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Cryptoactifs : vers des alternatives éco-compatibles ?
Fer de lance des cryptomonnaies (aussi appelées cryptoactifs), le Bitcoin est un réseau permettant d’effectuer des paiements de pair à pair via Internet sans impliquer de banques (Bitcoin désigne le réseau, bitcoin l’unité de compte de la cryptomonnaie qui repose sur le réseau homonyme, ndlr). L’incontestable succès technique et financier de Bitcoin – qui n’a jamais été « piraté » et dont la capitalisation boursière atteint les 500 milliards d’euros 14 ans après son invention en 2009 – est cependant tempéré par son impact environnemental. En effet, la conception même de son système de validation exploite un protocole particulièrement énergivore.
Un système de vérification très fiable mais peu soutenable
Comme tous les cryptoactifs, le réseau Bitcoin est adossé à une blockchain : un registre public partagé et inviolable où sont enregistrées toutes les transactions effectuées entre participants. La sécurité, l’inviolabilité et la décentralisation du système reposent sur la vérification/validation des transactions par des membres du réseau appelés « mineurs ».
Toutes les dix minutes, les machines de ces mineurs doivent résoudre un problème de calcul brut ; le premier mineur à y parvenir peut inscrire définitivement dans la blockchain le bloc de transactions qu’il vient de valider et reçoit en récompense des bitcoins nouvellement créés. Ce type de protocole est appelé proof of work (PoW), car pour être reconnu comme validateur de la blockchain - et être récompensé - il faut apporter la preuve d’un travail fourni (en l'occurrence, un calcul).
S’il a prouvé sa fiabilité et sa robustesse, ce procédé a toutefois un défaut majeur : il mobilise une puissance de calcul – et donc une consommation électrique – énorme, et qui ne cesse de croître. Ainsi, l'indice Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index de l'université de Cambridge (Royaume-Uni), qui évalue quotidiennement la consommation électrique nécessaire au fonctionnement du réseau Bitcoin, estime que la cryptomonnaie engloutit entre 62 TWh et 230 TWh d'électricité par an ; l'équivalent de 10 à 40 % de la consommation électrique totale en France.
Des alternatives au calcul brut
La conception de nouvelles manières de récompenser les mineurs est donc essentielle au développement d’alternatives plus soutenables. L’Ethereum, seconde cryptomonnaie la plus populaire, est ainsi basé sur un protocole proof of stake (PoS). Dans cette preuve d’enjeu, ou de participation, un tirage au sort s’effectue en fonction des sommes que les utilisateurs bloquent dans la cryptomonnaie en question. Plus ils en ont et plus ils ont de chance d’être choisis. « La proof of stake a résolu une partie du problème, mais en rognant sur le principe de décentralisation, tempère Pascal Lafourcade, professeur à l’université Clermont-Auvergne et membre du Laboratoire d’informatique de modélisation et d’optimisation des systèmes1 (Limos). Il existe également un concept de proof of space, où les utilisateurs récompensés sont ceux qui allouent de l’espace disque pour stocker les données d’une blockchain. »
Expert en sécurité, notamment de véhicules connectés et d’examens en ligne, Pascal Lafourcade a quant à lui codéveloppé la proof of behavior. C’est alors la preuve d’un bon comportement qui est mise en avant. Le projet EcoMobiCoin, qu’il dirige, vise à établir un système où la blockchain est modifiable par les utilisateurs qui privilégient une mobilité verte : vélo, transports en commun, marche, etc. Une preuve de concept est en cours de développement. « Tout comme le bitcoin, le succès d’une cryptomonnaie dépend du fait que des individus et des entreprises acceptent d’être payés avec, reconnaît Pascal Lafourcade. Dans l’idée d’Ecomobicoin, on peut imaginer un cercle vertueux où les gens pourraient financer une partie de leurs déplacements avec les ecomobicoins qu’ils ont obtenus pour avoir favorisé les mobilités vertes. On pourrait diversifier les coins dans toutes sortes d’applications. J’aimerais par exemple explorer l’idée d’un éducoin où des professeurs attestent de la présence et de l’implication des élèves, qui sont alors récompensés. »
Alléger les blockchains
ll n’y a pas que les protocoles de validation des transactions qui peuvent être optimisés. À mesure que la blockchain enregistre de nouvelles transactions, le fichier partagé dans lequel elle est enregistrée ne cesse de s'alourdir. La blockchain Bitcoin pèse aujourd’hui près de 500 Teraoctets ! Quentin Bramas, maître de conférences à l’université de Strasbourg et membre du laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie2 (ICube), étudie notamment les algorithmes distribués, c’est-à-dire qui fonctionnent sur plusieurs machines en réseau en même temps et qui doivent malgré tout rester synchronisés. Ses travaux l’ont amené à explorer la robotique en essaim, parfois inspirée du mouvement des nuées d’oiseaux et des bancs de poissons, où l’on cherche à identifier la quantité de mémoire minimale nécessaire pour résoudre des tâches. Une problématique qui l’a mené jusqu’à s’intéresser aux blockchains. « Ces travaux se rejoignent sur la question du consensus : comment des systèmes décentralisés parviennent à se mettre d’accord sur chaque valeur, détaille Quentin Bramas. Ces approches sont assez théoriques, car il est parfois impossible d’y arriver à cause d’un manque d’informations. »
Le chercheur porte le projet Base Bloc3, financé par l’Agence nationale de la recherche, qui vise à réduire la consommation d’énergie, mais aussi d’espace des blockchains. En quête d’un algorithme de consensus plus économe, il approfondit le concept de proof of interaction, qu’il a codéveloppé. Ici, c’est le temps de transmission des messages dans le réseau des mineurs qui sert de critère pour le tirage au sort.
Ce point ne peut pas être accaparé par des utilisateurs qui se suréquiperaient, comme cela a lieu avec les mineurs de bitcoins qui ont à un moment fait flamber le prix des cartes graphiques. La proof of interaction réclame peu de puissance de calcul, et ce même quand la taille de la blockchain et le nombre d’usagers montent en flèche.
Il existe aussi des solutions moins algorithmiques, qui consistent à mieux cerner ce dont les gens ont réellement besoin face à certains effets de mode. « Une blockchain permet de vérifier ce qu’il s’est produit dans le passé, or, pour cela, toutes les informations ne sont pas forcément utiles, souligne Quentin Bramas. On peut donc identifier et enlever le superflu pour que le registre ne grandisse pas à l’infini à force d’échanges. De même, les entreprises s’intéressent souvent aux blockchains pour sécuriser des données partagées au sein d’un consortium. Dans ce cas, elles n’ont en fait pas besoin d’une blockchain publique et il est alors bien plus facile de concevoir des algorithmes sobres et efficaces. » ♦
À lire sur notre site
« Le réseau Bitcoin, une erreur follement coûteuse » (point de vue par Jean-Paul Delahaye, informaticien et mathématicien).
Bitcoin, bien plus qu'une monnaie (point de vue par Nicolas Houy et François Le Grand, économistes).
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.