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400 gènes dévoilent leur fonction
![©P. LATRON/INSERM Mesure de la perception visuelle chez la souris.](https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/visuel_principal/public/assets/images/inserm_47134.jpg?itok=9mQjXhbX)
Si l’on a depuis longtemps décodé le génome de la souris et identifié les 25.000 gènes portés par son ADN, les chercheurs sont loin de connaître le rôle de chacun. « A peine un tiers des gènes, soit environ 7000, est associé à une fonction » reconnaît Yann Hérault, le directeur de l’Institut clinique de la souris à Strasbourg1, un centre de recherche spécialisé dans le diagnostic clinique et la création de lignées mutantes de souris. Généralement, c’est au cours de leurs recherches, qui sur le diabète, qui sur Alzheimer, qui sur la sclérose en plaques…, que les scientifiques identifient le ou les gènes impliqués, sans chercher à en savoir plus sur les autres rôles qu’ils pourraient éventuellement jouer dans l’organisme. Les quatre centres de recherche européens du programme Eumodic, dont fait partie la Clinique de la souris, ont décidé de prendre le problème à l’envers et de passer systématiquement au crible le génome du rongeur afin d’attribuer au moins une fonction à chaque gène. La première étude, publiée fin juillet dans Nature Genetics2, s’est attaquée à 449 gènes inconnus ou mal connus des chercheurs, révélant la fonction de plus de 80% d’entre eux. Un beau résultat qui cache un modus operandi parfaitement rôdé.
Une batterie de tests
Pour connaître la fonction d’un gène, la méthode la plus efficace consiste à supprimer celui-ci chez un groupe d’individus et à observer les conséquences de ce manque sur l’organisme, par rapport à une population de contrôle. 449 lignées de souris mutantes ont ainsi été créées, chacune étant privée d’un et d’un seul gène. Une batterie de 20 examens standardisés, permettant de tester plus de 400 paramètres différents, a été parallèlement mise au point afin de déceler les déficiences provoquées par l’absence de chacun des gènes étudiés. « Ces examens fonctionnels, peu invasifs, permettent de tester aussi bien la morphologie, le métabolisme, le système cardio-vasculaire, le système sanguin… que les troubles du comportement ou les fonctions sensorielles comme l’audition », énumère Yann Hérault.
Au-delà de la base de données ainsi créée, les travaux du consortium Eumodic ont réservé plusieurs belles surprises aux chercheurs. « Sur les 179 gènes analysés qui n’étaient reliés à aucune fonction et font partie de la zone noire de notre génome ou « ignorome », 42 ont pu être associés à de nouvelles maladies chez l’homme », se félicite le biologiste. Parmi eux, Elmod 1 - c’est son petit nom… -, se retrouve impliqué dans une région du génome associée à l’activité locomotrice, tandis qu’Aldh3a2 joue un rôle dans le syndrome de Sjogren Larsson, une maladie orpheline responsable de déficience intellectuelle.
Des gènes multicartes
Grâce à ce travail d’analyse systématique, on en sait également plus sur le fonctionnement même de nos gènes. Premier enseignement : la plupart des gènes sont « pléiotropiques », c’est-à-dire qu’ils sont associés à plusieurs fonctions différentes - jusqu’à 90 pour certains d’entre eux ! « On savait que les gènes pouvaient être impliqués dans plusieurs fonctions - un gène va par exemple affecter le poids et le volume des plaquettes sanguines. Mais on a ici la confirmation à grande échelle que la pléiotropie n’est pas l’exception, mais bien la règle dans le génome » s’enthousiasme Yann Hérault.
Autre révélation de taille dans la compréhension des maladies : contrairement à ce que l’on pouvait croire, l’hétérozygotieFermerChez les mammifères, chaque gène existe en double, une copie (ou allèle) étant héritée du père, l’autre de la mère. Quand les deux copies sont différentes, l’individu est dit hétérozygote pour ce gène, lorsqu’elles sont identiques, l’individu est dit homozygote. ne protège pas d’éventuelles déficiences. Pour le découvrir, les chercheurs ont désactivé soit une copie du gène étudié, soit les deux copies, chez 43 lignées de souris mutantes. Résultat : le taux de défaut observé est le même, qu’il subsiste une copie du gène ou aucune. « Chez l’homme, on pensait que le plus souvent, il fallait deux copies altérées pour que la fonction d’un gène soit impactée, on sait désormais qu’une seule copie altérée peut entraîner un dysfonctionnement notable » explique Yann Hérault.
Encouragés par ces premiers résultats, les chercheurs sont passés à la vitesse supérieure : analyser 5000 gènes supplémentaires. Le projet démarré en 2011 dans le cadre de l’IMPC (International Mouse Phenotyping Consortium) implique 18 centres spécialisés partout dans le monde et devrait livrer ses résultats d’ici deux ans. Et ce n’est que le début. « Nous pensons décrypter l’ensemble des gènes dans les dix ans qui viennent », indique Yann Hérault, qui précise que toutes les données produites sont libres de droits et mises à disposition de la communauté scientifique. « Nous espérons que les chercheurs du monde entier, chacun dans leur domaine, vont se saisir de cette base de données et pousser plus loin les analyses pour les gènes qui les concernent directement. »
- 1. L'institut clinique de la souris fait partie de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (Unité CNRS/Inserm/Université de Strasbourg)
- 2. « Analysis of mammalian gene function through broad-based phenotypic screens across a consortium of mouse clinics”, publié online le 27 juillet 2015
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.