents de quarante-cinq pays s’y sont affrontés dans différentes épreuves et catégories.
La compétition est répartie entre cinq ligues principales : le football, le sauvetage de personnes en cas de catastrophe, les tâches ménagères et d’accompagnement à domicile, la robotique industrielle et, enfin, une section réservée aux juniors. Ces ligues peuvent ensuite être divisées en sous-catégories selon le degré de liberté accordée sur la conception des robots. Certains sont en effet conçus de A à Z par les équipes (d’humains !) participantes, mais, dans d’autres cas, tout le monde s’affronte en utilisant un même modèle de robot, comme les très connus Nao et Pepper par exemple. Alors, seule la programmation fait la différence entre les équipes concurrentes.
Tous les concurrents sur la "même" machine
Dans la ligue « @Home », consacrée à l’aide à domicile, l’équipe française RoboBreizh menée par Cédric Buche1, actuellement en délégation CNRS au laboratoire de recherche international Crossing2, a remporté le premier prix dans une catégorie où tous les participants utilisaient un robot humanoïde : Pepper. D’environ 1,20 mètre de haut et monté sur roulettes, conçu par Aldebaran Robotics (rachetée par la suite par SoftBank Robotics/United Robotics Group), sa production s’est achevée en 2021. « Il y avait une autre compétition « @Home » de robotique domestique où il fallait concevoir un robot, mais, pour nous, tout se jouait sur la partie informatique et la programmation, précise Cédric Buche. C’est comme si, en Formule 1, tout le monde courait avec le même modèle de voiture. C’est le format que je préfère. »
Sur une période de cinq jours, les équipes devaient programmer un robot Pepper afin qu’il réalise différentes tâches domestiques. Dans un faux appartement, il devait par exemple accueillir des invités en leur ouvrant la porte chaque fois qu’ils sonnaient, prévenir l’hôte de leur arrivée, mais aussi s’assurer que les convives suivaient bien certaines instructions, comme l’interdiction de garder ses chaussures à l’intérieur ou de pénétrer dans une chambre particulière, tout en vérifiant que tout le monde avait bien un verre. Or, les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) utilisés pour réaliser ces prouesses devaient fonctionner sur les processeurs d’un Pepper aujourd’hui loin d’être à la pointe question puissance de calcul…
Un robot Pepper remis à zéro...
« Les équipes passaient une par une mais les organisateurs se sont amusés à faire des changements pour qu’on ne puisse pas tout programmer à l’avance, poursuit Cédric Buche. Ainsi, Pepper devait réagir de manière adéquate si un invité entré dans la chambre interdite y restait, reconnaître ceux qui auraient désobéi plusieurs fois à la même consigne au fil de la soirée, et parvenir à les convaincre de rentrer dans le rang ! »
Le robot est fourni avec un système de base et quelques fonctionnalités, mais l’équipe RoboBreizh, qui participait pour la toute première fois à la RoboCup, a préféré tout effacer et repartir de zéro. Elle a également décidé de se limiter à un système entièrement embarqué, la spécialité de Cédric Buche, ce qui prive Pepper d’un accès Internet et donc des nombreuses solutions d’IA offertes en ligne, notamment par les GafamFermerAcronyme formé à partir des initiales des cinq entreprises les plus puissantes du monde de l'Internet occidental : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft..
« Nous étions tous à peu près à égalité au terme du premier jour, mais nous sommes parvenus à nous détacher les jours suivants, détaille Cédric Buche. Nous sommes les seuls à avoir fait un système entièrement embarqué, c’est-à-dire sans communication constante avec l’extérieur. Cette approche peut sembler moins efficace de prime abord, mais nous pensions qu’il était trop risqué de transmettre des informations dans un environnement aussi bruité et complexe que la RoboCup, compte tenu du nombre de personnes au mètre carré qui envoyait des données en WiFi à une machine ! Cette solution radicalement différente a joué en notre faveur, même si la détection des chaussures par notre Pepper a été particulièrement ardue avec sa caméra d’une faible définition (320 p) et un processeur d’une puissance équivalente à celle d'un téléphone portable d’il y a dix ans… »
Le "tout embarqué" : plus robuste, plus écologique et plus sûr
L'idée du tout embarqué n’est pas seulement liée aux conditions de la compétition. Elle correspond aussi aux cas pratiques d’application de tels robots, plutôt conçus pour des personnes âgées ou dépendantes qui n’ont pas forcément un bon accès Internet. La transmission constante de données à analyser en ligne implique aussi un coût énergétique et écologique non négligeable. Enfin, le tout embarqué présente un intérêt majeur pour la confidentialité des données, notamment des images, qui sont traitées localement dans le robot et non envoyées dans le Cloud.
Au-delà de la vitrine médiatique qui permet au grand public de se familiariser avec les robots, ces concours sont l’occasion pour les chercheurs d’appréhender l’état de l’art de la discipline en contexte de mise en situation. « Lors des épreuves, les robots doivent fonctionner dans des cadres qui ne sont pas totalement prévisibles, c’est ce qui rend l’opération particulièrement intéressante, souligne Cédric Buche. Enfermés au laboratoire à comparer les algorithmes et les benchmarksFermerEn informatique, c’est un banc d’essai permettant de mesurer les performances d'un système pour le comparer à d'autres., on finit par tourner en rond… »
Excellentes opportunités pour rencontrer d’autres chercheurs ainsi que des industriels, les grands évènements comme la RoboCup sont également prisés par les doctorants et les stagiaires qui composent souvent le gros des troupes. « Beaucoup d’étudiants y reçoivent des propositions d’emploi », se réjouit Cédric Buche. Or les équipes françaises montrent justement beaucoup de talents sur ces compétitions internationales.
« Il y a clairement une expertise française, appuie le chercheur. Des équipes hexagonales ont remporté plusieurs victoires dans les catégories juniors et l’équipe bordelaise Rhoban3 s’est classée deuxième sur une épreuve de football qu’elle a déjà gagné quatre fois de suite dans la ligue "Humanoid Kid-Size" lors d'éditions précédentes (voir vidéo ci-dessus). Nous n’avons pas à rougir face aux grosses équipes, notamment issues de pays asiatiques. » Dernier signe du succès et de la place de la France dans les concours de robotique : la RoboCup 2023 se tiendra à Bordeaux. ♦
Pour en savoir plus :
le site de la RoboCup et celui des champions, l'équipe RoboBreizh
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Le siècle des robots (dossier)
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- 1. Cédric Buche est professeur des universités à l’École nationale d’ingénieurs de Brest.
- 2. French Australian Laboratory For Humans/Autonomous Agents Teaming (Unité CNRS/Université d’Adélaïde/IMT Atlantique/Université d’Australie-Méridionale/Université de Flinders/Naval Group).
- 3. Issue du Laboratoire bordelais de recherche en informatique (Unité CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux).
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.