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L'Homme a son musée
Temps de lecture : 9 minutes16 000 mètres carrés orientés sud, vue sur la tour Eiffel… L’adresse parisienne de Néandertal et Cro-Magnon ferait tourner la tête de plus d’un agent immobilier. Après six années de travaux et un investissement de 92 millions d’euros, le musée de l’Homme a enfin réintégré l’aile ouest du palais de Chaillot et ouvrira officiellement ses portes au public ce samedi 17 octobre. Si la localisation de cette institution sous tutelle du Muséum national d’histoire naturelle n’a pas changé, le propos, lui, a été largement revisité. « Ce musée créé en 1938 par l’ethnologue Paul Rivet n’avait quasiment pas évolué, rappelle Évelyne Heyer, la commissaire scientifique du Musée qui a suivi toute la rénovation1. Or les sciences de l’Homme ont connu de vrais bouleversements, avec la génétique et les nouvelles méthodes de datation, notamment. » Le transfert, en 2002, des collections d’ethnologie exposées au musée de l’Homme vers le musée du quai Branly n’a fait que confirmer la nécessité d’un profond relifting.
Un musée entièrement repensé
C’est donc un musée totalement neuf qui se donne aujourd’hui à voir. Déclinée en trois volets, « Qui sommes-nous ? », « D’où venons-nous ? », « Où allons-nous ? », l’exposition permanente propose d’explorer l’Homme à travers toutes ses facettes : biologique, mais aussi culturelle et sociale. Qu’est-ce qui fait l’Homme, qu’est-ce qui le différencie ou au contraire le rapproche des autres espèces, comment se donne à voir la diversité du genre Homo dans le temps comme dans l’espace ? « S’il aborde évidemment la question de nos origines, le musée de l’Homme n’est pas un musée de la Préhistoire, insiste Évelyne Heyer. Le propos est beaucoup plus large et consacre ainsi une large place au rapport de l’Homme moderne à son environnement et à l’impact de la globalisation sur les sociétés. »
Cette approche résolument interdisciplinaire n’est pas une coquetterie de muséographe : « elle reflète avant tout l’activité des 150 chercheurs, préhistoriens, anthropologues, ethnologues ou encore généticiens qui travaillent dans les «coulisses» de ce musée et ont directement contribué à bâtir le propos scientifique des espaces ouverts aux visiteurs, explique Bruno David, le nouveau président du MNHN. Nous voulons établir un lien très fort entre les missions de diffusion et de recherche de cet établissement. »
primatologie au
musée de l’Homme
envoie un message
fort sur le fait
que l’Homme est
dans le vivant.
Car le musée de l’Homme n’est pas un musée comme les autres : fidèle au concept de musée-laboratoire voulu par Paul Rivet, il accueille dans ses locaux le Centre de recherche sur l’évolution de l’Homme et des sociétés, organisé en deux départements – Histoire naturelle de l’Homme préhistorique2 et Hommes, natures, sociétés3, tous deux liés au CNRS – auxquels ont été rattachés un tout nouveau centre de génétique humaine ainsi que l’équipe de primatologie jusque-là hébergée au Muséum national d’histoire naturelle. « Faire entrer la primatologie au musée de l’Homme envoie un message fort sur le fait que l’Homme est dans le vivant, signale Évelyne Heyer. Autrefois, on faisait une distinction forte entre primates non humains et primates humains, mais aujourd’hui on se rend compte que la frontière entre les deux est de plus en plus floue. »
Dans leurs locaux flambant neufs, où ils ont emménagé dès décembre 2014, les chercheurs profitent d’une bibliothèque de recherche, d’un accès aux collections – 700 000 objets de Préhistoire, 30 000 spécimens et représentations du corps humain témoignant de la diversité des Hommes modernes, 6 000 objets illustrant l’appropriation de la nature par les sociétés humaines –, mais aussi et surtout de quatre plateaux techniques dernier cri.
Un plateau « imagerie et modélisation 2D/3D », doté (entre autres) d’un scanner surfacique 3D et d’un équipement photogrammétrique, leur permettra d’archiver les fossiles, de les comparer plus facilement et surtout de les manipuler sans risque. Le plateau « paléogénomique et génétique moléculaire humaine », équipé d’un amplificateur d’ADN, offre la possibilité d’analyser aussi bien l’ADN ancien prélevé sur les fossiles que les échantillons rapportés du terrain par les anthropologues et les ethnologues. Le plateau « datation et caractérisation des matériaux » (faune et flore fossiles, outils en pierre…) comprend notamment une salle de datation à l’uranium-thorium permettant de remonter le temps jusqu’à 600 000 ans et une salle blindée destinée à étudier l’enregistrement du champ magnétique terrestre fixé dans les objets et sédiments archéologiques… Enfin, le plateau « audiovisuel » ambitionne d’exploiter les milliers d’enregistrements et de films rapportés du terrain par les chercheurs ou issus des collections du musée…
Un parcours, trois questions
Pour l’heure, tous, du paléoanthropologue (qui étudie les fossiles humains) à l’ethnoécologue (qui explore les relations des sociétés humaines à leur environnement) en passant par le paléoclimatologue ou le géologue (qui s’intéressent aux milieux dans lesquels l’Homme évolue depuis ses origines), sont tendus vers une même perspective : voir comment les visiteurs vont réagir aux espaces qu’ils ont conçus pour eux, en collaboration avec l’équipe muséographique du musée…
Volontairement située en début de parcours, la première interrogation, « Qui sommes-nous ? », interpelle directement le visiteur. « C’est tout de même le seul musée dont nous sommes aussi l’objet ! », remarque Évelyne Heyer. Cires anatomiques, crânes, objets tirés des très riches collections du musée permettent d’envisager l’Homme dans ce qui le définit : la pensée, la vie en société, le langage ou, encore, le corps… « Le corps humain n’est jamais nu, commente Marie Merlin, chef de projet au sein de l’équipe muséographique du musée. Tatouages, parures ou déformations volontaires permettent de le magnifier, en fonction des époques et des cultures. » Ainsi, ce moulage du crâne (volontairement) allongé de la mathématicienne Sophie Germain pointe sur une tradition qui a perduré en France jusqu’au début du XIXe siècle. Le langage, autre particularité de l’Homme, est, lui, envisagé de façon résolument ludique : une gigantesque langue en résine dans laquelle le visiteur est invité à pénétrer permet de découvrir les techniques de chant de dizaines de populations à travers le monde, tandis qu’un immense planisphère interactif permet d’écouter une trentaine d’idiomes parlés sur la planète parmi les 7 000 aujourd’hui recensés.
évolution linéaire
menant des grands
singes à l’Homme
moderne a vécu.
Deuxième volet de l’exposition permanente, « D’où venons-nous ? » retrace l’histoire de nos origines à la lumière des dernières découvertes scientifiques. « Le cliché d’une évolution linéaire menant des grands singes à l’Homme moderne a vécu, rappelle Évelyne Heyer. Nous montrons au contraire que cette évolution est buissonnante et a vu coexister plusieurs espèces d’Hommes en même temps. »
Pour illustrer ce foisonnement d’espèces, des fossiles de nos grands ancêtres sont présentés, comme celui de Toumaï, le premier prétendant à la lignée humaine, ou de Lucy, jeune australopithèque découverte par Yves Coppens en 1974. « Nous avons fait le choix de replacer ces fossiles dans leur environnement, avec notamment les outils qu’ils fabriquaient », raconte Marie Merlin. Pour la toute première fois, les originaux des crânes éponymes de Néandertal et de Cro-Magnon sont présentés au public, dans l’« abri des ancêtres ». Trésor du paléolithique supérieur, l’original de la Vénus de Lespugue, cette célèbre statuette féminine en ivoire de mammouth, est également exposée aux côtés de la Vénus impudique ou des « bâtons percés ».
« Où allons-nous ? », dernière partie du musée, interroge le devenir de l’humain et de sa planète. Quelle empreinte laissons-nous sur l’environnement, avec la surpêche, la déforestation, le réchauffement climatique… ? La question de la globalisation y est également abordée sous l’angle de l’ethnologie – ou comment, partout sur le globe, les populations se réapproprient les objets de la mondialisation. Exemple avec cet ensemble de plats en vannerie traditionnelle sarahouie faits à partir de… plastique recyclé, ou cette véritable yourte mongole séparée en deux univers distincts : d’un côté, l’habitat traditionnel mongol, de l’autre, le nouvel hébergement à la mode pour Occidentaux en quête d’authenticité.
Véritable innovation du musée de l’Homme version 2015, le Balcon des sciences fait le lien entre les espaces muséographiques et les chercheurs qui travaillent en coulisses. Cet espace qui propose au public de découvrir les dernières actualités des sciences de l’Homme et les méthodes de travail des scientifiques accueillera toutes les semaines un chercheur pour répondre aux interrogations des visiteurs. On est un musée-laboratoire ou on ne l’est pas.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.