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Qui étaient vraiment les Gaulois ?
(Article paru dans le Journal du CNRS de juillet-août 2010)
Pour des millions de Français, "nos ancêtres les Gaulois" ont le profil du débonnaire Astérix, du livreur de menhirs Obélix et de leurs compagnons un peu frustes. Sauf que, par Toutatis !, ces personnages hilarants, non plus que les barbares aux coutumes sanglantes que se sont souvent plu à dépeindre les textes anciens, n’ont pas grand-chose à voir avec ce que le monde de la recherche sait aujourd’hui des "vrais" Gaulois. « Depuis deux décennies, explique Pierre Ouzoulias, du laboratoire Archéologies et sciences de l’Antiquité1, archéologues et historiens s’emploient à montrer que l’opposition radicale entre des Romains civilisés et des Gaulois primitifs, martelée par le XVIIIe siècle (Voltaire, dans l’Encyclopédie, considère les Gaulois comme "la honte de la nature"), le Second Empire puis la Troisième République, est totalement caduque », même si cet a priori négatif colonise toujours certains manuels scolaires.
La Gaule d’avant César « n’était pas un territoire sauvage à l’écart de toute civilisation, mais un monde qui avait connu certains des processus évolutifs responsables, quelques siècles plus tôt, de l’émergence de la civilisation gréco-romaine », renchérit Christian Goudineau, titulaire de la chaire d’antiquités nationales au Collège de France pendant vingt-cinq ans et combattant infatigable de cette rénovation historique. Occupation dense et valorisation des campagnes, structures et fonctions des agglomérations, haut niveau technique de l’artisanat, qualité des productions artistiques, importance de la religion, commerce intensif avec Rome… Les découvertes archéologiques de ces dernières années, auxquelles s’ajoutent les études menées en laboratoire (ostéologie, anthropologie…), ont renouvelé en profondeur la connaissance de la Gaule.
Une fausse image de la gaule
Parler de "la" Gaule, en fait, prête déjà à discussion. Au Ier siècle avant notre ère, à la veille de la conquête par Jules César, l’espace géographique très vaste englobant la France, la Belgique, le Luxembourg, une partie de l’Allemagne et des Pays-Bas actuels est occupé par une mosaïque d’une centaine de peuples, de fédérations, d’associations et de petites collectivités, dont la taille, l’organisation politique et les relations avec Rome sont extrêmement diverses.
de la Gaule
est divisé en
trois parties.
Dans la Guerre des Gaules, César simplifie à l’extrême cette situation par une formule célèbre : « L’ensemble de la Gaule est divisé en trois parties. » Dans cet espace qu’il borne arbitrairement, les Celtes occuperaient un territoire allant de la Garonne à la Seine et du Rhin inférieur à l’océan Atlantique, les Belges se trouveraient au nord de la Seine et les Aquitains, entre les Pyrénées et la Garonne.
Après avoir longtemps accepté l’image de cette Gaule idéalisée par César, historiens et archéologues sont aujourd’hui plus sensibles à la variété des situations. De fait, chaque peuple-État, avide d’indépendance, dispose de son propre gouvernement et de sa propre armée. « Il s’agit, la plupart du temps, de démocraties représentatives, dans lesquelles les lois et la désignation d’un magistrat civil et d’un stratège chargé des affaires de la guerre sont dévolues à deux assemblées : un sénat réservé à la noblesse et une assemblée civique, probablement héritière des rassemblements de guerriers des époques antérieures », détaille Jean-Louis Brunaux, du laboratoire Archéologies d’Orient et d’Occident et textes anciens2. Si la Gaule apparaît donc comme très divisée, la multitude de peuples qui la composent ont un point commun : qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’urbanisme, du commerce ou encore de l’art, ils partagent un savoir-faire beaucoup plus avancé que ce que l’on pourrait se figurer. Revue de détail, agrémentée des dernières découvertes archéologiques.
L’agriculture
L’essor de l’archéologie de terrain permet de rejeter la vision archi-désuète de Gaulois chassant le sanglier dans des forêts profondes. Les massifs forestiers des Gaules sont sans doute moins vastes que ceux de la France de 2010. Depuis au moins le IIIe siècle av. J.-C., les campagnes sont exploitées par un réseau dense de petites fermes et de grandes exploitations. Loin d’être archaïque, l’agriculture est l’activité économique numéro un et se caractérise par une maîtrise élevée de la culture des céréales (millet, orge, épeautre, blé…) et de l’élevage (bovidés, porcs, moutons, volailles…). Son bon niveau technique tient notamment à l’invention ou au perfectionnement d’outils agricoles (faux pour le foin, haches et serpes pour le bois…), les Gaulois excellant dans le domaine de l’extraction et de la transformation des minerais.
L’artisanat
Hommes du métal, les Gaulois possèdent grâce à leur maîtrise de la sidérurgie une incontestable supériorité dans le domaine de l’armement et de la charronnerie (roues et caisses des voitures). À Bibracte, sur le mont Beuvray, à la limite entre les départements de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, « un quartier d’artisans du métal est en cours de fouilles et nous permet de mieux comprendre l’organisation de ces ateliers », indique Jean-Paul Guillaumet, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés3. Les Gaulois sont aussi de remarquables charpentiers, menuisiers, layetiers (fabricants de coffres) et boisseliers (assembleurs de seaux et de baquets). Sous les mains de leurs potiers naissent toutes sortes de vaisselles. L’artisanat semble encore vivace dans des domaines touchant au travail des peaux et des fourrures (tannage, bourrellerie, cordonnerie…) et à celui des fibres, des écorces et des laines (corderie, tissage, vannerie…). « Les Gaulois ne savent pas souffler le verre, constate Jean-Paul Guillaumet. Ils le travaillent pâteux pour façonner des parures, des bracelets et des perles. Et ils utilisent toutes les parties de l’os pour produire des dés à jouer, des boutons, des pendentifs, des décors de coffre, des manches d’outils… »
Le commerce vinicole
Les Gaulois sont de bons vivants qui raffolent des festins où le vin coule à flots, même si leurs boissons traditionnelles restent la bière et l’hydromel. Ce sont les marins commerçants grecs phocéens, qui fondent Marseille en 600 av. J.-C., qui leur ont fait découvrir ce nectar.
à produire
une quantité phénoménale
de vin (...)
Ces colons importent et redistribuent parcimonieusement des vins grecs et étrusques, mais ils cultivent aussi sur leur territoire un vignoble, d’abord pour leur consommation personnelle puis, dès le milieu du VIe siècle av. J.-C. environ, pour la vente aux peuplades voisines. Les multiples pépins de raisins découverts dans le sous-sol de la place Jules-Verne, témoignent de ces plantations originelles. Le vin de Marseille s’empare du marché gaulois de la seconde moitié du VIe siècle au IVe siècle av. J.-C. À la fin du IIIe siècle, au IIe et au Ier siècle av. J.-C., le monopole grec s’effrite tandis que « la côte tyrrhénienne se couvre de vignobles, explique Fanette Laubenheimer, du laboratoire Archéologies et sciences de l’Antiquité. Pour répondre à la demande gauloise, la péninsule italienne se met à produire une quantité phénoménale de vin et à construire des bateaux énormes pouvant transporter jusqu’à 10 000 amphores ! »
Des millions d’hectolitres de vin latin inondent la Gaule. « L’archéologie a identifié deux principaux axes de distribution, poursuit la chercheuse. Le premier, l’axe Aude-Garonne, dessert depuis Narbonne les territoires des Volques (l’actuel Languedoc) et des Rutènes (Aveyron, Tarn, nord de l’Hérault). Le second alimente la Gaule centrale et la Gaule du Nord par les vallées du Rhône et de la Saône. Et il semble que ce soit presque exclusivement des vins rouges et ordinaires que les Romains – qui, eux, préfèrent les blancs – exportent vers la Gaule. » Ainsi, le chargement de l’épave découverte au large du petit port de la Madrague de Giens, dans le Var, à la fin des années 1960, contenait du vin rouge provenant de la région de Rome.
L’alimentation
Quant aux métiers de bouche, l’étude des ossements d’animaux trouvés récemment à Titelberg, au Luxembourg, par l’archéozoologue Patrice Méniel, du laboratoire Archéologie, terres, histoire, sociétés, a mis en évidence des lieux d’abattage assimilables à des boucheries. On trouve par conséquent en Gaule la quasi-totalité des corps des métiers de bouche, qui subsisteront jusqu’à l’ère industrielle. Enfin, les populations côtières pratiquent la navigation et la pêche en haute mer. Des fouilles conduites au centre de l’île d’Ouessant, en Bretagne, par Jean-Paul Le Bihan, directeur du Centre de recherche archéologique du Finistère, avec le concours de plusieurs chercheurs du CNRS, ont permis de mettre au jour les restes de divers poissons (lieus jaunes, daurades, bars, morues…).
Les monnaies gauloises
L’expansion des villes, du commerce et de l’artisanat stimule évidemment la monétarisation des sociétés gauloises. Les Celtes, recrutés comme mercenaires par de nombreuses cités gréco-romaines à la suite de leur expansion vers le sud à la fin du IVe siècle av. J.-C., ont introduit la monnaie dans leur monde lors de leur retour au bercail.
« Les premières monnaies gauloises, qui datent probablement du IIIe siècle avant notre ère, étaient donc pour l’essentiel des monnaies imitant le statère d’or de Philippe II de Macédoine ou les drachmes d’argent des comptoirs grecs qui bordent la Méditerranée : Marseille, Emporion (Empúries) et Rhodè (Roses), en Catalogne, raconte Katherine Gruel, directrice adjointe du laboratoire Archéologies d’Orient et d’Occident et textes anciens. Ces pièces avaient trop de valeur pour être d’un usage courant et servaient vraisemblablement à effectuer des achats de prestige, comme la première armure ou le premier cheval d’un fils, à payer une dot… » Au IIe siècle av. J.-C., les pouvoirs émetteurs se multiplient. Pour lever des taxes, chaque cité gauloise de quelque importance individualise sa monnaie, dont la circulation ne s’effectue que dans sa zone d’émission.
Parallèlement, les potins (des pièces coulées dans un alliage de cuivre, d’étain et de plomb), dont l’introduction est liée au développement de l’artisanat urbain, préfigurent les monnaies fiduciaires (des monnaies de faible valeur fondées sur la confiance). Vers -150, les liens économiques s’intensifient entre la Gaule du Centre et du Centre-Est et le monde romain. « Pour faciliter les échanges, précise Katherine Gruel, les Éduens, les Séquanes et les Lingons frappent des pièces d’argent imitées du denier romain et fondent une vaste fédération monétaire dont les limites s’étendent jusqu’aux peuples helvètes et jusqu’au Rhin (la fameuse zone du denier gaulois). D’autres unions monétaires voient le jour, notamment dans le Centre-Ouest, et montrent que l’usage de la monnaie est bien plus présent dans l’économie gauloise des IIe et Ier siècles avant notre ère qu’on ne le supposait jusqu’à présent. »
Les premières cités
Le caractère foncièrement rural de ces populations ne fait pas obstacle à l’éclosion et au développement des premières cités, les oppida, qui « semblent apparaître tardivement en Gaule, au milieu du IIe siècle avant notre ère, encore que les fouilles montrent que certains d’entre eux ont été édifiés sur l’emplacement d’habitats plus anciens, comme à Bourges », assure Jean-Paul Guillaumet. Il existe, pour chaque peuple gaulois, un oppidum principal susceptible d’héberger plusieurs milliers d’âmes. Établi en général au centre d’un réseau de routes terrestres ou fluviales, l’oppidum ne sert pas uniquement de refuge aux populations alentours en cas de danger, comme on l’a longtemps écrit. C’est aussi un lieu qui accueille des activités commerciales, artisanales, religieuses et civiques. Bibracte est l’un des représentants les mieux connus de ces oppida. Chef-lieu des Éduens, il se compose d’une vaste enceinte protégeant près de 200 hectares. À l’intérieur s’y trouvent des habitats en bois, de rares maisons en pierre construites à la romaine et même des édifices publics.
La production artistique
Les Gaulois comptent dans leurs rangs des artistes de haut vol dont les productions ne nous sont accessibles que par des monnaies, des parures (bracelets, torques, fibules, sortes de broches servant à tenir ensemble deux pans d’un vêtement), des armes ornées, des vases… « La qualité de ces petits objets nous incite à penser que des constructions beaucoup plus grandes, avec pour support le bois, telles les statues retrouvées à Fellbach-Schmiden, au Bade-Wurtemberg, et qui représentent des animaux tenus par un personnage dont il ne reste que la main sur la croupe d’une sorte de bouquetin, présentaient une décoration aussi riche, affirme Germaine Leman, du laboratoire Histoire, archéologie, littérature des mondes anciens-Institut de papyrologie et d’égyptologie de Lille4. La plupart de ces œuvres ont malheureusement disparu, le bois ne se conservant que dans des conditions exceptionnelles. » L’art gaulois courtise l’abstraction. Les représentations de l’homme et des dieux, systématiques chez les Grecs et chez les Romains, pour qui l’art consiste à imiter la nature, sont rarissimes, et celles des paysages et des constructions humaines, inexistantes. Les figures les plus courantes sont celles d’êtres fantastiques, les fragments de corps (œil, bec, patte…) ou les corps déformés (visages aplatis montrant leur face et leur profil), sans oublier une multitude de compositions géométriques d’une complexité inouïe. L’art gaulois connaît son plein épanouissement entre les Ve et IIIe siècles av. J.-C., avant de tomber dans un réalisme sans grande originalité.
La langue
Au fait, quel idiome parlent ces gaillards ? Les linguistes manquent d’informations sur ce rameau du celtique continental. Seuls quelques brefs textes de nature économique ou religieuse et quelques imprécations magiques ont franchi les siècles, mais aucune littérature proprement dite, épique ou mythologique. Les Gaulois écrivent très peu et, quand ils le font, recourent aux alphabets des peuples avec lesquels ils sont en contact : les Étrusques d’abord, en Italie du Nord, puis les colons grecs de Marseille, les Romains enfin. « Il est nécessaire d’étudier le gaulois par comparaison avec les langues apparentées : gallois, breton et vieil irlandais, précise Pierre-Yves Lambert, du laboratoire Archéologies d’Orient et d’Occident et textes anciens. Par exemple, pour reconstituer le lexique gaulois, nous avons peu de noms communs, mais beaucoup de noms propres, dont le sens étymologique ne peut apparaître que par la méthode comparative. » Tout laisse à penser que les différents peuples gaulois parlent des dialectes très proches les uns des autres. « Après la conquête césarienne, une période de bilinguisme semble avoir duré plusieurs siècles en Gaule, continue le linguiste. La tuile de Châteaubleau, fabriquée entre la fin du IIe siècle de notre ère et le début du IIIe siècle et découverte en Seine-et-Marne en 1997, porte sur l’une de ses faces une inscription de onze lignes qui atteste de la survivance tardive de cette langue dans la société gallo-romaine. » Le gaulois ne subsiste plus dans le français actuel que par quelques tournures syntaxiques comme "C’est que…", des toponymes tels que Verdun et deux cents mots tout au plus, parmi lesquels alouette, ardoise, auvent, blaireau, bouleau, bruyère, caillou, char, chemin, charpente et chiendent.
Les croyances religieuses
Si religieux qu’ils rient des dieux romains figurés comme des êtres humains, les Gaulois vénèrent moult divinités, tels Taranis, maître du ciel, et Teutatès, dieu de la guerre. D’autres sont plus spécifiques : Cernunnos, dieu de la fécondité à cornes de cerf, Épona, protectrice des chevaux, Lugus, gardien du feu… Existe-t-il un seul et même panthéon pour toute la Gaule ? Chaque peuple peut avoir ses divinités propres, même si certaines figures sont récurrentes. La mort ? Un passage vers le monde d’en haut ou, pour ceux qui ne peuvent y accéder, une descente sous la terre avant que l’âme ne se réincarne et revive. Quant à la pratique du sacrifice humain, leitmotiv des textes antiques visant à rabaisser les Gaulois, les vestiges archéologiques venant l’étayer sont extrêmement rares. « Sans doute a-t-elle existé avant le Ve siècle av. J.-C., mais à très petite échelle, confie Jean-Louis Brunaux. Et elle a disparu au profit de sacrifices d’animaux domestiques (taureaux, vaches, bœufs, moutons, porcs…), comme le montrent, par exemple, les ossements exhumés en grande quantité dans le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde, dans l’Oise. » Les druides forment une partie de l’élite gauloise. Tout à la fois savants versés dans l’observation des astres à des fins divinatoires, l’étude des mathématiques et de la géométrie, la pharmacopée…, philosophes, théologiens et accessoirement juges, ces prêtres transmettent leur savoir par tradition orale aux enfants des familles nobles. Le druidisme règne sur la Gaule entre les Ve et IIe siècles avant notre ère, avant de décliner pour disparaître complètement au tournant de l’ère chrétienne.
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Auteur
Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).
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LÉTIENNE le 25 Septembre 2016 à 02h57Connectez-vous, rejoignez la communauté
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