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De nouvelles ondes à la vue perçante
Vous n’en avez sans doute jamais entendu parler. Et pourtant… Encore peu connues du grand public, les ondes térahertz (THz) pourraient devenir l’une des technologies phares du XXIe siècle, tant elles laissent entrevoir de multiples applications. Dites aussi « rayons T », ces radiations sont des ondes électromagnétiques, comme la lumière et les ondes radio, dont la fréquence s’étend entre environ 100 et 10 000 gigahertz (GHz), soit de 0,1 à 10 térahertzFermer1 GHz = 109 hertz ; 1 THz = 1 000 GHz. Elles se situent donc entre deux régions du spectre électromagnétique plus connues : les micro-ondes (1-100 GHz), utilisées entre autres dans nos fours ; et l’infrarouge (10 000-100 000 GHz), exploité notamment dans les diodes électroluminescentes de nos télécommandes.
Perfectionner les scanners corporels et sécuriser les colis
Si la première émission THz remonte à 1911, ces ondes sont restées longtemps un domaine de recherche en friche. Et ce faute de sources puissantes et compactes, et de détecteurs sensibles et simples d’utilisation. Mais depuis des progrès notables ont été réalisés dans ce sens. Et désormais, cette recherche est en plein boom ! Au CNRS, une trentaine d’équipes travaillent sur ce sujet dans toute la France. « D’un point de vue recherche fondamentale, l’étude de leur interaction avec la matière est fascinante. Mais surtout, les ondes THz promettent, grâce à leurs propriétés, plusieurs applications qui pourraient révolutionner notre quotidien », souligne la physicienne Juliette Mangeney1, qui a organisé un atelier de travail sur ces ondes fin 2014.
Ainsi, dans le domaine de la sécurité, « les rayons T pourraient perfectionner les scanners corporels utilisés dans certains aéroports pour observer à travers les vêtements des passagers et ainsi révéler d’éventuelles armes. Elles pourraient aussi sécuriser la chaîne de distribution des colis en rendant possible la recherche d’éléments dangereux dans les colis cachetés (lames de rasoir, drogues, explosifs…), sans les ouvrir ! », poursuit la chercheuse. Et pour cause : comme les micro-ondes, les ondes THz ont un pouvoir élevé de pénétration leur permettant de traverser des matériaux comme le plastique ou les vêtements. De plus, comme les infrarouges, elles sont non ionisantesFermerQui ne transportent pas assez d’énergie pour transformer un atome en ion., et donc a priori sans danger pour le vivant.
À Bordeaux, Patrick Mounaix2 et son équipe ont justement mis au point un système THz permettant de voir à travers des enveloppes fermées et de reconstruire en 3D leur contenu. « Nous avons fait une démonstration en temps réel de notre technologie au siège de La Poste, à Paris, tout récemment, le 17 mars ! », se réjouit le chercheur.
Du sans-fil très haut débit
Dans le domaine des télécommunications, « les ondes THz pourraient rendre enfin possible l’échange, sans fil, de données vidéos volumineuses sur les téléphones portables. Une application nécessitant un débit bien supérieur aux 10 gigabits par seconde atteints à ce jour », ajoute Juliette Mangeney. En effet, comme les ondes radio, les ondes THz peuvent être émises et détectées par des antennes. « Lors d’une étude publiée en 2014, nous avons utilisé un émetteur THz délivrant des ondes de 400 GHz, soit 0,4 THz. Ainsi, nous avons obtenu un débit de 46 Gbits/s », précise le physicien Jean-François Lampin3.
Mais il n’y a pas que la sécurité et les télécoms ! Les rayons T pourraient aussi permettre la caractérisation de gaz polluants dans l’air, le perfectionnement de l’imagerie médicale pour la détection précoce du cancer de la peau ou la déminéralisation des dents ou encore la mesure d’épaisseur de revêtements très fins et opaques comme la peinture de voiture, et ce sans contact et de façon non destructive.
Un défi : développer des systèmes THz plus performants
Reste que pour assister au transfert de la science THz des laboratoires vers l’industrie, il faudra au préalable relever un énorme défi : développer des systèmes produisant ces ondes, les détectant et les mesurant, encore plus compacts (quelques dizaines de cm2), simples d’utilisation et avec un faible coût de fabrication (quelques milliers d’euros). Pour y parvenir, les chercheurs ont depuis quinze ans un nouvel outil : les nanotechnologies, cet ensemble d’activités œuvrant à l’échelle de moins d’une quarantaine de nanomètresFermer1 nanomètre = 1 milliardième de mètre = 10-9 m. Celles-ci ont déjà permis une avancée majeure dans le domaine : le développement de nanostructures dites à cascade quantique, qui ont débouché sur la réalisation de lasers semiconducteurs THz (ou lasers à cascade quantique), fonctionnant aujourd’hui à une température proche de la température ambiante.
À l’avenir, les nanotechnologies devraient mener au développement de nouveaux matériaux pour la mise au point de sources THz très compactes et efficaces. Lors d’une étude parue fin 2014, l’équipe de Juliette Mangeney a réussi à générer un rayonnement dans un matériau innovant, le graphène, excité par des impulsions optiques ultracourtes. Une avancée qui permet d’envisager l’utilisation du graphène pour les technologies THz.
« Dans le cadre de nos recherches visant à utiliser les ondes THz pour transmettre sans fil des données volumineuses à haut débit, les nouveaux matériaux développés via les nanotechnologies devraient permettre d’augmenter la puissance de nos émetteurs THz. De quoi transmettre des données sur des distances plus grandes que celles testées actuellement : un kilomètre au lieu de quelques mètres », illustre Guillaume Ducournau4. À ne pas en douter, la recherche THz est à un virage important de son histoire. L’ère du térahertz est imminente.
- 1. Laboratoire Pierre Aigrain (CNRS/ENS/UMPC/Univ. Paris Diderot).
- 2. Laboratoire de l’intégration du matériau au système (CNRS/Univ. de Bordeaux/Bordeaux INP).
- 3. Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie de Lille (CNRS/Univ. de Lille-I/Univ. de Valenciennes/Isen Lille).
- 4. Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie de Lille (CNRS/Univ. de Lille-I/Univ. de Valenciennes/Isen Lille).
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Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.