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Pourquoi court-on après les comètes ?
Le 20 janvier 2014, la sonde Rosetta, dédiée à l’étude de l’un des plus vieux objets de notre système solaire, commençait à se réveiller après 957 jours d’hibernation. Le 27 mars, elle ouvrait les yeux: OSIRIS (Optical, Spectroscopic and Infrared Remote Imaging System), l'un des onze instruments scientifiques embarqués, envoyait vers la terre les premiers clichés de la comète Churyumov-Gerasimenko, sa cible alors éloignée de 5 millions de km. L'engin de l’Agence spatiale européenne (ESA), entamait à cette occasion l'étape ultime d'un long voyage commencé voilà dix ans et qui croisera la trajectoire de la comète au mois d’août, à quelque part à 525 millions de kilomètres du Soleil. Un peu plus d'un mois plus tard, la sonde - qui n'est plus désormais qu'à 2 millions de km de la comète - peut désormais distinguer sa queue.
Après s’être mis en orbite autour de son noyau, puis avoir cartographié sa surface dans les moindres détails, l’engin y déposera l’atterrisseur Philae, le 11 novembre 2014, sous la surveillance attentive du Sonc, le centre de mission scientifique de Philae du Cnes à Toulouse. Durant au moins cinq jours, celui-ci tentera d’analyser le sol, de le sonder à l’aide d’ondes radio et même d’y creuser un trou d’une vingtaine de centimètres de profondeur. Par la suite et jusqu’au mois décembre 2015, sonde et atterrisseur accompagneront l’objet céleste dans sa course. Et mesureront, grâce à une vingtaine d’instruments scientifiques1 et au fur et à mesure qu’ils se rapprocheront du Soleil à une distance de 194 millions de kilomètres, ses caractéristiques physiques et chimiques et son activité.
Les comètes, « briques élémentaires » des planètes
Si tout se passe comme prévu, Rosetta révolutionnera nos connaissances sur les comètes, ces astres dont 5 811 étaient connus le 15 mai 2013. « Et cela, explique Christelle Briois, maître de conférences au LPC2E2 et coresponsable des instruments Cosima et Rosina de la sonde, parce que Churyumov-Gerasimenko sera seulement le sixième de ces corps célestes à avoir été étudié de près par une technologie humaine, et le premier à ne pas avoir été honoré d’un bref survol. » En effet, en gravitant autour du noyau de Churyumov-Gerasimenko durant plusieurs mois, la sonde va, pour la première fois, pouvoir observer comment les glaces d’une comète se réchauffent et se subliment à l’approche du Soleil pour produire une magnifique chevelure de gaz et de poussières, appelée coma, prolongée de deux longues queues dites de poussières et de plasmas.
L’importance des efforts ainsi déployés s’explique aisément : les comètes sont des « briques » élémentaires de notre système solaire. L’agglomérat de glaces et de matières dont elles sont composées a survécu aux multiples bouleversements qu’il a subi depuis 4,567 milliards d’années. En ces temps lointains, le Soleil n’est âgé que de 10 millions d’années. La nébuleuse de gaz et de poussières qui l’entoure s’est aplatie. Dans ce disque protoplanètaire, des particules de matières microscopiques à centimétriques s’agglutinent pour fabriquer des planétésimaux. Certains d’entre eux formeront plus tard, en grossissant et en s’entrechoquant, les planètes gazeuses et rocheuses que nous connaissons. Mais d’autres resteront en l’état. Tel est le cas des comètes.
Approfondir l’histoire de notre système solaire
Occupant des orbites de fortes excentricités dans des régions très éloignées du Soleil dont ils s’échappent parfois, ces corps poreux, et donc mauvais conducteurs de chaleur, ont un cœur extrêmement froid (– 270 °C). Ce qui leur a permis de conserver leurs molécules les plus volatiles sous une forme solide. Par ailleurs, en raison de leurs petites tailles (de 1 à 40 kilomètres), ils n’ont pas été, contrairement aux plus gros astéroïdes, transformés sous l’effet d’une radioactivité interne. Aussi jouent-ils, aux yeux des astronomes, le rôle de fossiles de notre système solaire primitif à même de les renseigner sur son évolution et sur sa composition dans le passé, et donc sur son histoire.
Le fait que les comètes soient constituées à la fois de glaces provenant de régions froides et lointaines et de minéraux, comme des silicates cristallins, façonnés à hautes températures à proximité du Soleil, indique que le matériau du disque protoplanétaire a été fortement mélangé à une certaine époque. Quand et par quel mécanisme ? Des connaissances plus approfondies sur l’état physique et chimique de ces astres permettraient de le préciser. Mais aussi d’établir si ces corps sont d’une autre nature que les astéroïdes ou même de préciser là où ils sont nés.
