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Batterie sodium-ion: une révolution en marche

Batterie sodium-ion: une révolution en marche

27.11.2015, par
Temps de lecture : 6 minutes
Batterie Sodium-ion
Beaucoup plus abondant que le lithium, le sodium représente une alternative intéressante aux batteries lithium-ion utilisées depuis le début des années 1990.
Le réseau français RS2E, qui réunit chercheurs et industriels, a dévoilé le premier prototype de batterie sodium-ion. Cette technologie inspirée des batteries lithium-ion qui équipent déjà ordinateurs portables et véhicules électriques pourrait permettre le stockage de masse des énergies renouvelables dites intermittentes.

C’est une annonce qui risque de faire du bruit dans le monde très concurrentiel des batteries. Des chercheurs français du réseau RS2E 1 ont dévoilé aujourd’hui le premier prototype de batterie sodium-ion 18650, un format standard utilisé notamment dans nos ordinateurs portables. L’information n’a l’air de rien pour les non-spécialistes… Et pourtant. Partout sur la planète, aux États-Unis, au Japon, en Angleterre ou encore en Israël, des scientifiques planchent sur cette technologie aujourd’hui considérée comme l’alternative la plus sérieuse aux batteries lithium-ion qui équipent la quasi-totalité des équipements électroniques portatifs (ordinateurs portables, tablettes, smartphones…) et commencent à lorgner sérieusement du côté des véhicules électriques. La batterie de la Tesla Car, par exemple, n’est rien d’autre que l’association de plusieurs milliers de batteries lithium-ion…

 

Le Sodium, un nouvel avenir pour les batteries ! par CNRS 

«  La batterie sodium-ion dévoilée aujourd’hui s’inspire directement de la technologie lithium-ion, explique Jean-Marie Tarascon, le "pape" français des batteries, chimiste du solide au CNRS et professeur au Collège de France2. À l’instar des ions lithium, les ions sodium se “baladent” d’une électrode à l’autre, au fil des cycles de charge et de décharge. Et ce sans faire subir aucune modification aux “matériaux hôtes” situés à chaque électrode, puisque ces derniers prennent la forme de structures cristallines dans lesquelles les ions viennent s’insérer tout en douceur. » Son format dit 18650 indique qu’elle se présente sous la forme d’un cylindre de 1,8 centimètre de diamètre sur 6,5 centimètres de hauteur.

Le retour en force du sodium

Pour l’heure, ses concepteurs restent discrets sur la composition des matériaux qui s’enroulent autour des deux électrodes de leur batterie sodium-ion – secret de fabrication. On en sait plus, en revanche, sur les performances du prototype présenté aujourd’hui : avec 90 watt-heures/kilogramme, « sa densité d’énergie (la quantité d’électricité que l’on peut stocker par kilogramme de batterie) est comparable à certaines batteries lithium-ion comme la batterie Li-ion fer/phosphate », indique Loïc Simonin, chercheur au Liten3, un laboratoire du CEA associé au développement du prototype, tandis que sa durée de vie (nombre maximum de cycles de charge et de décharge) dépasse les 2 000 cycles. Des premiers résultats plus qu’encourageants, donc, d’autant qu’ils sont encore perfectibles.

Lorsque le marché
des véhicules
électriques
a commencé à se
développer, on a
craint un envol des
cours du lithium.

Aujourd’hui objets de désir, les batteries au sodium reviennent pourtant de loin. À la fin des années 1980, cette technologie avait en effet été écartée au profit du lithium, dont la supériorité semblait évidente à tous : grâce à une tension de 3,5 V, le lithium fournit en théorie la plus grande énergie ; trois fois plus légers que les ions sodium, les ions lithium permettent de fabriquer des batteries poids plume, un atout indéniable lorsqu’on parle d’électronique nomade… Seul inconvénient du lithium : sa (relative) rareté et sa localisation dans quelques endroits ciblés (Colombie, Chili, Chine…).

« Lorsque le marché des véhicules électriques a commencé à se développer, on a craint un envol des cours du lithium », rappelle Jean-Marie Tarascon, et le sodium est revenu dans la course. Il faut dire qu’il a un gros avantage : il est abondant (on trouve 2,6 % de sodium dans la croûte terrestre, contre 0,06 % de lithium à peine) et se trouve partout sur la planète, notamment dans l’eau de mer, sous forme de chlorure de sodium (NaCl).

Recherche sur les batteries sodium-ion (Na-ion)
Branchement d'une cellule prototype sodium-ion pour des tests électrochimiques destinés à évaluer ses performances.
Recherche sur les batteries sodium-ion (Na-ion)
Branchement d'une cellule prototype sodium-ion pour des tests électrochimiques destinés à évaluer ses performances.

En 2012, le chercheur français décide de prendre le taureau par les cornes et d’organiser une véritable force de frappe française sur les batteries au sodium. « Pour le lithium, toute la recherche fondamentale s’était faite en Europe, notamment en France, se souvient Jean-Marie Tarascon. Pourtant, c’est au Japon que le transfert de technologie et la commercialisation ont eu lieu, permettant à Sony de lancer sa première batterie lithium-ion en 1991. Résultat : 95 % de la fabrication Li-ion se fait aujourd’hui en Asie… » Pas question de bégayer l’histoire une deuxième fois. Le CNRS (pour la partie fondamentale) et le Liten-CEA (pour l’aspect transfert de technologie) se sont donc associés à une quinzaine d’industriels parmi lesquels Renault, Saft ou encore Alstom pour créer le réseau RS2E dédié aux batteries de nouvelle génération. Objectif affiché : assurer la recherche ET le développement, afin de pouvoir lancer la commercialisation des batteries sodium-ion sur le sol européen, dès que celles-ci seront prêtes.

Un marché mondial de 80 milliards de dollars

Les perspectives commerciales sont en effet immenses. Le marché mondial des batteries devrait atteindre 80 milliards de dollars en 2020, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. Trop massives, pour l’heure, pour équiper les appareils électroniques nomades, les batteries sodium-ion pourraient se faire une place de choix sur le marché du véhicule électrique, mais aussi dans le stockage de masse des énergies renouvelables intermittentes, éolien ou solaire. L’énergie stockée durant le jour, ou pendant les épisodes venteux, étant restituée à volonté grâce à des batteries (ou plutôt, des séries de batteries) qui pourraient atteindre la taille d’une maison !

Panneaux solaires, énergie renouvelable
Le stockage des énergies renouvelables dites intermittentes – ici des panneaux solaires installés sur le toit d’une maison en Californie – est l’une des applications possibles de la future batterie sodium-ion.
Panneaux solaires, énergie renouvelable
Le stockage des énergies renouvelables dites intermittentes – ici des panneaux solaires installés sur le toit d’une maison en Californie – est l’une des applications possibles de la future batterie sodium-ion.

Autre marché possible, celui des batteries domestiques, que le créateur de la Tesla Car, le Californien Elon Musk, a lancé avec fracas au mois d’avril 2015. Sa Power Wall, une batterie murale à poser chez soi, est destinée à emmagasiner l’énergie produite par les panneaux solaires installés directement sur le toit de sa maison, mais aussi à réguler sa consommation en stockant l’électricité aux heures creuses, lorsqu’elle est la moins chère.

« Le format 18650 nous permet de prouver la pertinence du concept et de mettre en parallèle les performances de nos batteries avec les batteries de format similaire déjà commercialisées. Mais il faudra trouver d’autres formats pour répondre aux nouveaux besoins », précise Loïc Simonin. Le temps presse : Toyota travaille d’arrache-pied à un prototype de batterie de voiture sodium-ion, tandis que la start-up anglaise Faradion, associée à l’université d’Oxford, a fait cette année une première démonstration de vélo électrique à batterie sodium-ion.

Notes
  • 1. Le réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E) travaille sur les batteries nouvelle génération, parmi lesquelles la batterie sodium-ion. Il associe des laboratoires du CNRS, du CEA et une quinzaine d’industriels parmi lesquels Renault, Saft ou encore Alstom.
  • 2. Jean-Marie Tarascon est également directeur du laboratoire Chimie du solide et de l’énergie (CNRS/UPMC/Collège de France) et directeur du réseau RS2E.
  • 3. Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux.