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Philippe Lamy, les yeux vers Rosetta
Curieusement, il ne s’agissait pas, au départ, d’une vocation. Ce n’est en effet qu’à l’âge de 23 ans, durant un master effectué à l’université Cornell (États-Unis), que Philippe Lamy, alors jeune diplômé de Supaero, a commencé à se passionner pour l’exploration spatiale. Depuis, la curiosité pour les objets de notre système solaire de celui qui, au titre de directeur de recherche émérite au CNRS, est l’un des piliers du Laboratoire d’astrophysique de Marseille1, ne s’est jamais démentie. Sans pour autant que cela se traduise chez lui par un reniement de sa formation initiale d’ingénieur. Au contraire : à considérer les nombreux instruments qu’il aura contribué à développer sur des missions comme Soho et Rosetta, il pourrait être vu non seulement comme un scientifique mais aussi comme un concepteur de « manips » spatiales ! Reconnu dans le monde entier, il a même donné son nom à un astéroïde.
À la poursuite des poussières cosmiques
De sa thèse de théoricien qu’il passe en 1974 aux États-Unis, cet homme aux goûts pratiques dit qu’elle ne fut pas « le point le plus important » de sa carrière. Consacrée à « la dynamique des grains de poussières interplanétaires », elle déterminera pourtant la suite de son parcours. Ces poussières, libérées par les comètes lorsqu’elles se réchauffent à l’approche du Soleil ou lors des collisions entre astéroïdes, peuplent une grande partie du système solaire. Celles-ci finissent par tomber vers notre étoile, et ce par des effets complexes, dont le doctorant reformule alors, avec son directeur de thèse, les équations avant d’en donner une quantification rigoureuse dans un article qui restera comme l’un des plus cités de la revue Icarus. Soleil, comètes… Quarante plus tard, ces thèmes forment le fil rouge de la biographie de Philippe Lamy.
a proposé une
technique inédite
qui a permis
de caractériser
une trentaine de noyaux cométaires.
Et d’épargner
à Rosetta un probable fiasco !
À son retour en France, le jeune astrophysicien intègre le Laboratoire d’astronomie spatiale de Marseille (qui deviendra plus tard le LAM) et rentre au CNRS. Et, pour ses débuts, il implique l’équipe dans un projet pour le moins ambitieux : participer à la réalisation d’un photomètre, un appareil permettant de mesurer des grandeurs lumineuses pour l’étude des poussières cométaires dans le cadre la mission Giotto de l’ESA qui, en 1986, effectue en s’approchant au plus près de P/Halley le premier survol d’une comète dans l’histoire. Fort de ce succès, il propose avec des confrères de développer l’un des trois coronographesFermerInstruments capables d’occulter la partie centrale d’une étoile afin que l’on puisse en étudier la couronne, ainsi que des objets moins lumineux situés aux alentours de l’étoile. du futur observatoire spatial Soho de l’ESA, dédié à l’étude du Soleil. L’instrument Lasco-C2, qu’il contribue finalement à mettre point et dont il assume la responsabilité scientifique, restera à ses yeux comme l’une de ses « plus belles » réalisations et, en tout cas, celle dont il est le plus fier. Les images de la couronne solaire qu’il envoie depuis 1996 sont à l’origine de nombreux résultats scientifiques, notamment pour tout ce qui concerne les éjections de masse coronale et les comètes rasantes, dont plus de 2 000 ont été découvertes.
D’autres instruments suivront. Dont certains conçus en partenariat avec des industriels, comme Aspiics, un coronographe géant distribué sur deux satellites volant en formation, et qui sont toujours en cours de développement. Mais c’est Rosetta qui donnera à Philippe Lamy, qui a entre-temps pris des responsabilités au sein de plusieurs sociétés savantes et encadré de nombreux étudiants2, une autre grande occasion de se distinguer. Grâce à la mission Giotto, les astrophysiciens ont appris que les noyaux des comètes sont non seulement petits (au mieux quelques kilomètres), mais également très sombres et donc presque indétectables pour les télescopes au sol. Dès lors, comment établir leur taille et leur forme ? Philippe Lamy propose une technique inédite couplant l’analyse des images à haute résolution des grands télescopes spatiaux (Hubble, ISO ou Spitzer) à leur modélisation numérique fine. Une innovation qui permet à son équipe de caractériser, pour la première fois, une trentaine de noyaux cométaires. Et même d’épargner à Rosetta un probable fiasco !
Des plans sur la comète…
Destinée à mettre une sonde en orbite autour d’un de ces astres chevelus puis d’y déposer un atterrisseur baptisé Philae, la mission devait à l’origine rallier Wirtanen. Une comète dont Philippe Lamy et ses collègues avaient déterminé la taille : 600 mètres de rayon. Mais l’échec d’un vol de la fusée Ariane 5 provoque un report du lancement, forçant l’ESA à rechercher une nouvelle cible. Ce sera la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, dont le rendez-vous avec Rosetta est programmé pour août 2014. La taille de ce nouveau noyau est-elle compatible avec un atterrissage « en douceur » de Philae ? À nouveau sollicité, le groupe de Philippe Lamy livre bientôt son verdict : 2 kilomètres de rayon ! C’est hors spécifications pour les patins de l’atterrisseur Philae, qui devront être renforcés in extremis, quelques semaines avant le lancement.
La contribution du LAM à Rosetta n’est heureusement pas limitée à ce seul incident. Outre qu’il participe au développement de l’analyseur de poussières, de la sonde et à celui de la caméra panoramique Civa-P de Philae3, le laboratoire est chargé, sous la responsabilité de Philippe Lamy, de la conception et de la réalisation d’Osiris-NAC4. Montée sur l’orbiteur, cette caméra à haute résolution spatiale sera pointée à partir du mois de mai vers la comète Churyumov-Gerasimenko. Et a pour tâche de réaliser, pour le 25 août, une carte topographique de son noyau d’une précision de 3 ou 4 mètres sur laquelle seront sélectionnés les cinq sites d’atterrissage potentiels. Plus tard, elle devra effectuer un relevé complet de la surface de l’objet avec une résolution de l’ordre de 80 centimètres.
Tout se déroulera-t-il sans accroc ? L’instrument, qui a déjà été sollicité lorsque la sonde a survolé, le 1er septembre 2008 et le 10 juillet 2010, les astéroïdes Steins et Lutetia, a en tout cas déjà été utilisé en opération. Si un incident est survenu lors de la première de ces rencontres, pour la seconde, tout a fonctionné parfaitement. Permettant même à l’équipe de Philippe Lamy d’établir que Lutetia appartient à une catégorie spéciale de planétésimaux ayant servi de matériau de base à la Terre au moment de sa formation, voilà plus de 4 milliards d’années. Ce qui fait dire au chercheur qu’il est « raisonnablement optimiste », au moins en ce qui concerne les observations de la comète Churyumov-Gerasimenko.
Voir aussi : Pourquoi court-on après les comètes?
- 1. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ.
- 2. Philippe Lamy a assuré la direction ou codirection de plus d’une cinquantaine de stages (DEA, master, Grandes écoles) et de 22 thèses. Plusieurs de ses anciens doctorants sont maintenant chercheurs ou ingénieurs de recherche au CNRS ou en poste à l’Université.
- 3. Philippe Lamy est l’un des co-investigateurs principal de cet instrument.
- 4. La caméra Osiris-NAC forme avec sa sœur, la caméra à grand champ Osiris-WAC, l’instrument Osiris de la mission Rosetta.
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