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Comment s’adresser aux extraterrestres ?

Comment s’adresser aux extraterrestres ?

11.09.2024, par
Premier contact, 2016 © 21 Laps entertainment / FilmNation Entertainment / Lava Bear Films / Xenolinguistics / Collection ChristopheL
Image extraite du film "Premier contact" réalisé par Denis Villeneuve en 2016.
Entretien avec le linguiste Frédéric Landragin, qui vient de publier un petit guide de communication interstellaire.

Vous êtes l’auteur du Guide de communication interstellaire. Astrolinguistique, exploration spatiale, science-fiction, paru en juin aux Éditions de l’université Grenoble Alpes. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’astrolinguistique ?
Frédéric Landragin1. Linguiste, c’est un sujet que j’ai abordé en faisant de la vulgarisation. J’ai écrit un livre qui s'appelle Comment parler à un alien ? (Éditions du Bélial, 2018), qui est une introduction à la linguistique destinée à des lecteurs qui aiment la science-fiction. Je me suis attaché à analyser des références, comme par exemple les films Contact (de Robert Zemeckis, 1997, Ndlr) ou Premier Contact (de Denis Villeneuve, 2016, Ndlr), au prisme de cette discipline. Le livre a eu son petit succès et j’ai poursuivi mon exploration de l’astrolinguistique toujours en tant que vulgarisateur. Signalons quand même que ce n’est absolument pas une science mais le fait de quelques farfelus à travers le monde. Reste qu’observer leurs travaux est passionnant parce qu’ils abordent des questions cruciales telles que « Qu’est-ce qu’une langue ? » ou « Peut-il exister une langue universelle ? ».
 

Contact, 1997 © Warner Bros / Collection ChristopheL
Dans le film « Contact » de Robert Zemeckis, sorti en 1997 et inspiré du roman éponyme de l’astronome Carl Sagan, Jodie Foster incarne Ellie Arroway, une jeune astronome qui écoute le ciel en quête d'une intelligence extraterrestre.
Contact, 1997 © Warner Bros / Collection ChristopheL
Dans le film « Contact » de Robert Zemeckis, sorti en 1997 et inspiré du roman éponyme de l’astronome Carl Sagan, Jodie Foster incarne Ellie Arroway, une jeune astronome qui écoute le ciel en quête d'une intelligence extraterrestre.

Mais pourquoi chercher à communiquer avec des êtres dont on ne sait rien, pas même s’ils existent ?
F. L. Cela relève d’une question essentielle pour l’humanité : Sommes-nous seuls dans l'Univers ? Est-ce qu'il existe une autre, voire des millions d'autres planètes où la vie se serait développée ? Cette question est vertigineuse parce que quelle que soit la réponse, celle-ci est terrible. Si la vie n'existe que sur Terre, nous avons une responsabilité énorme. Si la vie existe ailleurs, nous sommes face à quelque chose qui peut remettre en question les religions. Dans un cas comme dans l’autre, la réponse sera très difficile à digérer. Néanmoins, cette quête motive certaines personnes à chercher à envoyer des messages à d’autres planètes et à réfléchir à la forme de messages pouvant être compris par des aliens.

Concrètement, comment s’y prend-on pour parler à une entité dont on ne sait rien ?
F. L. Au début du XXe siècle, des pionniers ont commencé par vouloir simplement signaler notre présence. Ils imaginaient mettre le feu dans des sortes de tranchées pour dessiner de grands signes visibles depuis la Lune ou Mars. On a ensuite réalisé que, sans le vouloir, nous avions déjà signalé notre présence via des émissions de radio ou de télévision jusqu’à des distances bien plus lointaines que celles qu’ont pu parcourir les sondes Pioneer et Voyager. Depuis les années 1960, l’objectif est d’envoyer des messages qui dépassent le simple signalement et qui transmettent un contenu sémantique. Les astrolinguistes sont alors entrés dans la danse et ont commencé à réfléchir à des formes de langages artificiels universellement compréhensibles sans ambiguïté, sans polysémie.
 

Image Nasa Ames
Dessin de la plaque métallique embarquée par les sondes spatiales Pioneer 10 et 11, en 1972 et 1973, sur une idée originale de l'astronome Carl Sagan.
Image Nasa Ames
Dessin de la plaque métallique embarquée par les sondes spatiales Pioneer 10 et 11, en 1972 et 1973, sur une idée originale de l'astronome Carl Sagan.

On s’est d’abord contenté de messages simples qui reprenaient les idées de l’astronome américain Carl Sagan et que l’on retrouve dans le film Contact. Puis il y a eu un message constitué d’une vingtaine de pages : celui-ci commence par les nombres, puis les nombres premiers, puis les opérateurs mathématiques d’addition et multiplication, puis l’égalité et le vrai ou le faux. Après ces préliminaires, il parvient à introduire la notion de question. Ce qui lui permet, in fine, de poser une série de questions telles que « Quelle est la masse de votre planète ? », « Quelle est votre taille ? », etc. Tout cela est fait dans un niveau de langage extrêmement simple où chaque question ne porte que sur un seul concept. Ce message est très basique, il n'y a pas de phrase, pas de syntaxe mais il a le mérite de poser des questions et pas uniquement de signaler une présence. Et c'est en cela qu’il est intéressant.

