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Rosetta, la fin d'une odyssée
La sonde Rosetta a récemment entamé une phase de descente qui va la voir rejoindre Philae à la surface de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko le 30 septembre.
Anny-Chantal Levasseur-Regourd1 : Oui, c’est l’ultime phase d’un long périple à proximité du noyauFermerLa partie solide de la comète. et dont la navigation aura été très complexe pendant toute la durée de la mission. En effet, on ne peut pas se mettre en orbite autour d’un noyau cométaire, qui a une masse et donc une attraction très faible, comme on peut le faire dans le cas d’une planète ; on ne peut pas non plus rester à proximité du noyau quand il est très actif et éjecte des gaz et des poussières. Lorsqu’il a été décidé de donner cette fin à Rosetta, les phases de préparation ont débuté afin que la descente de Rosetta soit optimale pour les opérations techniques comme pour la science.
Beaucoup parlent de « collision », mais il s’agit plutôt d’un impact contrôlé, un deuxième atterrissage, qui serait presque aussi complexe à réaliser que celui de Philae en novembre 2014.
A.-C. L.-R. : En effet, la vitesse de la sonde Rosetta au moment où elle se posera sur le noyau pourrait être de l’ordre de 50 cm/s (1,8 km/h), soit deux fois moins que celle du robot Philae. Pour une vitesse aussi faible, parler d’impact ou de collision est un peu excessif, même si cette fin sera tout de même douloureuse pour Rosetta. Vu la surface si irrégulière de la comète, les immenses panneaux solaires vont peut-être souffrir, ainsi que l’antenne à haut gain, qui de toute façon ne pourra pas rester orientée vers la Terre et donc ne transmettra plus. Un atterrissage en douceur, mais qui signifie tout de même la fin de la mission.
Cette fin était-elle prévue dès le début de la mission ?
A.-C. L.-R. : La comète est passée le 13 août 2015 à son périhélie – le point le plus près du Soleil sur son orbite – et depuis s’en éloigne de plus en plus. Rosetta, pendant son long périple vers la comète, avait dû être mise en hibernation pendant une trentaine de mois, de juin 2011 à janvier 2014. En effet, c’est une sonde « écolo », qui repose entièrement sur l’énergie captée par ses panneaux solaires. Plus on s’éloigne du Soleil, moins on reçoit d’énergie.
a commencé
quelques mois
après le survol de
la comète de Halley
en mars 1986.
Actuellement, la puissance consommée permet de faire fonctionner la sonde et, simultanément, bon nombre des instruments embarqués. Nous avions donc deux choix : une descente contrôlée pour tirer le plus d’informations possible en fin de mission ou une nouvelle hibernation d’environ trois ans. Mais Rosetta a déjà beaucoup travaillé, et sa survie est loin d’être certaine. De plus, une sortie d’hibernation exigerait beaucoup de main-d’œuvre au centre de contrôle et tout cela coûterait très cher. Ce choix fut parfaitement consensuel.
Comment la zone d’atterrissage a-t-elle été choisie ?
A.-C. L.-R. : Nous commençons à connaître si bien cette comète que la solution était presque évidente. C’est une région (appelée Ma’at) qui se trouve sur le petit lobe, où se trouve aussi Philae, et qui est optimale, d’abord pour les contraintes opérationnelles de la descente, ensuite pour son potentiel scientifique. En effet, cette région abrite plusieurs structures en forme de puits qui font environ 100 mètres de diamètre et 50 mètres de profondeur ; ces puits, parfois actifs, sont tapissés d’étranges nodules hémisphériques, parfois surnommés « œufs de dinosaures », et qui pourraient témoigner de mécanismes d’agrégation lors de la formation des noyaux cométaires.
Quels instruments seront opérationnels lors de cette approche ?
A.-C. L.-R. : Tous. Sauf évidemment Philae, et peut-être Midas, qui collecte des petites particules de poussière, mais qui n’aura pas le temps de les visualiser avec son microscope à force atomique embarqué.
Cette mission aura connu beaucoup de rebondissements avant même de décoller : dans le projet initial, il était même question de ramener des échantillons...
A.-C. L.-R. : En effet, le pré-projet initial était un partenariat entre la Nasa et l’ESA pour apporter sur Terre des échantillons aussi préservés que possible, c’est-à-dire à basse température et sans risque de destruction de leur structure poreuse. Mais cela s’est révélé affreusement complexe et donc coûteux, et la Nasa, de façon très raisonnable, a décidé de ne pas poursuivre pour se concentrer sur des missions plus courtes mais qui ont été de vrais succès comme Stardust, Deep Impact ou Epoxi.
Ce qui a tout de même entraîné un grand bouleversement de la mission.
A.-C. L.-R. : Oui, et en plusieurs étapes. Il avait aussi été prévu que deux atterrisseurs soient développés, Roland (Allemagne) et Champollion (États-Unis). Lorsque ce dernier projet a été abandonné, il restait une masse inoccupée à bord de Rosetta et certaines expériences comme Consert, qui devait se trouver en partie sur Champollion, n’étaient plus réalisables. Très heureusement, un accord entre l’Allemagne et la France a transformé Roland en Philae, qui fut une réalisation absolument exceptionnelle. Pour autant, la Nasa n’a pas disparu de la mission, puisqu’elle est responsable de trois instruments embarqués sur Rosetta.
Pour vous, comme pour beaucoup d’autres, c’est aussi une aventure humaine qui aura duré plus de vingt ans et vous avez été une des premières personnes à être impliquée dans la phase embryonnaire du projet.
A.-C. L.-R. : Oui, tout cela a réellement commencé quelques mois après le survol de la comète de Halley par Giotto en mars 1986, avec une réunion à Canterbury (Grande-Bretagne). Nous savions déjà que les survols ne suffiraient pas, et le rêve était bien de faire un rendez-vous de longue durée avec une comète, afin de suivre son évolution alors qu’elle s’échauffe en se rapprochant du Soleil, puis se refroidit alors qu’elle s’en éloigne. Cela a été une aventure humaine pour beaucoup de monde, scientifiques, techniciens, ingénieurs… D’ailleurs certains qui étaient à la retraite sont revenus prendre part au réveil de Rosetta en janvier 2014. Je n’oublierai jamais cette période où Rosetta s’est rapprochée de la comète, jusqu’à pratiquement en atteindre l’orbite au début du mois d’août 2014. Ni la soirée du 12 novembre 2014, lorsque nous avons constaté que Philae avait rebondi, avant de comprendre au cours de la nuit qu’il n’avait pas atteint la vitesse de libération et s’était finalement posé dans une région très abritée où il a pu remplir sa mission jusqu’à usure complète de ses piles. Mais ce que j’ai trouvé vraiment extraordinaire, c’est l’impact énorme que cela a eu sur le grand public.
Quel bilan scientifique pouvons-nous tirer de cette mission aujourd’hui ?
A.-C. L.-R. : Il y a trois grandes familles de résultats : des images du noyau, des confirmations d’hypothèses et des découvertes inattendues. Pour commencer, les résultats les plus spectaculaires sont ces paysages absolument incroyables obtenus par le système imageur Osiris.
plus spectaculaires
sont ces paysages
incroyables
obtenus par
l’imageur Osiris.
C’est la première fois que nous observons d’aussi près et pendant aussi longtemps une comète. Et qu’est-ce que l’on voit ? Ce noyau avec deux lobes et une variété énorme de structures, des structures comparables à des dunes, à des gros débris, à ces puits quasi circulaires dont nous avons déjà parlé. Et aussi des zones très lisses qui correspondent à des dépôts de poussières fines ou encore des sortes de falaises, mais qui sont en réalité des couches superposées en terrasses, peut-être des témoignages de l’agglomération des noyaux.
Car on parle de deux objets qui se seraient peut-être rejoints.
A.-C. L.-R. : Absolument, en voyant que ces terrasses n’ont pas les mêmes orientations sur les deux lobes, on commence à penser qu’il s’agit de deux sous-noyaux différents qui se sont rapprochés l’un de l’autre avec une vitesse relative très faible. Nous pouvons considérer cela comme une « vérité-terrain » d’hypothèses qui existaient auparavant.
Et de nombreuses autres hypothèses ont également été confirmées grâce à cette mission.
