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Rosetta : Les comètes à l’origine de la vie?
Longtemps considérées comme anecdotiques, les comètes, ces petits astres de glace et de poussières qui passent périodiquement près du Soleil, sont devenues aujourd’hui les coqueluches des astronomes. La raison ? Elles auraient pu, selon certains, apporter sur la Terre primitive les molécules nécessaires à l’apparition de la vie. En près de trente ans, les sondes spatiales envoyées observer ces objets sont venues donner du poids à ce scénario. Dernière en date, la sonde européenne Rosetta, de loin la plus ambitieuse de toutes, a accumulé, depuis son arrivée en août dernier autour de la comète Churyumov-Gerasimenko, les indices en faveur de cette hypothèse.
Les comètes, des candidates idéales
Tout commence en 1986. Lors de son survol de la comète de Halley, la sonde Giotto analyse alors les poussières émises par la comète et met en évidence la présence de matière organique – c’est-à-dire constituée de carbone –, sans toutefois pouvoir déterminer sa nature. Puis en 2006, dans les échantillons recueillis par la sonde Stardust dans la queue de la comète Wild 2, on identifie la présence de glycine, l’acide aminé le plus simple, qu’on retrouve dans tous les organismes vivants.
travaux ont établi
que les molécules
nécessaires
à la vie n’avaient
pas pu être créées
sur notre planète.
« Dans le même temps, bon nombre de travaux menés par les chimistes spécialistes de la Terre primitive sont arrivés à la conclusion que les molécules nécessaires à la vie, à base de carbone, n’ont pas pu être créées sur notre planète, explique Hervé Cottin, membre de l’équipe scientifique de Rosetta au Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques1, à Créteil. Il a donc fallu qu’elles soient apportées par des corps extraterrestres. Et les comètes, dont on sait qu’elles sont riches en composés organiques, sont ainsi devenues les candidates idéales. »
Mais d’où viennent ces composés qu’on retrouve dans les comètes ? Et pourquoi étaient-ils absents sur la Terre primitive ? C’est que les comètes constituent les vestiges de l’époque qui a vu se former le système solaire, il y a plus de 4,5 milliards d’années. En raison de leur petite taille et du fait qu’ils orbitent dans des régions très éloignées du Soleil – au-delà de la planète Neptune –, et donc très froides, ces objets glacés auraient en effet gardé la trace presque intacte de la matière contenue dans le nuage de gaz et de poussières qui a donné naissance à notre étoile et à son cortège de planètes. C’est dans ce nuage primordial qu’auraient été engendrés ces composés organiques, sous l’effet probablement des basses températures qui y régnaient alors et de l’intense radiation des étoiles environnantes. Comme en témoignent les nombreuses détections par les télescopes au sol et dans l’espace de molécules carbonées complexes au sein de nuages denses de matière présents dans le milieu interstellaire.
Les précieux résultats fournis par la sonde Rosetta
Détruites par la chaleur sur les planètes en formation, ces molécules auraient ainsi subsisté dans les comètes avant d’être amenées sur Terre, à la faveur d’un énorme bombardement auquel on sait que notre planète et les autres objets du système solaire ont été soumis peu de temps après leur genèse. Dès que l’eau a été stable à l’état liquide, la chute des comètes a pu ainsi les ensemencer avec ces molécules organiques complexes. Et certaines ont pu alors jouer un rôle clé dans l’évolution vers le vivant.
