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Le télescope James Webb à la découverte de l’Univers ancien
Il est annoncé comme cent fois plus puissant que Hubble, opérationnel depuis maintenant trente et un ans. Lorsqu’il déploiera son miroir de 6,50 mètres d’envergure, il deviendra le plus grand observatoire en orbite. C’est peu dire que le télescope spatial James Webb (JWST) de la Nasa, dont le lancement prévu pour le 25 décembre, est attendu par la communauté astronomique mondiale… La préparation n’aura pas été simple : il est si large qu’il aura fallu des trésors d’ingénierie pour le plier avec ses dix-huit miroirs hexagonaux, afin qu’il tienne dans la coiffe d’un lanceur Ariane V. Mais le jeu en vaut la chandelle : il devrait offrir des possibilités inédites d’examen de galaxies aussi lointaines qu’anciennes ou de systèmes planétaires dans notre Voie lactée. Plusieurs équipes du CNRS sont impliquées dans ce programme de la Nasa.
L’infrarouge pour voir loin
« Le JWST comble un manque entre Hubble, qui ne s’aventure que dans le proche infrarouge, et les télescopes spatiaux Herschel et ISO1 de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui plongent dans l’infrarouge lointain, avance Daniel Rouan, directeur de recherche émérite au Laboratoire d’études spatiales et d'instrumentation en astrophysique2. Ce nouveau télescope offrira des observations à des longueurs d’onde comprises entre un demi et trente micromètres, avec d’énormes gains de sensibilité. Ces rayonnements permettent de scruter des objets plutôt froids, comme la poussière et le gaz interstellaire des galaxies, dont la nôtre, les planètes, mais aussi des galaxies très lointaines. Pour ces dernières, qui ne sont pas froides, l’expansion de l’Univers provoque en effet un décalage apparent des émissions d’énergie vers l’infrarouge. »
Certaines molécules sont également plus faciles à détecter dans ces fréquences. L’hydrogène, le principal composant du milieu interstellaire, est par exemple presque invisible en dehors de ces émissions de la bande infrarouge, à moins qu’il soit porté à des températures très élevées. Pour des observations au niveau du sol, les rayonnements infrarouges en provenance de l’espace sont malheureusement massivement absorbés par l’atmosphère. Ceux compris entre 10 et 800 micromètres ont même totalement disparu. C’est d’ailleurs cette absorption qui est à l’origine de l’effet de serre causé par des gaz comme le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau. Les rares rayons infrarouges restants sont ensuite parasités par une multitude de sources naturelles et artificielles plus intenses.
Des télescopes ont été installés dans des observatoires en altitude, des ballons ou des avions pour limiter ces problèmes, mais rien qui ne permette de capter correctement les plus infimes sources d’énergie en provenance de l’espace. Il faut dire que les équipements d’observation émettent eux-mêmes des infrarouges.
À 1,5 million de kilomètres de la Terre, sur une orbite parallèle à celle de notre planète et à une distance quatre fois celle de la Terre à la Lune, le JWST s’affranchira de ces vicissitudes. Enfin, cet environnement l’aidera à maintenir une température suffisamment basse pour que le rayonnement thermique du JWST émis dans l’infrarouge ne brouille pas le rayonnement venu des objets les plus faibles.
Scruter le cœur des galaxies
Une fois en position et bien déployé, le JWST pourra utiliser ses quatre instruments. NIRCam, NIRSpec et Niriss sont respectivement une caméra, un spectromètre multiobjet et un spectromètre grand champ spécialisés dans le proche infrarouge. Développé en Europe avec une forte participation du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Miri3 est quant à lui une caméra et un spectromètre agissant dans l’infrarouge moyen de 5 à 28 micromètres de longueur d’onde. « Miri est très important car il couvre un domaine de longueur d’onde unique et crucial pour l’astrophysique. Très versatile, il réalise à la fois de l’imagerie et une spectroscopie qui permet de détecter des raies d’énergie bien particulières », souligne Daniel Rouan. Sur le projet depuis vingt et un ans, le chercheur veut pouvoir scruter le cœur des galaxies abritant un trou noir supermassif, ainsi que des exoplanètes.
Ces dernières sont très difficiles à imager directement, car elles sont noyées dans la lumière de leur étoile qui brille entre cent mille et dix milliards de fois plus intensément qu’elles. Des dispositifs optiques appelés coronographes sont donc nécessaires à l’observation d’exoplanètes, en masquant en grande partie la lumière de l’étoile. Daniel Rouan a d’ailleurs inventé le principe de trois des quatre coronographes de Miri. NIRCam, réalisé aux États-Unis, présente certaines similarités avec Miri, mais vise des longueurs d’onde inférieures à cinq micromètres. Surtout construit par des industriels européens, NIRSpec peut obtenir le spectre de plusieurs objets à la fois, là où Miri les étudie un par un en se concentrant sur de plus petites régions et dans des régimes spectraux différents. Niriss, conçu au Canada, combine les possibilités des trois autres, tout en gardant assez de spécificités pour ne pas être redondant.
Comprendre la formation du Système solaire
Pour disposer de toute cette technologie, les créneaux d’observation sont forcément très disputés. Les équipes qui ont participé à la création des instruments du JWST bénéficient de temps d’observation garanti. Les autres doivent postuler à des appels d’offres : c’est ainsi que le projet d’Olivier Berné, chargé de recherche CNRS à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie4, a été sélectionné parmi une centaine de propositions. « Nous nous intéressons à la nébuleuse d’Orion, car le consensus scientifique actuel considère qu’elle présente un environnement semblable à celui de la formation de notre Système solaire, à proximité d’étoiles particulièrement massives », explique Olivier Berné.
L’observer ferait donc remonter le temps vers ces conditions primordiales, et permettrait d’étudier la composition de la matière, des gaz et des poussières avant l’effondrement des nuages stellaires. Ce phénomène permet la formation d’une étoile et d’un disque, d’où naissent à leur tour des planètes, voire la vie. « Nous voulons comprendre les ingrédients de départ nécessaires à la cuisine qui mènent jusque-là », explique le chercheur.
Le JWST permettra également de s’intéresser à une phase datant de 7 milliards d’années après le big bang, quand l’Univers avait la moitié de son âge actuel. « Nous recevons des signaux des galaxies de cette époque, mais nous ne pouvons pas voir ce qu’il y a à l’intérieur. L’étude d’Orion pourrait fournir une boîte à outils pour aider les spécialistes de cette époque à les interpréter », précise Olivier Berné.
Avec ses collègues, il disposera de 35 heures d’observation en septembre 2022 pour obtenir un maximum de données, grâce auxquelles les chercheurs espèrent mener à bien ces deux problématiques. « Nous nous préparons depuis 2014 avec des simulations et des observations depuis le sol, raconte Olivier Berné. Tous les réglages des observations doivent être le mieux optimisés pour récupérer les meilleures données possibles quand ce sera notre tour, un peu comme pour prendre une photo professionnelle. La différence est que nous devons régler un télescope de plus de six tonnes, situé à 1,5 million de kilomètres, avec une précision de la taille d’un cheveu pour capturer un maximum de photons. Mais nous allons gagner tellement de détails en retour que j’aime dire que nous allons passer d’un tableau impressionniste à du réalisme hollandais ! »
Remonter le temps jusqu’aux premières étoiles
Il est loin d’être le seul à attendre de pied ferme la mise en orbite du télescope. Nicole Nesvadba, chargée de recherche CNRS au laboratoire J-L Lagrange5 et en charge du programme « temps ouvert » du JWST, a obtenu trois créneaux, répartis sur les cinq années où Miri devrait fonctionner. « Nous travaillons sur les trous noirs supermassifs dans des galaxies, situés au cœur des quasars : des noyaux très actifs et lumineux des galaxies, dévoile Nicole Nesvadba. Ces objets pourraient déterminer la formation d’étoiles et la croissance en masse de leurs galaxies hôtes les plus massives, et nous voulons comprendre comment. Le JWST nous permettra d’observer ces processus à travers presque toute l’histoire de l’Univers, jusqu’aux tout premiers de ces trous noirs. »
La chercheuse mentionne la phase de formation rapide et soutenue d’étoiles, deux à trois millions d’années après le big bang, suivie d’un effondrement de la production d’étoiles six milliards d’années après le big bang. « Nous ne comprenons pas encore ce qui a provoqué un tel ralentissement alors qu’il restait bien assez de gaz disponible pour continuer, avoue Nicole Nesvadba. Nous regardons du côté des interactions entre les trous noirs, les quasars et la formation des galaxies. »
L'énergie injectée par les trous noirs dans les nuages de gaz alentour pourrait en effet jouer un grand rôle. Le JWST offrira une occasion unique d’observer ce phénomène dans des galaxies relativement proches de la nôtre, ainsi qu’à différentes échelles. Les chercheurs ont ainsi hâte de voir le JWST en fonction et doivent se remettre en selle avant l’arrivée des données.
Le projet a en effet pris un retard considérable et certaines équipes attendent depuis des années de reprendre la mission. « Le premier planning prévoyait un lancement en 2008, souligne Daniel Rouan. Certains industriels américains ont eu des estimations assez “particulières” des coûts et le Congrès a bien failli tout arrêter en réponse. Les équipes européennes, académiques comme industrielles, ont livré à temps tous les instruments dont elles étaient responsables. » Plus de vingt ans après le début du projet, James Webb est enfin prêt à devenir un acteur incontournable de l’observation spatiale. ♦
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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