A.-C. L.-R. : Oui. La mission Rosetta a confirmé un bon nombre d’hypothèses. Avant même que les deux lobes ne se soient rejoints, la formation de ces sous-noyaux s’est faite par agrégation de particules solides à faible vitesse, comme en témoignent les images réalisées par Midas. Une autre vérification d’hypothèses antérieures a été obtenue par l’expérience française Consert, qui a mis en évidence une structure interne relativement homogène de la comète et qui en a déterminé la porosité. Sa masse a été mesurée avec précision, ainsi que sa forme, une première scientifique. Résultat : une densité de 0,53 g/cm3 (à titre de comparaison, la densité de la terre est de 5.51 g/cm³, NDLR). Pour cet objet constitué de poussières et de glaces, cela signifie une porosité très élevée, sensiblement supérieure à 70 %.
Et cette densité était importante pour la phase d’atterrissage de Philae.
A.-C. L.-R. : Oui, nous avons eu beaucoup de chance, car les ingénieurs qui avaient construit Philae avaient beaucoup de mal à accepter que la densité des noyaux soit inférieure à 1. Philae avait été construit pour atterrir sur la comète 46P/Wirtanen, mais à la suite d’un problème sur la fusée de lancement Ariane en 2003, il a fallu trouver une autre comète de la famille de Jupiter, 67P/Churyumov-Gerasimenko, dont le noyau est plus grand que celui de Wirtanen, et a donc, avec sa densité bien inférieure à 1, une masse et une attraction comparables à ce qui avait été prévu pour Philae.
Vous attendiez-vous à la forme de cette comète ?
A.-C. L.-R. : Il n’est pas impossible qu’il y ait beaucoup de noyaux cométaires qui aient cette forme. Le noyau de 1P/Halley lui-même semble constitué de deux parties, et la mission américaine Epoxi a mis en évidence, en survolant 103P/Hartley2, une forme comparable à celle d’un haltère. Certains astéroïdes ont aussi ce genre de forme, donc ce n’était pas vraiment une surprise.
auraient pu
apporter les
ingrédients
nécessaires
à l’apparition
de la vie.
Pouvez-vous nous parler d’autres confirmations importantes ?
A.-C. L.-R. : La composition des gaz majoritaires dans la chevelureFermerLe vaste halo entourant le noyau, constitué de gaz provenant de la sublimation des glaces et de particules solides éjectées avec ces gaz., mais aussi des choses plus fascinantes au niveau des matériaux plus réfractaires. La mission Stardust avait collecté des échantillons à grande vitesse (6,1 km/s) dans la chevelure de la comète 81P/Wild 2 et la présence de glycine avait été fortement suspectée. L’instrument Cosima de Rosetta a permis de confirmer cette présence sur une comète, et dès qu’on part dans les acides aminés…
… nous sommes sur les briques de la vie.
A.-C. L.-R. : Oui, des briques, qui ne sont certainement pas suffisantes, mais probablement nécessaires à l’apparition de la vie. Là on commence à avoir énormément d’évidences, ce qui est bouleversant. Et la structure en agrégats plus ou moins compacts, établie par le microscope de Cosima et le microscope à force atomique de Midas, suggère que ces matériaux auraient pu survivre à leur traversée de l’atmosphère. Ainsi, les comètes auraient pu apporter, directement par des impacts sur Terre, ou plutôt indirectement par l’injection de poussières dans le nuage interplanétaire (lors du grand bombardement tardif il y a 4 milliards d’années) ces ingrédients susceptibles d’être nécessaires à l’apparition de la vie. Cela vient s’ajouter à un résultat plus inattendu, parmi bien d’autres, à savoir la découverte d’oxygène moléculaire dans une comète, qui permettrait là encore de remonter à l’origine du système solaire.
Si beaucoup parlent de « point final » pour Rosetta, vous vivez cela plutôt comme le début d’une longue histoire.
A.-C. L.-R. : Oui, c’est un point final pour la mission, mais la science ne se fait pas instantanément. Les équipes, très impliquées dans la mission Rosetta, ont passé beaucoup de temps à assurer sa réalisation technique et vont maintenant se consacrer à 100 % à la science. Et comme toujours avec l’exploration spatiale, les résultats les plus remarquables pourront demander parfois des années avant d’émerger et d’être finalement validés.
- 1. Professeure émérite à l’UPMC et chercheuse au Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (CNRS/UPMC/UVSQ).
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