Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Sections

Modéliser l’évolution des opinions

Modéliser l’évolution des opinions

18.04.2018, par
Avec l’essor des réseaux sociaux en ligne, jamais nos opinions n’ont été autant sollicitées, diffusées, observées… et parfois manipulées. Comprendre la manière dont elles se forment et évoluent est ainsi devenu un enjeu tant scientifique que démocratique. Les travaux de trois chercheurs font aujourd'hui l’objet d’une présentation lors de la conférence internationale sur les communications informatiques, Infocom, qui se tient jusqu’au 19 avril à Honolulu (États-Unis).

Entre fake news, marketing légitime et manipulations de données, les nouveaux outils et techniques de communication mis à la disposition du public par les plateformes de diffusion en ligne comme Facebook ou Twitter, ont bouleversé en une quinzaine d’années la manière dont nous nous informons et forgeons nos opinions.

Pour mieux appréhender ce phénomène, Irinel-Constantin Morărescu, enseignant-chercheur au Cran1, Vineeth Satheeskumar Varma, chargé de recherche au Cran, et Yezekael Hayel, enseignant-chercheur au LIA2, ont tenté de modéliser mathématiquement la dynamique des opinions au sein des grands réseaux d’individus, qu’ils interagissent via un service en ligne ou dans « le monde réel ».

La stabilité des opinions

« Chaque fois que deux personnes interagissent, explique Constantin Morărescu, leurs opinions se rapprochent. À force de réitérer ce contact, on obtiendrait au bout d’un moment, en théorie, un consensus. Nos travaux tentent de décrire ce qu’il se passe concrètement puisque, dans la réalité, ce consensus n’est jamais atteint. »

Pourquoi ? En premier lieu parce que l’opinion d’un individu possède une certaine inertie, différente selon le sujet. Certaines thématiques tiennent en effet plus à cœur que d’autres et entraînent parfois des avis tranchés, difficiles à influencer. Ensuite, les gens n’interagissent pas avec n’importe qui et s’associent davantage à leurs semblables.

Si la dernière publication3 des trois chercheurs ne fait pas explicitement référence à Facebook et aux réseaux sociaux virtuels, ces sites reproduisent et amplifient les dynamiques d’opinion observées dans les réseaux sociaux « réels », notamment la difficulté à aboutir au consensus. « Facebook est un réseau de très grande taille où les usagers rejoignent des groupes qui partagent plus ou moins leurs opinions, poursuit le chercheur. Même si quelqu’un d’extérieur peut tomber sur une information qui ne le vise pas, ses opinions perdurent sur le long terme. » De fait, observés sur une durée limitée, les réseaux atteignent rarement le consensus : on observe plutôt des états d’équilibre transitoires où plusieurs opinions cohabitent alors à des niveaux stables.

Un modèle de probabilités

Autre constat de ces travaux : l’articulation incertaine entre opinion et actions. « On pense connaître l’opinion des personnes avec qui on interagit, note Constantin Morărescu. Or ce n’est en général pas vrai, on ne peut que l’estimer. » Par exemple, un consommateur peut noter sur n’importe quelle échelle son goût pour le Coca Cola et le Pepsi, mais, une fois au supermarché, il n’achètera pas trois bouteilles de l’un et deux de l’autre pour correspondre exactement au ratio de ses préférences. Il prendra juste son soda favori et, de l’extérieur, il sera impossible de deviner le détail de ses goûts.

Ceci a conduit les chercheurs à fonder leur modèle sur des probabilités. « Nous supposons que les interactions entre deux agents se font de manière aléatoire : nous n’écoutons pas tous la radio au même moment et nos discussions avec des collègues ne sont pas des réunions programmées, continue le chercheur. Après réception d’une information, il reste encore une certaine probabilité qu’elle modifie ou non notre opinion. »

Les stratégies collectives

On retrouve d’ailleurs ces problématiques dans la théorie du choix social computationnel, qui s’efforce de modéliser les prises de décisions collectives à l’aide d’outils informatiques. Combinant des méthodes issues de l’intelligence artificielle, de l’informatique théorique et de l’économie mathématique, celle-ci traite aussi bien de mécanismes électoraux, de la construction de plannings en entreprise en fonction des préférences des employés, ou encore de la sélection d’un restaurant entre amis. « Nous nous intéressons aux différents mécanismes permettant de parvenir à de tels choix collectifs, et également aux stratégies des individus face à eux, explique Jérôme Lang, directeur de recherche au Lamsade4 et médaille d’argent du CNRS 2017. Des personnes isolées n’ont pratiquement aucune possibilité de manipuler le mécanisme, mais des regroupements d’individus peuvent y parvenir. »

Le chercheur prend pour exemple l’élection présidentielle de 2000 aux États-Unis. Le candidat écologiste Ralph Nader y affrontait le républicain George W. Bush et le démocrate Al Gore. « Nader savait qu’il ne gagnerait pas, mais il voulait prouver le poids électoral des écologistes et obtenir un financement public pour sa prochaine campagne, raconte Jérôme Lang. Pour récolter le plus de voix sans nuire au candidat démocrate, plus proche de leurs idées, certains de ses électeurs lancèrent des sites Web d’échanges de votes. »

Ralph Nader, candidat à l'élection présidentielle américaine sous la bannière du Parti vert, le 7 novembre 2000 à Washington.
Ralph Nader, candidat à l'élection présidentielle américaine sous la bannière du Parti vert, le 7 novembre 2000 à Washington.

Ainsi, dans les États où Al Gore était sûr d’emporter ses grands électeurs, des citoyens s’engageaient à voter pour Nader, tandis qu’autant d’écologistes changeaient leurs bulletins en faveur de Gore là où la course était plus serrée face à Bush fils. Le nombre total de votes pour Ralph Nader restait le même, mais pénalisait moins le candidat démocrate. Nader n’obtint finalement pas les 5 % de voix escomptées et George W. Bush s’imposa sur le fil, en raflant la Floride à seulement 537 bulletins près.

La pondération des arguments

Autre piste pour résoudre les débats de manière rationnelle et automatique : la pondération d’arguments. Une technique qui permet à la fois de représenter les vastes discussions en ligne, où des milliers d’intervenants peuvent interagir en même temps, et d’aider la prise de décision par des intelligences artificielles.

Des chercheurs de l’Irit5 et du Cril6 se concentrent ainsi sur la recherche d’axiomes, des lois qui permettent de déterminer si un argument est plus pertinent qu’un autre. L’un privilégiera par exemple l’expertise d’un interlocuteur, un second se fiera plutôt à la popularité d’une opinion, ou prendra en compte sa dimension morale.

La difficulté tient dans l’art de combiner ces axiomes sans qu’ils se contredisent. Les chercheurs proposent ainsi plusieurs systèmes à appliquer au cas par cas, selon la nature de la discussion et le type d’arguments à privilégier. Des outils permettant de suivre et d’analyser les débats les plus complexes. ♦

Plus d'infos sur le programme de la conférence IEEE Infocom ici.

Notes
  • 1. Centre de recherche en automatique de Nancy (CNRS/Université de Lorraine).
  • 2. Laboratoire Informatique d’Avignon (Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse).
  • 3. V. S. Varma, Y. Hayel & I.-C. Morarescu, « Continuous time opinion dynamics of agents with multi-leveled opinions and binary actions », présentation du 18 avril 2018 à la conference IEEE Infocom, à Honolulu (États-Unis).
  • 4. Laboratoire d’analyse et modélisation de systèmes pour l’aide à la décision (CNRS/Université Paris-Dauphine).
  • 5. Institut de recherche en informatique de Toulouse (CNRS/INP Toulouse/Université Toulouse Paul-Sabatier/Université Toulouse Jean-Jaurès/Université Toulouse Capitole).
  • 6. Centre de recherche en informatique de Lens (CNRS/Université d’Artois).
Aller plus loin

Partager cet article

Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS