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Être gay ou lesbienne au temps du nazisme

Être gay ou lesbienne au temps du nazisme

22.04.2015, par
Mis à jour le 03.08.2022
Plaque mémorielle commémorant les persécutions nazis envers les homosexuels
Inaugurée en 2006 près de l’ancien block 45, cette dalle rend hommage à la mémoire des homosexuels internés au camp de Buchenwald entre 1937 et 1945. Parmi eux, 650 portèrent le triangle rose.
Le 6 août 1942, dans le sillon de l’Allemagne nazie, Phillippe Pétain appose sa signature au bas d’une loi permettant une répression spécifique des comportements homosexuels. Elle n’est abrogée que le 4 août 1982, il y a tout juste 40 ans. Pour se remémorer la persécution nazie envers les homosexuel(le)s, (re)lisez notre article sur cette sombre période.

C’est désormais un fait avéré : entre 1933 et 1945, les hommes homosexuels ont payé un lourd tribut à la barbarie des nazis qui voulaient « purifier » la « race aryenne » de ce « vice contagieux ». Accusés d’avoir enfreints le paragraphe 175 du code pénal allemand, selon lequel « un homme qui commet un acte sexuel avec un autre homme est puni de prison » 1, entre 50 000 et 100 000 hommes, principalement allemands, ont été incarcérés durant le IIIe Reich. Plusieurs milliers d’autres furent internés dans des instituts psychiatriques. Enfin, entre 5 000 et 10 000 hommes, soupçonnés d’avoir des pratiques homosexuelles, furent déportés en camps de concentration. Et deux tiers d’entre eux y sont morts. « Ces détenus, qui portaient le triangle rose, étaient particulièrement maltraités. Ils étaient affectés aux commandos de travail les plus rudes, par exemple à la “carrière” à Buchenwald ou à la “briqueterie” à Sachsenhausen. Dans certains camps, ils servirent aussi de cobayes aux “médecins” qui tentaient de les “guérir” ou de les “neutraliser” en les émasculant », explique le sociologue Régis Schlagdenhauffen, chercheur au laboratoire Identités, relations internationales et circulations de l’Europe (Irice) et membre du Labex Écrire une histoire nouvelle de l’Europe (EHNE)2.

Prisonniers dans le camp de concentration de Sachsenhausen
Prisonniers au camp de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne, surveillés par des gardiens nazis (19 décembre 1938).
Prisonniers dans le camp de concentration de Sachsenhausen
Prisonniers au camp de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne, surveillés par des gardiens nazis (19 décembre 1938).

Une période de forte répression

Si, en Allemagne, cette page de l’histoire est aujourd’hui bien documentée par les chercheurs, qu’en est-il de la vie des gays et des lesbiennes à cette époque dans les autres pays d’Europe ? C’est pour faire le point sur le sujet qu’un colloque3, organisé par Régis Schlagdenhauffen, a réuni historiens et sociologues au CNRS le 27 mars. « Tout d’abord, il faut le rappeler, l’Allemagne ne fut pas le seul pays où l’homosexualité masculine a été plus sévèrement réprimée à cette période, souligne Fabrice Virgili, historien au laboratoire Irice, également membre du Labex EHNE. Tout en prenant des formes variables, la répression s’est aussi organisée dans les régions et pays annexés par l’Allemagne (Autriche, Bohême-Moravie et Alsace-Moselle), et cela soit en vertu de la législation antérieure, soit de celle du Reich. » En Moselle, et surtout en Alsace, si le paragraphe 175 n’est introduit qu’en 1942, les homosexuels français deviennent des cibles4.

Tout en prenant
des formes
variables, la
répression s’est
aussi organisée
dans les régions
et pays annexés
par l’Allemagne.

Selon Frédéric Stroh, historien à l’université de Strasbourg et au Centre Marc-Bloch5, plusieurs centaines d’entre eux seront expulsés vers la France non annexée dès 1940 ; d’autres sont envoyés en détention, dont au moins 77 au « camp de rééducation » de Schirmeck, et quelques-uns en camps de concentration (Struthof). En Autriche, depuis 1852 (et jusqu’en 1971 !), le paragraphe 129 I b du code pénal interdisait « la fornication contre-nature entre les personnes de même sexe ». Mais, là encore, avec l'Anschluss, la répression s'accentue : en plus de l’instauration de tribunaux d’exception nazis et des exactions de la Gestapo, les juges viennois condamneront plusieurs centaines d’hommes.

Que sait-on de la répression des amours entre femmes ? « Focalisées sur l’Allemagne nazie, les recherches s’étaient jusqu’alors surtout intéressées à la déportation des hommes homosexuels. Et c’était primordial d’un point de vue mémoriel », insiste Fabrice Virgili. Certes, il est vrai, « seulement » quelques dizaines de femmes furent déportées pour lesbianisme. Parce qu’aux yeux des nazis, leur homosexualité ne les empêchait pas d’engendrer de petits Aryens, elle ne fut jamais pénalisée par la loi allemande6. Mais, après une période d’extraordinaire liberté dans le Berlin des années 1920, les lesbiennes allemandes durent rentrer dans le rang ou… dans l’ombre. Parallèlement, dans les pays où s’appliquait le code pénal autrichien, l’un des seuls d’Europe à prohiber les rapports lesbiens (paragraphe 129 I b), quelques centaines de femmes furent inquiétées : « Entre 1938 et 1945, 79 d’entre elles furent poursuivies pour fornication contre-nature par le tribunal de Vienne… », précise Johann Kirchknopf, historien à l’Institut für Wirtschafts und Sozialgeschichte. Selon le chercheur Jan Seidl, de la Société pour la mémoire queer, à Prague, elles furent également visées en Tchécoslovaquie, notamment dans le Protectorat de Bohême-Moravie.

Une vie dans la clandestinité

Et ailleurs ? Tandis qu’au front la proximité des combats peut inciter les soldats à nouer des relations intimes, à l’arrière, dans les autres pays non occupés ou « neutres », c’est souvent dans la clandestinité que gays et lesbiennes poursuivent leur vie amoureuse. Ainsi, selon la sociologue madrilène Raquel Osborne, nombre d’homosexuelles espagnoles développèrent des stratégies de dissimulation, dans un régime où les femmes étaient « au service de la famille et du patriarcat ». « Ces femmes menaient une double vie : d’un côté, une existence “correcte”, suivant le modèle hétéronormatif imposé par la dictature franquiste, de l’autre, la vie qui les intéressait, cachée sous la surface », explique-t-elle. Faux mariages avec des amis homos ou des protecteurs hétéros, célibat de façade, ils et elles parvenaient ainsi à se créer des espaces et des lieux de liberté tout en respectant, en apparence, les diktats sociaux exacerbés par le conflit.

Frieda Belinfante et sa compagne
Aux Pays-Bas, sous l’Occupation, Frieda Belinfante (à droite), l’une des premières femmes chef d’orchestre, fut très active dans la Résistance. Ici, avec la compositrice et pianiste Henriette Bosmans, sa compagne durant sept ans, autour de 1928.
Frieda Belinfante et sa compagne
Aux Pays-Bas, sous l’Occupation, Frieda Belinfante (à droite), l’une des premières femmes chef d’orchestre, fut très active dans la Résistance. Ici, avec la compositrice et pianiste Henriette Bosmans, sa compagne durant sept ans, autour de 1928.

Les modes de vie des homosexuels européens, hommes et femmes, à cette période de l’histoire restent encore largement à étudier… « Mais il faut aussi faire progresser la question de la commémoration des victimes des LGBTphobies, qui, considérées comme “déviantes”, ont longtemps été écartées des cérémonies du souvenir. Car, tandis que des monuments leur rendent hommage dans de nombreuses villes du monde, de New York à Berlin en passant par Tel Aviv, ce n’est toujours pas le cas en France. Cela n’entre-t-il pas en contradiction avec les idéaux de notre République ? », s’interroge, à juste titre, Régis Schlagdenhauffen.

    
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Notes
  • 1. En vigueur depuis 1871, il fut révisé le 28 juin 1935 (version citée).
  • 2. Unité CNRS/Univ. Panthéon-Sorbonne Paris-I/Univ. Paris-Sorbonne.
  • 3. Le colloque « Être homosexuel en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale » a été organisé par le Labex EHNE avec le soutien du Conseil de l’Europe.
  • 4. Par ailleurs, partout dans la France de Vichy, la « loi 744 » signée par Pétain porte la majorité sexuelle à 21 ans pour les relations homosexuelles, contre 15 ans pour les rapports hétérosexuels. Elle discrimine de fait l’homosexualité et ne sera abrogée que le 4 août 1982 grâce à une proposition de loi dont la rapporteuse est Gisèle Halimi, avocate féministe de renom devenue députée de l’Isère.
  • 5. Unité CNRS/MAEE/Bundesministerium für Bildung und Forschung/MESR/Humboldt-Universität zu Berlin.
  • 6. Lire les travaux de l’historienne allemande Claudia Schoppmann.
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Auteur

Stéphanie Arc

Diplômée de philosophie morale et politique à la Sorbonne, Stéphanie Arc est journaliste (CNRS Le journal, Science et Santé, Science et Vie Junior, Arts Magazine, Première…) et écrivaine. Elle travaille depuis 2005 sur les questions de genres et sexualités (Identités lesbiennes, en finir avec les idées reçues, 3e édition, 2015). Auteure d’un roman (Quitter Paris,...

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