Car certains spécialistes de la dynamique du système solaire, parmi lesquels Allessandro Morbidelli du Laboratoire J.-L. Lagrange3, à Nice, l’affirment avec force : les comètes n’ont rejoint leurs réservoirs actuels que 600 millions d’années après leur apparition. Selon eux, en changeant d’orbite pour s’éloigner du Soleil, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune les auraient, à une certaine époque, éjectées vers le nuage d’Oort et la ceinture de Kuiper, où on les retrouve actuellement, provoquant au passage le bombardement intense tardif (LHB) d’astéroïdes subi par la Lune il y a 3,9 milliards d’années. L’un des objectifs de Rosetta est de tenter de le prouver.
Les comètes à l’origine de l’eau sur Terre ?
Autre grand secret que pourraient révéler les comètes : l’eau. Notre planète en était dépourvue à ses débuts. Dès lors, d’où proviennent les océans qui occupent les deux tiers de sa surface ? Plusieurs théories ont fait des comètes les candidates idéales. Durant l’épisode survenu dans les 20 ou 30 premiers millions d’années de l’histoire de la Terre, connu sous le nom de Grand Tack, et/ou 600 millions d’années plus tard, au cours du LHB, certaines d’entre elles se seraient écrasées sur notre sol et auraient apporté l’essentiel de cette eau. Problème : aucune campagne d’observations, au sol ou dans l’espace, n’avait jusqu’ici réussi à vérifier cette hypothèse. En montrant que l’eau des comètes a une teneur en "eau mi-lourde" deux fois plus importante que celle des mers, quelques chercheurs sont même parvenus à la conclusion inverse !
Mais des travaux d’une équipe internationale incluant le Lésia4 ont récemment relancé le débat. Grâce au télescope infrarouge Herschel de l’ESA, ces chercheurs ont découvert5 que 103P/Hartley-2, un objet que la sonde Deep Impact (rebaptisée Epoxi) de la Nasa a survolé fin 2010 à une altitude de 700 kilomètres, renfermait une eau de même composition que celle de la Terre. Co-investigatrice des instruments Virtis et Miro de Rosetta, Dominique Bockelée-Morvan, qui a participé à l’étude, détaille le principal intérêt de cette découverte : « La comète en question, contrairement aux six qui avaient déjà été étudiées avec le même objectif, n’est pas originaire du nuage d’Oort mais de la ceinture de Kuiper. » La source de l’eau terrestre serait-elle dissimulée dans cette région du système solaire ? Ou faudrait-il plutôt la rechercher du côté de la ceinture principale d’astéroïdes, entre Mars et Jupiter, des astres dont on sait depuis peu qu’ils contiennent, en faible quantité, une eau de bonne composition susceptible d’apparaître à leur surface sous forme de vapeur6 ? Rosetta, dédiée à l’étude de la comète Churyumov-Gerasimenko, issue de la ceinture de Kuiper, pourrait répondre à la question.
Enfin, les comètes ont-elles apporté sur Terre les molécules nécessaires à la vie ? L’analyse de certaines météorites, comme celle, fameuse, de Murchison, a permis de démontrer que des astéroïdes pouvaient renfermer jusqu’à 78 acides aminés différents. Mais, pour l’instant, en ce qui concerne les comètes, le jeu reste largement ouvert. En 1986, l’analyse par la sonde Giotto des poussières issues du noyau de la comète de Halley a certes mis en évidence de la matière organique, mais elle n’avait pu être caractérisée. Quant aux échantillons récupérés par la sonde Stardust de la Nasa dans la queue de la comète 81P/Wild 2, ils étaient en trop mauvais état lors de leur arrivée sur Terre en 2006 pour que les chercheurs puissent espérer faire des découvertes majeures sur ce point. À ce jour, seule la présence de glycine a ainsi été prouvée… La mission Rosetta réussira-t-elle à faire mieux ? Sa sonde et son atterrisseur, sont, en tout cas, équipés d’instruments à même de préciser la nature des molécules organiques qui pourraient être trouvées.
À suivre :
Seconde édition du forum du CNRS, à Grenoble.
Conférence « Rosetta, premier rendez-vous avec une comète », samedi 11 octobre 2014, de 15 h 10 à 16 h 10.
- 1. Plusieurs laboratoires publics du Cnes, du CNRS, de l’UPS et de l’Observatoire de Paris sont impliqués dans le projet Rosetta, en particulier dans la fourniture des instruments : CSNSM, GRGS, IAS, Ipag, IPG, Irap, LAM, Latmos, Lerma, Lésia, Lisa, LPC2E, LPP et OMP.
- 2. Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace (CNRS/Univ. d’Orléans).
- 3. Unité CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Univ. Nice-Sophia-Antipolis.
- 4. Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Univ. Paris-Diderot).
- 5. Travaux publiés dans Nature le 13 octobre 2011, 478 : 218–220.
- 6. Une équipe internationale incluant des chercheurs du Lésia et de l’IMCCE (CNRS/Observatoire de Paris/CNRS/UPMC/Univ. Lille-I) vient de l’établir en observant l’astéroïde Ceres à l’aide du télescope Herschel (travaux publiés en ligne dans Nature le 22 janvier 2014).
Commentaires
Serait-il possible de créer
hackers-lab le 26 Mars 2014 à 16h10Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS