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Stéphanie Descroix, la biologiste qui met nos organes sur puce

Stéphanie Descroix, la biologiste qui met nos organes sur puce

28.02.2024, par
Stéphanie Descroix, spécialiste de microfluidique, dans son laboratoire à l'Institut Curie, à Paris, en 2023.
Issue d’une formation en biologie et en chimie, Stéphanie Descroix travaille dans un domaine de recherche hautement pluridisciplinaire : la microfluidique. Grâce à cette technologie, elle crée des mini-organes sur puce. Des outils qui ouvrent des perspectives immenses, notamment en oncologie...

Lorsqu’on parle avec Stéphanie Descroix1, directrice de recherche CNRS et cheffe d’équipe à l’Institut Curie, à Paris, un trait de caractère retient l’attention : sa « positive attitude ». Qu’on en juge : son lieu de travail ? « C’est un centre merveilleux, le plus bel endroit pour mener mes recherches », lance-t-elle. Son travail ? Il est « génial », « hyper satisfaisant ». Sa carrière ? « J’ai eu beaucoup de chance ! » Et ses collaborateurs ? Beaucoup sont de « super collègues ». « Elle crée une ambiance si bonne dans son groupe qu’on a du mal à le quitter », constate Charlotte Bouquerel, qui a travaillé avec elle pendant quatre ans, dans le cadre de son stage de doctorat.

Puce microfluidique sur laquelle va croître l’organoïde.
Puce microfluidique sur laquelle va croître l’organoïde.

Mais la chercheuse dénote aussi par ses recherches... à la pointe de la technologie ! C’est que son groupe, l’équipe « Macromolécules et microsystèmes en biologie et en médecine », est un des leaders mondiaux dans un domaine récent, qui promet de révolutionner la compréhension de la physiologie et des pathologies humaines et leur prise en charge : les organes sur puces. 

Les organes sur puce sont de nouvelles technologies conçues pour reproduire certaines caractéristiques cellulaires, biochimiques, physiques et physiologiques des organes et tissus humains.

Dits aussi « organs-on-chip » (de leur nom anglais), « les organes sur puce sont de nouvelles technologies conçues pour reproduire certaines caractéristiques cellulaires, biochimiques, physiques et physiologiques des organes et tissus humains, comme leur structure en trois dimensions, leur environnement physico-chimique (taux d’oxygène, acidité…) ou leurs fonctions », éclaire Stéphanie Descroix. Ces systèmes sont fabriqués grâce à la microfluidique, une technologie née il y a une trentaine d’années, en plein essor aujourd’hui.

À la croisée de la biologie, de la physique, de la chimie et de l’ingénierie, la microfluidique permet la fabrication de dispositifs miniatures sur des petites puces en verre, en silicone ou en plastique. D'une taille réduite (quelques centimètres carrés), ces plateformes hébergent un ensemble de micro-canaux gravés ou moulés, connectés entre eux de manière à réaliser une fonction donnée comme mélanger des composants ou encore contrôler l’environnement biochimique.

L’art de faire mieux avec moins

En pratique, « les organes sur puce sont obtenus à partir de cellules et de molécules de la matrice extracellulaire, le “ciment” qui maintient attachées les cellules d’un même tissu. L’ensemble est injecté sur une puce microfluidique où il s’auto-organise pour acquérir une structure en trois dimensions qui peut être similaire à celle du vrai organe », détaille la directrice de recherche.

Les atouts des organes sur puce sont énormes ! Tout d’abord, la microfluidique permet d’y contrôler différents paramètres biologiques, physiques ou physico-chimiques : composition en cellules, en matrice extracellulaire, taux d’oxygène, acidité, forces appliquées, etc. ; ce qui permet de se rapprocher au mieux des caractéristiques et des conditions retrouvées au sein de vrais organes ou tissus. Conséquence, les organes sur puce devraient à l’avenir être des outils d’expérimentation plus fiables que les simples cellules mises en culture.

Image en microscopie de fluorescence d’une villosité intestinale sur puce microfluidique.
Image en microscopie de fluorescence d’une villosité intestinale sur puce microfluidique.

Ensuite, ils permettent de réaliser de nombreuses expériences avec très peu de matériel biologique : « quelques dizaines de milliers de cellules pour un organe sur puce, ce qui peut représenter quelques millimètres carrés de l’organe d’origine ». Enfin, comparés aux tests chez l’animal ou l’humain, ils permettent de travailler plus rapidement et à moindre coût. Bref, comme le souligne Stéphanie Descroix dans un chapitre d’ouvrage consacré à la microfluidique2, ces systèmes permettent de « faire mieux avec moins » !

La multidisciplinarité chevillée au corps

Comment la chercheuse en est-elle arrivée à se spécialiser dans un domaine si pointu ? De fait, cette francilienne née à Fontenay-sous-Bois (94) a toujours baigné dans un environnement propice à la curiosité scientifique : « Mes parents, tous deux scientifiques mais dans l’industrie, avaient une vraie appétence pour la science, qu’ils nous ont transmise à mon frère – aujourd’hui professeur de maths – et moi. Par la suite, je me suis mariée avec un chercheur et j’ai désormais deux enfants qui aiment également les sciences », confie-t-elle. 

C’est aussi très tôt qu’elle a affiché un goût marqué pour différentes disciplines : « au lycée, j’aimais les maths, la bio, l’histoire, l’allemand et aussi la physique-chimie ». Mais une fois le baccalauréat en poche, elle doit faire un choix.

Les organes sur puce devraient à l’avenir être des outils d’expérimentation plus fiables que les simples cellules mises en culture.

Elle s’inscrit alors en biologie, à l’université des sciences de la vie à Créteil (94). Sitôt sa maîtrise de sciences et techniques en génie biochimique et biologique acquise, le besoin de pluridisciplinarité la rattrape. Elle « bifurque » alors vers un diplôme d'études approfondies, spécialisé cette fois en chimie analytique (cette partie de la chimie dédiée à l'analyse de produits chimiques), à l’université Pierre-et-Marie-Curie, devenue Sorbonne Université.

Une fois sa thèse obtenue en 2002, celle qui se dit « souvent pressée, au point que (son) professeur de tennis ne cesse de (lui) répéter de faire trois ou quatre échanges avant de monter au filet pour conclure l’attaque ! », court-circuite le traditionnel stage postdoctoral qui clôture normalement la formation des chercheurs et opte pour un poste à l’université d’Orsay en tant qu’attachée temporaire d'enseignement et de recherche. Mais très vite, elle se sent « plus à (sa) place dans la recherche que l’enseignement », et tente le concours d’entrée au CNRS qu’elle décroche en 2004.

Mettre le cancer sur puce pour aller vers une médecine personnalisée

La microfluidique ? Stéphanie Descroix y fait ses premiers pas dès son entrée au CNRS : « À cette époque, raconte-t-elle, cette technologie commençait à significativement décoller en France. Aussi, j'ai souhaité, avec mon équipe d'accueil d’alors – le Laboratoire physico-chimie des électrolytes, colloïdes et sciences analytiques3 , la combiner avec des approches bio-analytiques (qui permettent la mesure quantitative d'un objet biologique, Ndlr) ». Cependant, observe-t-elle, « cela m’a pris du temps pour devenir experte en microfluidique et en organes sur puce...et mon apprentissage est loin d’être terminé ! »

Cela m’a pris du temps pour devenir experte en microfluidique... et mon apprentissage est loin d’être terminé ! 

Désormais, à l’Institut Curie, qu’elle a intégré en 2011, la chercheuse et ses collègues développent des organes sur puce particuliers : « des tumeurs de patients sur puce ». Comme elle l’explique, « il s’agit de micro-tumeurs créées à partir de différentes cellules issues d’un même patient : des cellules cancéreuses mais aussi d’autres naturellement présentes dans les tumeurs, comme des cellules immunitaires et des cellules de vaisseaux sanguins ». 

Grâce à ce type d’outils, la chercheuse espère réaliser un grand rêve : développer des systèmes de médecine personnalisée qui permettraient de tester la réponse d’un patient aux chimiothérapies ou aux immunothérapies (deux types de traitements anticancer) ; ces thérapies pouvant être plus ou moins efficaces selon les caractéristiques – notamment génétiques – de chaque tumeur. « Si on arrive à développer de tels outils, ils pourraient aider à donner directement au patient la thérapie la plus efficace pour lui. Ce qui augmenterait ses chances de survie », espère Stéphanie Descroix.

A gauche, un moule en laiton mimant la structure de l’intestin. Il sert à mouler une structure 3D en collagène pour réaliser l’intestin sur puce. La partie droite montre l’intestin sur puce avec les cellules qui ont colonisé la structure.
A gauche, un moule en laiton mimant la structure de l’intestin. Il sert à mouler une structure 3D en collagène pour réaliser l’intestin sur puce. La partie droite montre l’intestin sur puce avec les cellules qui ont colonisé la structure.

Lors d’une étude récente4, la chercheuse et ses collègues ont démontré la faisabilité de ce concept chez une dizaine de patients. Reste maintenant à renouveler l’étude à plus grande échelle. Pour ce faire, un large essai clinique est prévu avec environ deux cents malades. Il devrait être lancé dans les six prochains mois.

De nombreuses découvertes en perspective

Mais il n’y a pas que la recherche appliquée ! « Mon équipe fait également de la recherche fondamentale, pour améliorer nos connaissances sur les organes et leurs maladies. Pouvoir travailler sur ces deux versants de la recherche que l’on a tendance à opposer, alors qu’ils se nourrissent mutuellement, est une spécificité à laquelle je tiens », souligne Stéphanie Descroix, avec une certaine fierté.

Dans ce domaine, la chercheuse « s’amuse » notamment à tenter de répondre à plusieurs questions très précises concernant l’intestin, « un organe superbe mais trop souvent sous-estimé ». Par exemple, lors de récents travaux publiés notamment avec Danijela Vignjevic, biologiste cellulaire à l’Institut Curie5, elle a co-développé un intestin sur puce qui a permis d’en savoir plus sur la mise en place des différents types de cellules constituant l’épithélium intestinal, le tissu qui recouvre la paroi interne de l’intestin grêle. « Nous voulions savoir ce qui pilotait l’organisation spatiale de ces différents types cellulaires, sachant qu’ils ne sont pas placés n’importe comment mais à des niveaux précis dans l’épithélium », développe-t-elle.

Image en microscopie de fluorescence d’une villosité entourée de crypte, dans chaque crypte un organoïde intestinal y a été déposé.
Image en microscopie de fluorescence d’une villosité entourée de crypte, dans chaque crypte un organoïde intestinal y a été déposé.

Et bingo ! La cheffe d’équipe et ses collègues ont montré que si la géométrie particulière de l’épithélium en cryptes (creux) et en villosités (replis) régule en partie le positionnement des cellules au niveau de ce tissu, elle ne suffit pas. Il faut aussi la présence de cellules particulières, appelées fibroblastes, lesquelles produisent des substances (des facteurs de croissances et du collagène, le constituant majeur de la matrice extracellulaire) indispensables au bon positionnement des cellules. En fait, termine Stéphanie Descroix, « les potentialités des organes sur puce sont énormes. Dans les années à venir, ils devraient mener à de très nombreuses découvertes. Et ce, aussi bien en recherche fondamentale et appliquée qu’en clinique ! ». ♦

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Notes
  • 1. Laboratoire Physique de la cellule et cancer (CNRS/Institut Curie/Sorbonne Université). Équipe « Macromolécules et microsystèmes en biologie et en médecine » résidente de l'Institut Pierre Gilles de Gennes pour la microfluidique (IPGG) à Paris.
  • 2. « Faire mieux avec moins : la microfluidique ! », Stéphanie Descroix, Jean-Baptiste Salmon, Julien Legros, in Étonnante chimie, sous la direction de Claire-Marie Pradier, CNRS Éditions, 2021.
  • 3. Unité CNRS/École supérieure de physique et de chimie industrielles/Sorbonne Université.
  • 4. Irina Veith et al. bioRxiv. 21 juin 2023. doi: https://doi.org/10.1101/2023.06.21.545960
  • 5. Marine Verhulsel et al. Lab Chip. 27 janvier 2021. https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2021/lc/d0lc00672f
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Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.

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