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Comment s’adresser aux extraterrestres ?
Vous êtes l’auteur du Guide de communication interstellaire. Astrolinguistique, exploration spatiale, science-fiction, paru en juin aux Éditions de l’université Grenoble Alpes. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’astrolinguistique ?
Frédéric Landragin1. Linguiste, c’est un sujet que j’ai abordé en faisant de la vulgarisation. J’ai écrit un livre qui s'appelle Comment parler à un alien ? (Éditions du Bélial, 2018), qui est une introduction à la linguistique destinée à des lecteurs qui aiment la science-fiction. Je me suis attaché à analyser des références, comme par exemple les films Contact (de Robert Zemeckis, 1997, Ndlr) ou Premier Contact (de Denis Villeneuve, 2016, Ndlr), au prisme de cette discipline. Le livre a eu son petit succès et j’ai poursuivi mon exploration de l’astrolinguistique toujours en tant que vulgarisateur. Signalons quand même que ce n’est absolument pas une science mais le fait de quelques farfelus à travers le monde. Reste qu’observer leurs travaux est passionnant parce qu’ils abordent des questions cruciales telles que « Qu’est-ce qu’une langue ? » ou « Peut-il exister une langue universelle ? ».
Mais pourquoi chercher à communiquer avec des êtres dont on ne sait rien, pas même s’ils existent ?
F. L. Cela relève d’une question essentielle pour l’humanité : Sommes-nous seuls dans l'Univers ? Est-ce qu'il existe une autre, voire des millions d'autres planètes où la vie se serait développée ? Cette question est vertigineuse parce que quelle que soit la réponse, celle-ci est terrible. Si la vie n'existe que sur Terre, nous avons une responsabilité énorme. Si la vie existe ailleurs, nous sommes face à quelque chose qui peut remettre en question les religions. Dans un cas comme dans l’autre, la réponse sera très difficile à digérer. Néanmoins, cette quête motive certaines personnes à chercher à envoyer des messages à d’autres planètes et à réfléchir à la forme de messages pouvant être compris par des aliens.
Concrètement, comment s’y prend-on pour parler à une entité dont on ne sait rien ?
F. L. Au début du XXe siècle, des pionniers ont commencé par vouloir simplement signaler notre présence. Ils imaginaient mettre le feu dans des sortes de tranchées pour dessiner de grands signes visibles depuis la Lune ou Mars. On a ensuite réalisé que, sans le vouloir, nous avions déjà signalé notre présence via des émissions de radio ou de télévision jusqu’à des distances bien plus lointaines que celles qu’ont pu parcourir les sondes Pioneer et Voyager. Depuis les années 1960, l’objectif est d’envoyer des messages qui dépassent le simple signalement et qui transmettent un contenu sémantique. Les astrolinguistes sont alors entrés dans la danse et ont commencé à réfléchir à des formes de langages artificiels universellement compréhensibles sans ambiguïté, sans polysémie.
On s’est d’abord contenté de messages simples qui reprenaient les idées de l’astronome américain Carl Sagan et que l’on retrouve dans le film Contact. Puis il y a eu un message constitué d’une vingtaine de pages : celui-ci commence par les nombres, puis les nombres premiers, puis les opérateurs mathématiques d’addition et multiplication, puis l’égalité et le vrai ou le faux. Après ces préliminaires, il parvient à introduire la notion de question. Ce qui lui permet, in fine, de poser une série de questions telles que « Quelle est la masse de votre planète ? », « Quelle est votre taille ? », etc. Tout cela est fait dans un niveau de langage extrêmement simple où chaque question ne porte que sur un seul concept. Ce message est très basique, il n'y a pas de phrase, pas de syntaxe mais il a le mérite de poser des questions et pas uniquement de signaler une présence. Et c'est en cela qu’il est intéressant.
Mais n’est-ce pas dangereux de chercher à entrer en contact avec les habitants d’autres planètes ?
F. L. Il ne faut pas se leurrer : même s’il y a de la vie sur d’autres planètes, il y a toutefois très peu de chance que les messages soient délivrés et qu’une réponse nous revienne. Et quand bien même ce serait le cas, cette réponse mettrait un temps colossal à nous parvenir. Mais, oui, évidemment, cela pourrait être dangereux. Notamment si on a en tête l’histoire humaine, faite de civilisations qui se sont fait exterminer par d’autres, a fortiori quand on imagine des aliens dotés de technologies très avancées. Des scientifiques ont d’ailleurs recommandé d’arrêter d'envoyer des messages tant que toute l'humanité ne s’était pas mise d'accord sur le fait de nous signaler. Il s’agit toutefois d’une crainte très anthropocentrée qui suppute que ces aliens raisonnent comme des humains, ce dont nous ne savons rien.
On retrouve cet anthropocentrisme dans le fait d’avoir la plupart du temps envoyé non pas des messages construits dans des langages supposés universels mais des échantillons jugés représentatifs des cultures humaines sans aucune autre forme d’explication. On est par exemple parti du principe que les sons audibles par l’oreille humain le seraient aussi par les aliens – mais rien ne garantit que les aliens soient doués d’audition…
Quelles sont les difficultés rencontrées pour élaborer des messages plus complexes et porteurs de sens ?
F. L. Le principal problème, c'est qu’il n’y a pas de terrain commun, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de connaissances en commun avec d’éventuels extraterrestres qui nous permettent d'avoir une base sur laquelle on construit un message. Il faut donc construire étape par étape ce terrain commun. Partant du principe que les mathématiques sont le langage le plus universel à notre disposition, c’est ce qui a été tenté quand on a construit un message introduisant progressivement les nombres premiers, les opérateurs mathématiques et logiques, etc.
Reste que nous sommes incapables de coder ainsi des prédicats comme parler, marcher, manger, etc. Ce n’est pas possible parce qu'on ne voit pas les extraterrestres et qu’ils ne nous voient pas : on ne peut ainsi pas leur montrer une action que l’on est en train de faire et en même temps, nommer cette action, comme c'est le cas dans le film Premier Contact (Arrival en anglais), où Louise Banks, la linguiste, demande à un physicien de marcher et en même temps, sur son ardoise, elle écrit : « Ian marche ». Il faudrait encoder une vidéo avec un message d’une personne en train de marcher et de l’associer avec un symbole qui correspond au prédicat marcher. C’est extrêmement long et fastidieux avec un fort risque d’ambiguïté et d’incompréhension. Pour l’heure, les astrolinguistes ont fait le choix de faire l’impasse sur ce genre de prédicats et de ne communiquer que via des notions mathématiques et logiques.
Depuis cinquante ans, il n’y a pas eu beaucoup de progrès et seule la Nasa accorde un peu de financements notamment aux travaux de Douglas Vakoch, mais cela n’évolue pas vraiment et on reste sur les idées de base de Carl Sagan consistant à envoyer des impulsions correspondant à des nombres premiers, c’est-à-dire des suites d’impulsions qui ne peuvent être qu'artificielles et qui n'ont rien à voir avec un bruit de fond de l’espace.
Les mathématiques jouent donc un rôle important dans la construction de messages interstellaires, mais l’astrolinguistique ne mobilise-t-elle pas d’autres disciplines ?
F. L. Dans les années 1970, il y a eu une conférence pionnière rassemblant soviétiques et américains. Étaient invités des spécialistes de disciplines multiples, en particulier des astrophysiciens, des linguistes, des spécialistes de la communication, des logiciens, et des spécialistes d'intelligence artificielle – même si à l’époque il n’en avait pas beaucoup. Bref, globalement, le domaine des sciences cognitives, même s’ils ont dû également faire appel à des anthropologues et des éthologues. La linguistique en elle-même y est finalement assez peu présente : on n’en garde que les principes de base, puisque tout ce qui est morphologie ou syntaxe ne sert pas à grand-chose.
Est-ce qu’à l’inverse, les recherches en astrolinguistique pourraient éclairer sur le langage humain ?
F. L. En réalité, pas vraiment, il n'y a pas de plus-value à en tirer. D’autant qu’en l’état, l'astrolinguistique ne pourra pas être considérée comme une science à part entière tant qu’on ne disposera pas d’un moyen d’en vérifier les hypothèses. La seule façon de le faire, ce serait que d’éventuels extraterrestres répondent et qu’on puisse déterminer ce qu’ils ont compris ou pas. Mais ça, c'est impossible pour l’instant. ♦
À lire
Guide de communication interstellaire. Astrolinguistique, exploration spatiale, science-fiction, Frédéric Landragin, UGA Éditions, juin 2024, 132 p.
Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction, Frédéric Landragin, Le Bélial Éditions, octobre 2018, 272 p.
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- 1. Directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire Langues, textes, traitements informatiques, cognition (Lattice, CNRS/ENS-PSL/Université Sorbonne Nouvelle).
Commentaires
Merci, pour l'article.
Camille314159 le 13 Septembre 2024 à 15h07Il est très dangereux d
LE le 13 Septembre 2024 à 17h30Connectez-vous, rejoignez la communauté
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