Mais, pour tester cette hypothèse, il faut pouvoir identifier avec certitude ces molécules encore intactes dans les comètes. « Les précédentes missions ont fait un pas dans cette direction, note Hervé Cottin. Mais Rosetta doit aller plus loin encore en dressant un inventaire complet de toutes ces molécules. De cette façon, on saura quels ingrédients constituaient la soupe primitive et comment la vie a pu en émerger. »
Déjà, la sonde européenne, qui étudiera la comète jusqu’en décembre 2015 grâce à sa batterie d’instruments scientifiques, a fourni de précieux résultats. Ainsi, l’instrument Virtis, un spectromètre qui observe la comète dans l’infrarouge, a montré que la surface de Tchouri – comme l’ont surnommé les astronomes – était recouverte de matière organique2. « On ne peut pas dire exactement quelle est la nature de ce matériau organique, mais on sait qu’il est relativement complexe et composé de groupements alcool ou de groupements carboxyle », explique Dominique Bockelée-Morvan, co-investigatrice de l’instrument Virtis au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique3, à Meudon.*
Une composition de l’eau différente de celle des océans
De son côté, le module Philae, déposé avec succès par Rosetta sur la surface de la comète le 12 novembre dernier, a, malgré un atterrissage mouvementé et une plongée dans le coma trois jours plus tard, détecté lui aussi la présence de composés organiques dans les gaz éjectés par la comète. D’après les responsables des instruments Ptolemy et Cosac, embarqués sur l’atterrisseur, ces derniers auraient « reniflé » des molécules complexes contenant au moins trois atomes de carbone. Mais les scientifiques doivent encore analyser les résultats pour déterminer quelles sont exactement ces molécules. Quant à la tentative de collecte d’échantillons du sol cométaire qui aurait pu en dire plus encore sur la nature de ces composés, elle s’est malheureusement soldée par un échec. Mais les responsables de la mission n’écartent toutefois pas la possibilité que Philae puisse sortir un jour de son hibernation et tenter une autre collecte.
Qui dit vie dit aussi présence d’eau liquide. Or, comme le pensent une majorité d’astronomes, la Terre en était dépourvue à ses débuts. D’où proviennent donc les océans qui occupent les deux tiers de sa surface ? Là encore, les comètes constituent les candidates idéales, puisqu’on sait qu’elles contiennent de la glace qu’elles auraient ainsi apportée en venant s’écraser sur notre planète.
L’un des objectifs de Rosetta est de mettre cette théorie à l’épreuve. Comment ? En mesurant précisément, avec son instrument Rosina, la composition de l’eau émise par Tchouri. Car, dans la molécule d’eau, de formule chimique H2O, les hydrogènes, symbolisés par un H ne sont pas toujours exactement les mêmes. Ces atomes ont en effet des cousins, appelés isotopes, deux fois plus lourds, les deutérium, qui peuvent de temps en temps remplacer un hydrogène léger. Dans nos océans, on trouve ainsi trois atomes de deutérium sur 10 000 molécules d’eau. Sur Tchouri, Rosina vient de calculer ce ratio : il est trois fois supérieur à celui de la Terre4. L’eau de la comète est donc très différente de celle de nos océans.
Les astéroïdes, de sérieux concurrents
Un résultat qui semble indiquer que ces astres glacés ne sont pas la source principale de l’eau terrestre. Et qui, du coup, donne plus de poids à d’autres petits objets du système solaire, les astéroïdes, qui gravitent plus près du Soleil, entre Mars et Jupiter, et qui constituent eux aussi des vestiges du système solaire. Jusqu’à présent, en effet, les mesures effectuées sur des météorites récupérées sur Terre – dont on pense qu’elles proviennent d’astéroïdes –, ne montrent pas de différence dans la composition de leur contenu en eau avec celle des océans.
Mais cette conclusion est peut-être prématurée. « Nous avons effectué des mesures sur une dizaine de comètes seulement, précise Dominique Bockeele-Morvan. Et parmi elles, deux présentent un rapport en deutérium proche cette fois de celui de l’eau terrestre. Il est donc encore trop tôt pour trancher le débat. » Il est même possible que, dans les mois qui viennent, qui verront la comète devenir de plus en plus active, celle-ci éjecte, depuis d’autres régions, de la vapeur d’eau à la composition différente de celle déjà mesurée par Rosina. Pour Rosetta, la quête des origines de la vie ne fait que commencer.
- 1. Unité CNRS/Upec/Univ. Paris-Diderot.
- 2. F. Capaccioni et al., Science, article paru le 23 janvier 2015.
- 3. Unité CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Univ. Paris-Diderot.
- 4. « 67P/Churyumov-Gerasimenko, a Jupiter Family Comet with a High D/H Ratio », K. Altwegg et al., Science, publié en ligne le 10 décembre 2014.
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Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.