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Bulles de science
Comment est née votre collaboration ?
Christine Joblin1 : Le Conseil européen de la recherche (ERC, pour European Research Council.) cherchait à rendre accessible des sujets de recherche complexes par le biais d’une narration visuelle inventive. L’organisme finance des projets d’excellence scientifique, considérés comme ambitieux, exploratoires et originaux, afin d’aller au-delà des frontières de la connaissance. Parmi eux, dix-huit ont été adaptés en bande dessinée sur le Web. Estrella, pour l'instant uniquement en Anglais, s’inspire de notre projet ERC Synergy qui s’appelle Nanocosmos. L’objectif de celui-ci est d’obtenir une vision nouvelle des poussières cosmiques, de leur origine dans les enveloppes d’étoiles en fin de vie, à leur voyage dans le milieu interstellaire et les régions de formation stellaire et planétaire. ERC Synergy combine des observations provenant de grands télescopes et des expériences en laboratoire. Ces dernières utilisent des appareils complexes, spécifiquement développés pour le projet, comme Stardust, machine dans laquelle Estrella va effectuer un voyage. Trois coordinateurs sont impliqués dans ce projet et une soixantaine de chercheurs, d'ingénieurs et d'étudiants y contribuent.
Lorenzo Palloni : Cette démarche, baptisée ERCcOMICS, est chapeautée par Sorbonne Université et l’agence de communication la Bande Destinée qui m’a contacté pour je fasse partie de l’aventure. On m’a proposé plusieurs thématiques et l’amateur de science-fiction que je suis a immédiatement accroché aux recherches de Christine et de ses deux collègues espagnols, Jose Cernicharo et José Angel Martín-Gago du CSIC à Madrid2. L’Espace et la mort des étoiles, je ne pouvais rêver mieux ! Les autres BD offrent un panel varié, c’est tout l’intérêt d’ERCcOMICS. Il y est question de la quête d’invisibilité, de la relation des hommes avec les robots, et même des racines du yoga Ayurveda.
La vulgarisation scientifique via le dessin a la cote ces temps-ci, notamment avec la série de Marion Montaigne Tu mourras moins bête. Quelle force la bande dessinée possède-t-elle par rapport au livre ou à la télévision pour raconter la science ?
L.P. : Pour moi, la BD est le médium parfait pour communiquer sur la science. Il procure littéralement une double lecture : à la première, le lecteur s’intéresse à l’histoire et, à la seconde, il peut plonger plus profondément dans la science.
C.J. : La BD permet de s’adresser directement à l’imagination du lecteur. Les chercheurs doivent réussir à s’éloigner des aspects techniques et mathématiques pour vulgariser leurs recherches, mais aussi pour transmettre la passion qui les anime et attirer de nouveaux publics vers la science.
Vous n’avez pas suivi d’études de sciences. L’échange avec des chercheurs a-t-il été simple ?
L.P. : J’ai dû lire plusieurs livres de vulgarisation pour me mettre à niveau! Sinon, cela s’est très bien passé. Nanoscomos, le projet de recherche sur lequel travaille Christine, se déroule sur deux site, un à Toulouse et un à Madrid, en Espagne. Je suis allé visiter celui de Madrid, puis j’ai échangé par Skype avec toute l’équipe. Ensuite, j’ai écrit quatre pitchs que j’ai proposés aux gens d’ERCcOMICS qui ont choisi la synthèse présentant le meilleur équilibre entre science et narration.
Le potentiel graphique était-il aussi important ? Car Estrella était destinée à être publiée sur Internet…
L.P. : Oui, car le langage d’une BD pour Internet est différent de celui destiné au papier. Estrella se lit toujours de gauche à droite et le lecteur appuie sur une touche pour faire avancer l’histoire. Comme une partie de l'histoire se déroule dans la machine Stardust, sorte de long tube installé au laboratoire de Madrid, cela m’a permis de créer des effets qui stimulent l’imagination du lecteur. L’histoire y est plus visuelle et plus forte que dans une BD classique.
Le titre de la BD est emprunté à la fillette qui va visiter le nanomonde en compagnie de son père chercheur. Émue par le voyage, elle décidera de consacrer sa vie à la science et, par une pirouette scénaristique, reviendra dans le passé aider ses parents, ceux-là mêmes qui simulent le crépuscule stellaire. En quoi les cendres des étoiles peuvent-elles intéresser une si jeune héroïne ?
L.P. : Pour que mes personnages sonnent vrais, je mets toujours quelque chose qui m’appartient en eux. J’ai mis dans Estrella ma fascination pour l’origine de la vie…
C.J. : Nanocosmos participe en effet à la grande quête des origines. Il s’agit de comprendre d’où viennent les éléments qui nous composent et en quoi nous sommes tous des poussières d’étoiles. Celles-ci constituent en effet les briques de la formation des étoiles et des planètes et la première matière mise en jeu dans l’apparition de la vie.
On imagine que c’est une tâche herculéenne de reproduire en laboratoire la mort d’une étoile. Et pourtant vous vous servez d’instruments qui tiendraient dans un salon…
C.J. : Un salon un peu grand tout de même. C’est évidemment impossible de simuler la mort d’une étoile en laboratoire. Notre objectif est de comprendre la chimie mise en jeu à la fin de la vie des étoiles (une catégorie d’étoiles nommées géantes rouges) qui aboutit à la formation des poussières cosmiques. Notre machine Stardust recrée un environnement où les conditions physiques (la pression, la température) et chimiques (la composition du gaz) sont conformes aux informations données par les observations astronomiques.
Dans la BD, vous insistez sur le fait que ces recherches fondamentales auront des débouchés technologiques.
C.J. : Les grandes avancées technologiques ont été favorisées par des connaissances plus fondamentales. En explorant les conditions de formation particulières aux poussières cosmiques, il y a des chances que cela nous amène à des découvertes dans le domaine des nanomatériaux. De plus, je m’intéresse aux grandes molécules carbonées comme les molécules polycycliques aromatiques hydrogénées (PAH). Celles-ci sont une composante importante associée aux poussières cosmiques mais aussi un polluant majeur sur Terre, car elles sont générées par tous les processus de combustion. Comprendre leurs propriétés et leur formation peut fournir des éléments dans la lutte contre la pollution.
Votre projet, Nanocosmos, a bénéficié d’un financement ERC. Cette candidature a-t-elle été complexe ?
C.J. : L’aide a été de 15 millions d’euros, échelonnée sur six ans et répartie entre les différents sous-groupes impliqués dans le projet. L’appel à projets de l’ERC est très compétitif, ce qui peut être décourageant pour certains chercheurs, mais la communauté française s’y implique de plus en plus. Une telle somme permet d’augmenter considérablement les capacités d’autonomie, de créativité et de prise de risque. La zone d’ombre est néanmoins la durée limitée du projet qui amène à des perspectives incertaines. Pour la rédaction du projet, il a fallu trouver le bon fil conducteur. Comme Nanocosmos a trois responsables, nous avons dû structurer le projet en conciliant trois visions différentes. Cela a demandé un certain temps de réflexion et pas mal d’allers et retours. Notre projet a été retenu lors de la deuxième présentation. Il y a eu plusieurs étapes d’évaluation impliquant un nombre conséquent de scientifiques (des rapporteurs et des comités d’experts). L’étape finale de l’évaluation a consisté en une audition à Bruxelles, devant un comité d’évaluation interdisciplinaire.
Adapter un sujet de recherche d’astrophysique en planches n’était pas gagné d’avance. Pensez-vous tous les deux que tous les champs scientifiques se prêtent à la bande dessinée ?
C.J. : Dans notre cas, au contraire le côté astrophysique du projet a aidé à constituer une histoire reposant sur des scénarios de science-fiction avec lesquels le grand public est familier. L’aspect poussières cosmiques était un peu plus compliqué, mais le voyage dans la machine Stardust a permis de le comprendre en accédant à l’infiniment petit (l’échelle nanométrique).
L.P. : Il n’y a pas de domaines scientifiques interdits selon moi. La bande dessinée a été le premier mode d’expression de l’homme, avec les peintures rupestres. C’est un médium extrêmement puissant. Il faut néanmoins comprendre que le but de la BD n’est pas d’informer de manière détaillée et exacte du contenu scientifique. Elle est là avant tout pour faire partager l’aventure de la recherche ! ♦
À lire
La bande dessinée Estrella
Notre article : Dix ans après, le bon bilan de l'ERC
- 1. Christine Joblin travaille à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/Centre national d’études spatiales/Toulouse-III Paul-Sabatier).
- 2. Pour Consejo Superior de Investigaciones Científicas («Conseil supérieur de la recherche en Espagne»). Le CSIC est le principal organisme public de recherche en Espagne.
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Auteur
Docteur en physique, Xavier Müller est journaliste scientifique. Depuis 2008, il a également publié plusieurs ouvrages de fiction.
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