Mais n’est-ce pas dangereux de chercher à entrer en contact avec les habitants d’autres planètes ?
F. L. Il ne faut pas se leurrer : même s’il y a de la vie sur d’autres planètes, il y a toutefois très peu de chance que les messages soient délivrés et qu’une réponse nous revienne. Et quand bien même ce serait le cas, cette réponse mettrait un temps colossal à nous parvenir. Mais, oui, évidemment, cela pourrait être dangereux. Notamment si on a en tête l’histoire humaine, faite de civilisations qui se sont fait exterminer par d’autres, a fortiori quand on imagine des aliens dotés de technologies très avancées. Des scientifiques ont d’ailleurs recommandé d’arrêter d'envoyer des messages tant que toute l'humanité ne s’était pas mise d'accord sur le fait de nous signaler. Il s’agit toutefois d’une crainte très anthropocentrée qui suppute que ces aliens raisonnent comme des humains, ce dont nous ne savons rien.

On retrouve cet anthropocentrisme dans le fait d’avoir la plupart du temps envoyé non pas des messages construits dans des langages supposés universels mais des échantillons jugés représentatifs des cultures humaines sans aucune autre forme d’explication. On est par exemple parti du principe que les sons audibles par l’oreille humain le seraient aussi par les aliens – mais rien ne garantit que les aliens soient doués d’audition… 

Quelles sont les difficultés rencontrées pour élaborer des messages plus complexes et porteurs de sens ?
F. L. Le principal problème, c'est qu’il n’y a pas de terrain commun, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de connaissances en commun avec d’éventuels extraterrestres qui nous permettent d'avoir une base sur laquelle on construit un message. Il faut donc construire étape par étape ce terrain commun. Partant du principe que les mathématiques sont le langage le plus universel à notre disposition, c’est ce qui a été tenté quand on a construit un message introduisant progressivement les nombres premiers, les opérateurs mathématiques et logiques, etc.

Reste que nous sommes incapables de coder ainsi des prédicats comme parler, marcher, manger, etc. Ce n’est pas possible parce qu'on ne voit pas les extraterrestres et qu’ils ne nous voient pas : on ne peut ainsi pas leur montrer une action que l’on est en train de faire et en même temps, nommer cette action, comme c'est le cas dans le film Premier Contact (Arrival en anglais), où Louise Banks, la linguiste, demande à un physicien de marcher et en même temps, sur son ardoise, elle écrit : « Ian marche ». Il faudrait encoder une vidéo avec un message d’une personne en train de marcher et de l’associer avec un symbole qui correspond au prédicat marcher. C’est extrêmement long et fastidieux avec un fort risque d’ambiguïté et d’incompréhension. Pour l’heure, les astrolinguistes ont fait le choix de faire l’impasse sur ce genre de prédicats et de ne communiquer que via des notions mathématiques et logiques.

Close encounters of the third kind © Columbia / Steven Spielberg 1977 / Collection ChristopheL / NZ
Dans « Rencontres du troisième type » de Steven Spielberg (1977), le dialogue se noue avec des extraterrestres pacifiques grâce à cinq notes de musique et des lumières colorées.
Close encounters of the third kind © Columbia / Steven Spielberg 1977 / Collection ChristopheL / NZ
Dans « Rencontres du troisième type » de Steven Spielberg (1977), le dialogue se noue avec des extraterrestres pacifiques grâce à cinq notes de musique et des lumières colorées.

Depuis cinquante ans, il n’y a pas eu beaucoup de progrès et seule la Nasa accorde un peu de financements notamment aux travaux de Douglas Vakoch, mais cela n’évolue pas vraiment et on reste sur les idées de base de Carl Sagan consistant à envoyer des impulsions correspondant à des nombres premiers, c’est-à-dire des suites d’impulsions qui ne peuvent être qu'artificielles et qui n'ont rien à voir avec un bruit de fond de l’espace.

Les mathématiques jouent donc un rôle important dans la construction de messages interstellaires, mais l’astrolinguistique ne mobilise-t-elle pas d’autres disciplines ?
F. L. Dans les années 1970, il y a eu une conférence pionnière rassemblant soviétiques et américains.  Étaient invités des spécialistes de disciplines multiples, en particulier des astrophysiciens, des linguistes, des spécialistes de la communication, des logiciens, et des spécialistes d'intelligence artificielle – même si à l’époque il n’en avait pas beaucoup. Bref, globalement, le domaine des sciences cognitives, même s’ils ont dû également faire appel à des anthropologues et des éthologues. La linguistique en elle-même y est finalement assez peu présente : on n’en garde que les principes de base, puisque tout ce qui est morphologie ou syntaxe ne sert pas à grand-chose. 

