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L’archéologie devient galactique

L’archéologie devient galactique

27.02.2024, par
W. M. Keck Observatory
La Voie lactée au-dessus du sommet du volcan Mauna Kea sur l'île d'Hawaï, où sont situés plusieurs observatoires astronomiques dont les deux télescopes du W. M. Keck (à droite).
Reconstituer l’histoire de notre Voie lactée, du Big Bang à nos jours : c’est l’objectif, désormais à portée d’instruments, de l’archéologie galactique.

« Une nouvelle page de l’astronomie s’ouvre. » C’est ainsi qu’en 2016, l’astronome François Mignard, responsable scientifique de la mission Gaia, commentait la publication de son premier catalogue de résultats. À l’époque, le télescope spatial Gaia avait déjà permis d’établir avec une précision inégalée la luminosité, la distance et la vitesse relative d’environ 1 milliard d’étoiles. Dans l'avant-dernier catalogue, publié en juin 2022, l’inventaire ne comprenait pas moins de 1,8 milliard d’étoiles.

Vue d’artiste de la structure en spirale de la Voie lactée, avec sa barre lumineuse centrale. Le Soleil est sur sa périphérie, à 26 600 années-lumière du centre, vers le bas de l'image.
Vue d’artiste de la structure en spirale de la Voie lactée, avec sa barre lumineuse centrale. Le Soleil est sur sa périphérie, à 26 600 années-lumière du centre, vers le bas de l'image.

Mais à quoi servent toutes ces données ? À se repérer dans la Voie lactée, certes, mais aussi à comprendre pourquoi ces étoiles sont là. « Notre galaxie, telle qu’elle est aujourd’hui, a commencé à se former il y a environ 13 milliards d’années, raconte Alejandra Recio-Blanco1, astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Ce que nous voulons savoir avec Gaia, c’est ce qu’il s’est passé au cours de son histoire, comment nous en sommes arrivés là. » À l’instar de l’archéologie terrestre, l’archéologie galactique se fixe ainsi pour but de remonter le temps pour comprendre l’évolution de la Voie lactée et reconstituer l’apparence qu’elle avait il y a des milliards d’années.

De la cosmologie à l’archéologie galactique

Les grands télescopes comme l’observatoire W. M. Keck, Hubble, ou plus récemment le James-Webb, qui parviennent à observer des galaxies très lointaines, ont commencé à donner un aperçu de ce à quoi ressemblait l’Univers peu de temps après le Big Bang.

Notre galaxie, telle qu’elle est aujourd’hui, a commencé à se former il y a environ 13 milliards d’années.

Le modèle cosmologique standard propose quant à lui le scénario d’un Univers à l’origine très dense, en expansion et à l’intérieur duquel la matière se serait condensée sous l’effet de sa propre gravité, finissant par former étoiles et galaxies. Mais ce tableau général ne permet pas d’expliquer comment on en est arrivé à des galaxies spirales semblables à la nôtre.

« Ces modèles ne sont pas suffisamment précis, et l’archéologie galactique, notamment via les découvertes de Gaia, a ajouté de la complexité à cette image simpliste, précise Alejandra Recio-Blanco. Dorénavant, nous pouvons étudier l’évolution d’une galaxie, la Voie lactée, avec une grande précision. »

La galaxie naine du Sagittaire est en orbite autour de la Voie lactée depuis des milliards d’années. Selon une nouvelle étude, les trois collisions connues entre le Sagittaire et la Voie lactée ont déclenché d'importants épisodes de formation d'étoiles, dont l'un pourrait avoir donné naissance à notre Système solaire.
La galaxie naine du Sagittaire est en orbite autour de la Voie lactée depuis des milliards d’années. Selon une nouvelle étude, les trois collisions connues entre le Sagittaire et la Voie lactée ont déclenché d'importants épisodes de formation d'étoiles, dont l'un pourrait avoir donné naissance à notre Système solaire.

Et Gaia a quelque peu chamboulé ce que l’on pensait savoir. « Le satellite a un tel degré de précision que nous pouvons retracer les mouvements des étoiles, explique Nicolas Martin, de l’Observatoire astronomique de Strasbourg2. Nous pouvons ainsi identifier des groupes d’étoiles qui vont dans la même direction, ce sont des courants stellaires. Ensuite, il faut tout un travail d’orpaillage, de modélisation, pour savoir d’où viennent ces courants et retracer la formation de la Voie lactée. »

Reconstituer l’écheveau des courants stellaires

Les résultats de ces travaux ont montré qu’il n’y a pas eu une bouillie post-Big Bang suivie de quelques milliards d’années de calme, mais une évolution constante qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Bref, la Voie lactée connaît encore des transformations subtiles au gré des courants stellaires. Pour réussir à reconstituer cette histoire galactique, il faut étudier un nombre considérable d’étoiles. « On ne pourrait pas retracer l’histoire de France en ne s’intéressant qu’à une dizaine de personnes ! », plaisante Alejandra Recio-Blanco. Gaia, qui a déjà pu observer 2 % des étoiles de la Voie lactée, est ainsi capable de révéler des événements et des structures du passé qui avaient jusqu’à présent échappé aux astronomes.

Illustration de la fusion entre la galaxie Gaia-Enceladus et la Voie lactée, qui aurait eu lieu pendant les premiers stades de la formation de notre galaxie, il y a 10 milliards d'années (les flèches jaunes représentent les étoiles nées de la fusion).
Illustration de la fusion entre la galaxie Gaia-Enceladus et la Voie lactée, qui aurait eu lieu pendant les premiers stades de la formation de notre galaxie, il y a 10 milliards d'années (les flèches jaunes représentent les étoiles nées de la fusion).

Parmi eux, la découverte en 2018 de la galaxie Gaia-Enceladus. D’une masse similaire à celle du Petit Nuage de Magellan, elle s’est mélangée à la Voie lactée il y a une dizaine de milliards d’années, ce qui a bouleversé l’architecture et l’évolution de notre galaxie. « Cela a constitué un événement majeur dans l’histoire de la Voie lactée, affirme Alejandra Recio-Blanco. Sans savoir ça, nous ne pouvons pas comprendre notre propre galaxie. » Plus de dix ans après la mise en orbite de Gaia, le nouveau portrait biographique de notre galaxie demeure imprécis, mais on y discerne de mieux en mieux les différents courants stellaires qui s’y sont amalgamés pour former la Voie lactée telle que nous la connaissons.

À la poursuite des étoiles reliques

Les astronomes-archéologues ne s’intéressent pas qu’aux mouvements des étoiles, ils en traquent également les reliques les plus anciennes. Une quête que Nicolas Martin mène avec le projet Pristine. « Nous cherchons les plus vieilles étoiles de notre galaxie. Elles sont difficiles à trouver car très rares, mais elles ont quelques caractéristiques intéressantes. »

Distribution des groupes très denses d’étoiles (amas globulaires) de la Voie lactée superposée à la carte de la Voie lactée construite à partir des données de la sonde Gaia. Chaque point est un regroupement de quelques milliers à plusieurs millions d'étoiles (en insert, l'amas Messier 10). La couleur des points représente leur métallicité (quantité d'éléments lourds par rapport au Soleil).
Distribution des groupes très denses d’étoiles (amas globulaires) de la Voie lactée superposée à la carte de la Voie lactée construite à partir des données de la sonde Gaia. Chaque point est un regroupement de quelques milliers à plusieurs millions d'étoiles (en insert, l'amas Messier 10). La couleur des points représente leur métallicité (quantité d'éléments lourds par rapport au Soleil).

Pour repérer ces astres, Pristine s’appuie depuis une dizaine d’années sur le télescope Canada-France-Hawaï à Mauna Kea. En effet, celui-ci dispose d’un filtre bien particulier qui lui permet de connaître la métallicité des étoiles observées (soit leur teneur en éléments plus lourds que l’hélium), une donnée cruciale pour déterminer leur ancienneté. « Peu après le Big Bang, il n’y avait aucun atome plus lourd que l’hélium dans l’Univers. Les autres éléments ont été apportés plus tard, avec l’explosion des premières étoiles qui ont répandu ces matériaux formés dans leur cœur, détaille Nicolas Martin. Ce qui veut dire qu’une étoile apparue plus récemment aura un peu plus de métaux dans sa composition qu’une plus ancienne. C’est ainsi qu’on arrive, à peu près, à définir l’ancienneté d’une étoile. »

Peu après le Big Bang, il n’y avait aucun atome plus lourd que l’hélium dans l’Univers.

En dix ans d’activité, le programme Pristine a pu observer des millions d’étoiles parmi lesquelles plusieurs centaines affichent un taux de métallicité si faible qu’elles semblent être nées dans les deux premiers milliards d’années de l’Univers, ce qui en fait des reliques exceptionnelles.

Le but est de coupler ces trouvailles avec les données de Gaia pour retracer leur parcours et comment ces premiers ensembles ont fini par capturer d’autres courants stellaires. « Grâce à ces “fossiles”, nous avons une fenêtre sur ce lointain passé, ajoute Nicolas Martin. Nous commençons à dessiner les débuts de la Voie lactée, même s’il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. »

Collision en cours

Retracer toute l’histoire de notre galaxie, des premières étoiles jusqu’à son architecture actuelle, reste en effet un horizon encore lointain en dépit des progrès impressionnants accomplis depuis le lancement de Gaia. « Ce que nous savons désormais, résume Alejandra Recio-Blanco, c’est que la Voie lactée n’est pas un espace fermé. Nous sommes en permanence influencés par notre environnement, même à l’échelle galactique. »

On sait grâce aux données d’Hubble et de Gaia que le disque de la Voie lactée s’étend sur un rayon de 129 000 années-lumière (depuis le centre de la Galaxie).
On sait grâce aux données d’Hubble et de Gaia que le disque de la Voie lactée s’étend sur un rayon de 129 000 années-lumière (depuis le centre de la Galaxie).

Dernière illustration de ce phénomène : le disque galactique qui oscille légèrement de haut en bas, comme une mare sur laquelle on a jeté un caillou. Cette oscillation, mise en lumière grâce aux données de Gaia, serait due au passage de la galaxie naine du Sagittaire, un ensemble large de 10 000 années-lumière qui est en train de « tomber » dans la Voie lactée. Chaque passage de cette galaxie satellite, découverte il y a à peine trente ans, perturbe le disque galactique et provoque des vagues de formation d’étoiles. Gaia est loin d’avoir fini sa mission, et le dernier catalogue de données paru en octobre dernier ne comprend que les 34 premiers mois de sa mission. Les archéologues galactiques ont encore des années d’observation d’étoiles à analyser, et la Voie lactée n’a pas fini de livrer les secrets de son histoire mouvementée. ♦

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Notes
  • 1. Laboratoire Joseph-Louis Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université Côte d’Azur).
  • 2. Unité CNRS/Université de Strasbourg.