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Agriculture : des logiciels pour les «circuits courts»
Manger local grâce aux circuits courts. C’est ce que demandent de plus en plus de consommateurs, qui n’hésitent plus à acheter directement auprès des agriculteurs de leur région. Une tendance suivie de près par la restauration collective : un peu partout en France, des initiatives fleurissent qui mettent en relation les producteurs locaux et les gestionnaires de cantines. Résultat : aujourd’hui, en France, un paysan sur cinq vend une partie de sa production en circuit court. Des chercheurs en optimisation et en informatique se sont penchés sur ces circuits afin de les rendre plus efficaces.
A Grenoble, Van-Dat Cung et son équipe du laboratoire des Sciences pour la conception, l’optimisation et la production (G-SCOP) (*) ont décidé de faire bénéficier des logiciels d’optimisation et d’aide à la décision un secteur, le monde agricole, qui y a encore peu recours, contrairement à l’industrie notamment. « Nous avons plus spécifiquement travaillé avec deux associations de producteurs de fruits et légumes de l’Isère, rassemblant chacune une cinquantaine de producteurs » raconte Van-Dat Cung. L’objectif : aider ces producteurs à fournir les cantines scolaires et la restauration collective du département en produits locaux frais tout en ayant des prix rémunérateurs. « Il y a une vraie demande de produits de qualité de la part des parents d’élèves, mais sans la mise en place d’une véritable chaîne de distribution en circuit court – sans intermédiaire, ou avec un intermédiaire maximum, donc -, les producteurs locaux ont le plus grand mal à répondre à cette demande. »
Bien décidés à trouver l’organisation la plus pertinente, les chercheurs ont mis à plat toute la chaîne logistique : qui transporte les produits, par quel moyen, où sont-ils stockés le cas échéant… Ils ont montré que l’organisation choisie par les producteurs n’est pas toujours optimale : « il y a beaucoup de coûts cachés, relève Van-Dat Cung. Certains producteurs s’organisent entre eux pour récupérer les produits les uns chez les autres et choisissent qui livrera le client final en fonction de critères géographiques, notamment… Mais ils comptabilisent rarement ce temps de livraison dans leur structure de coûts. » Après avoir simulé plusieurs types d’organisation, les chercheurs ont conclu qu’il n’était pas toujours rentable pour les producteurs de gérer eux-mêmes la logistique et le transport. « A l’échelle de quelques dizaines de producteurs, il est parfois plus avantageux de sous-traiter à un professionnel du transport », note Van-Dat Cung.
Autre maillon de la chaîne logistique, une plateforme de stockage et de redistribution s’avère bien souvent nécessaire et pourra être mise en place par les associations de producteurs. Dernière préconisation, spécifique aux producteurs de fruits et légumes souhaitant livrer la restauration collective en circuit court, en complément de la commercialisation via les circuits longs (négociants, coopératives, etc…) : s’équiper d’une légumerie qui transformera en produits prêts à l’emploi les légumes frais. « Les cantines n’ont souvent plus le savoir-faire ni le personnel pour travailler les produits bruts », remarque Van-Dat Cung.
Des outils pour les fermes urbaines
Les producteurs de fruits et légumes isérois ne sont pas les seuls à profiter de la science de l’optimisation. Un autre projet en cours au laboratoire G-SCOP vise cette fois… les fermes urbaines et péri-urbaines, qui connaissent un engouement croissant dans les grandes métropoles, comme les fermes de Gally et de Viltain, en région parisienne, ou les « rooftop farms » (fermes sur les toits) new-yorkaises. « De plus en plus de jeunes agriculteurs souhaitent s’installer en périphérie des villes. Mais ils ne veulent pas se lancer à l’aveugle et ont besoin de savoir quelle taille d’exploitation viser, quelles productions lancer afin de répondre au mieux à la demande locale », indique Van-Dat Cung. Un logiciel est en cours de développement pour répondre à toutes ces interrogations et pourrait être commercialisé à l’issue de la thèse de Nicolas Brulard, le jeune chercheur en charge de ce projet. « Nous avons prévu d’introduire dans nos modèles des activités annexes comme les activités pédagogiques, raconte Van-Dat Cung, car elles sont souvent bien utiles pour atteindre le seuil de rentabilité. » Une chose est sûre : informatisée ou non, la ferme de demain ne ressemblera pas à celle de nos grands-parents.
(*) CNRS/Grenoble INP/Université Grenoble Alpes
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.