Est-ce qu’à l’inverse, les recherches en astrolinguistique pourraient éclairer sur le langage humain ?
F. L. En réalité, pas vraiment, il n'y a pas de plus-value à en tirer. D’autant qu’en l’état, l'astrolinguistique ne pourra pas être considérée comme une science à part entière tant qu’on ne disposera pas d’un moyen d’en vérifier les hypothèses. La seule façon de le faire, ce serait que d’éventuels extraterrestres répondent et qu’on puisse déterminer ce qu’ils ont compris ou pas. Mais ça, c'est impossible pour l’instant. ♦

À lire
Guide de communication interstellaire. Astrolinguistique, exploration spatiale, science-fiction, Frédéric Landragin, UGA Éditions, juin 2024, 132 p. 
Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction, Frédéric Landragin, Le Bélial Éditions, octobre 2018, 272 p.

À lire sur notre site
Que valent les traducteurs automatiques de la science-fiction ? (point de vue par Frédéric Landragin)
Profession « conlanger », créer des langues pour la science-fiction (point de vue par Frédéric Landragin)

 

Notes
  • 1. Directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire Langues, textes, traitements informatiques, cognition (Lattice, CNRS/ENS-PSL/Université Sorbonne Nouvelle).

Commentaires

4 commentaires

Merci, pour l'article. Il y a deux points que je trouve savoureux : 1. "Cela relève d’une question essentielle pour l’humanité : Sommes-nous seuls dans l'Univers ?" En quoi, c'est essentiel ? Quelque part qu'est-ce qu'on s'en fiche ? (Sauf évidemment, si notre nombril est le centre de l'univers). 2. "nous sommes face à quelque chose qui peut remettre en question les religions", je vois pas pourquoi. Pas besoin de sonder l'Univers pour savoir si dieu existe (si tant est que cette phrase ait le moindre sens), quant aux religions il suffit de lire la bible pour se rendre compte (niveau de connaissance requis : collège) illico que c'est un ramassis de conneries éditées par des ignorants au moyen-âge, pas besoin de regarder les étoiles, le fait qu'on découvre une vie extra terrestre ou pas, ne changera pas l'avis des bigots. D'ailleurs, il y a eu un précédent, quand au 17 ème siècle la science naissante a démontré que la bible c'était surtout un tissus d'âneries, les bigots ont vite changé leur fusil d'épaule : Ah, bah, nan, alors... À partir de maintenant, la bible c'est comme de la poésie, il faut pas tout prendre au pied de la lettre, il faut lire entre les lignes (Les théologiens intelligents disent au XXIème siècle : "c'est une allégorie", roulez jeunesse !). Eh, oui, l'humain aime bien se raconter des histoires et y croire, se voiler la face, être dans le déni, ignorer qu'il croit et croire qu'il sait, comme dirait Hume (Et pas la peine de revenir, en vous gaussant, sinon j'apporte une preuve formelle de non existence du ou des "dieu" des religions)

Merci pour votre authentique commentaire, que je perçois/ressens comme attractif....je dirais hummm pour saveur sonore complémentaire et inévitablement en l'imaginaire/contrainte relative du mode média pour communication et pour assurément un répondant signal comme cette onomatopée qui illustre bien le reflexe conditionnel cf Pavlov...et cet opérant réaction cf Skinner... Bon Di-manche a vous et merci pour cette expérience :) , empan 8 untwisted gives O, it might bee (be)

Il est très dangereux d'essayer de contacter des extraterrestres dont on ne sait rien. Stephen Hawking avait d'ailleurs souligné le problème. Ceci dit, il est fort possible que nous ayons déjà été contacté. Je me réfère au documentaire "Contact" et non le film réalisé avec Wendelle Stevens sur le cas Billy Meier. https://www.youtube.com/watch?v=iBDVxJVLjC0 Ce dernier a bien écrit des milliers de pages de contact de haut niveau qui remettent en cause les religions en effet : https://www.futureofmankind.co.uk/Billy_Meier/The_Pleiadian/Plejaren_Contact_Reports

Intéressante lecture, cela me fait penser aussi aux conlangeur "conlanging" : https://lejournal.cnrs.fr/billets/profession-conlanger-creer-des-langues-pour-la-science-fiction...Les sons/vibrations primordiaux seraient une voie plus pertinente que le langage mathématique algébrique "virtuel concept etc" tout en faisant abstraction de la géométrie 2D ou 3D "forme/symboles" qui de concert avec le son serait le plus efficient mode de communication selon mon feeling , car nous y parvenons bien avec les autres espèces cf éthologie et puis la problématique d'être compris se présente déjà entre humain même de culture identique etc...j'ai souvent le sentiment d'être un peu extra-pas compris terrestrement avec d'autre humain, alors qu'il me semble plus aisé de le faire avec les autres espèces...mdr...je pense que toutes les langues écrites ou parlées qualifiées de vivantes, autant pour les dialectes sans académie ne seront comme tous les modèles de science trop restreint pour transmettre et ou réceptionner la totalité pour information/substance des échanges/transactions/communications aux sens physiques le plus globale etc ...inévitablement se sera multimodale transmission avec autant de sens physique possibles et relatif a l'espèce etc....mais sur terre les primordiaux pour sons/vibrations sont suffisamment universels etc
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