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A quoi servent les vacances ?
« Le farniente est une merveilleuse occupation. Dommage qu’il faille y renoncer pendant les vacances, l’essentiel étant alors de faire quelque chose », écrivait l’écrivain français Pierre Daninos en 1958 dans Vacances à tout prix, en regrettant l’oisiveté assumée des bourgeois du XIXe siècle dans leurs villégiatures. Avec l’instauration des premiers congés payés par le Front populaire en 1936 – deux semaines, portées à cinq semaines en 1982 –, puis la mise en place des 35 heures, les Français n’ont jamais eu autant de temps libre… Et ce temps libre n’a jamais été aussi actif !
Une conquête encore récente
« Des vacances où l’on ne fait rien, cela n’a jamais existé », affirme le sociologue Jean Viard1, spécialiste du sujet et auteur du livre Le Triomphe d’une utopie. C’est une période où l’on sort du quotidien, où l’on vit donc de nouvelles expériences et des interactions sociales différentes. C’est, notamment, un moment privilégié pour l’affectif. « On consolide la famille », met en avant le sociologue, qui rappelle que « beaucoup de couples ne se voient pratiquement plus le soir ». Autre enjeu des vacances : elles sont une retraite de la vie ordinaire. « Le vacancier va acquérir une nouvelle expérience qu’il va pouvoir confronter avec sa vie au retour », explique le sociologue. C’est notamment très important pour les enfants qui y apprennent la mobilité – comment prendre le train par exemple – et s’approprient une culture du voyage. Ils auront ainsi moins peur de l’inconnu et partiront par la suite plus facilement à la découverte du monde. D'un point de vue strictement économique, les vacances servent enfin à garantir l'efficacité des travailleurs. “Faire des ruptures est nécessaire à la productivité, indique Jean Viard. Croire qu’on produit beaucoup parce qu’on travaille beaucoup est une absurdité.” C’est également pendant cette période que le salarié consolide certaines compétences indispensables dans la vie professionnelle : utilisation d'Internet et des réseaux sociaux, par exemple, ou pratique des langues étrangères pour ceux qui partent à l'étranger...
rapporté le cas
d’ouvriers venus
vérifier qu’on
ne les avait pas
remplacés durant
leurs congés !
Pourtant, partir en vacances n’a pas toujours été une évidence. Il a en réalité fallu attendre les années 1950 pour que les ouvriers, qui représentaient alors un tiers de la population française, quittent leur cadre quotidien et se lancent dans les grandes transhumances estivales, grâce notamment au développement des transports et à l’essor des clubs de vacances. Ces classes populaires qui, au XIXe siècle, s’étaient vu imposer des journées de 12 heures, sans repos dominical (celui-ci avait été supprimé par la Révolution française, violemment anticléricale), « se demandaient ce qu’elles allaient bien pouvoir faire de ce temps libre, explique l’historien André Rauch, auteur du livre Vacances en France de 1830 à nos jours. On a même rapporté le cas d’ouvriers venus vérifier qu’on ne les avait pas remplacés durant leurs congés ! »
Un facteur majeur d’intégration sociale
En l’espace d’une génération seulement, les vacances sont devenues un facteur majeur d’intégration sociale, selon André Rauch. Même les retraités, ces « éternels vacanciers », partent en congés, qui deviennent alors davantage une rupture avec la vie quotidienne qu’avec le travail en tant que tel. Conséquence : celui qui ne part pas en vacances se retrouve marginalisé. C’est le cas d’une partie de la jeunesse des banlieues, des femmes seules, des personnes âgées ou encore malades… « Il y a une profonde inégalité, pointe Jean Viard. Un tiers de la population française ne part pas du tout en vacances, un tiers voyage une ou deux fois dans l’année tandis que le denier tiers part jusqu’à sept fois par an et possède souvent une résidence secondaire. »
Apparues récemment dans nos existences, les vacances n’en continuent pas moins de se transformer. La nouvelle tendance est ainsi à la fragmentation. Découpées en tranches sur l’année, les vacances se révèlent plus brèves que par le passé. À sa création, le club Med, ancêtre de tous les clubs de vacances, ne proposait que des séjours de deux mois ! Aujourd’hui, son catalogue s’est adapté et contient des week-ends de quatre jours. « On a aujourd’hui plus de mal à débrancher, on fait donc de plus petites ruptures mais plus nombreuses », décrypte Jean Viard. Preuve qu’il est devenu difficile de se déconnecter, plus de la moitié des Français travailleraient durant les vacances !
Il y a un vrai paradoxe dans ces nouvelles habitudes. Une certaine hyperactivité des vacances, couplée à l’incitation à produire toujours plus dans le monde du travail, « s’accompagne d’un sentiment général de manque de temps alors que, du temps, nous n’en avons jamais eu autant », conclut Jean Viard. Les chiffres sont édifiants : aujourd’hui, si l’on tient compte des études à rallonge, des 35 heures, de la retraite, nous ne consacrons plus que 14 % de notre vie éveillée au travail… contre 70 % au XIXe siècle.
- 1. Directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof, CNRS/Sciences Po).
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Auteur
Journaliste scientifique, Taïna Cluzeau écrit pour les magazines Ça m’intéresse et Science et Vie junior. Ses thèmes de prédilection sont l’astronomie, le développement durable et la sociologie.
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Le concept de vacances est
raison d'être le 5 Octobre 2024 à 17h31Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS