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Ici l’espace, vous avez un plan B ?
Ce 10 mai 2015, les mains de Jean-Yves Bonnet ne peuvent s’empêcher de trembler un peu. Après une longue session d’exploration et d’interprétation de données, cet ingénieur du Latmos1 s’apprête à reconfigurer l’un des instruments clés de Curiosity, le rover envoyé sur Mars par la Nasa : le chromatographe en phase gazeuse (SAM GC)2. Destiné à l’analyse de l’atmosphère et des échantillons solides de la planète rouge, il est tombé en panne trois mois plus tôt. C’est l’une des six colonnes chromatographiques de l’instrument, celle qui a le plus servi avec 27 analyses déjà réalisées et qui a vu son fonctionnement changer anormalement. « L’hélium censé transporter les échantillons gazeux à travers la colonne ne circulait plus normalement, raconte Jean-Yves Bonnet. Des échantillons issus d’une roche martienne se trouvaient encore à l’intérieur, et nous avons donc perdu une partie des données. »
Ne pas aggraver le problème
La participation de toute l’équipe instrumentale, en France et aux États-Unis, trois mois durant, n’a pas été de trop pour mettre le doigt sur l’origine du problème. Les seules données accessibles sont des mesures de température et de pression ainsi que les enregistrements de deux détecteurs. Après avoir identifié le problème, il a fallu écrire le code de réparation destiné à rétablir le flux de gaz dans la colonne, puis tester la réparation envisagée sur une réplique de l’instrument située au centre de vol de la Nasa, le Goddard Space Flight Center, à Washington, avant de pouvoir enfin la transmettre à Curiosity. « Quand vous n’avez pas la possibilité d’aller sur place, il faut être sûr que ce que vous envoyez ne va pas créer encore plus de problèmes ou rendre l’instrument tout bonnement inutilisable », explique l’ingénieur.
les informations
envoyées ne vont
pas créer encore
plus de problèmes
ou rendre l’instrument
inutilisable.
Au même moment, toujours sur Curiosity, ChemCam, un ensemble de capteurs destinés à prendre des images haute résolution des échantillons de sol (RMI)3 et à déterminer leur composition à l’aide d’un faisceau laser (Libs)4, montrait lui aussi des signes de faiblesse : le composant utilisé pour focaliser le laser ne fonctionnait plus. « L’équipe de ChemCam a dû aller encore plus loin que nous et réécrire complètement le système d’exploitation afin de permettre à la caméra haute résolution de déterminer elle-même la bonne focalisation du laser », explique Jean-Yves Bonnet. Mission accomplie : le 11 mai 2015, les données envoyées par Curiosity indiquent que tous les systèmes sont pleinement opérationnels – au grand soulagement des équipes basées sur Terre.
Maintenir le contact
« Les réparations effectuées se compliquent singulièrement quand des délais sont imposés par la distance entre la Terre et le véhicule spatial », renchérit Anny-Chantal Levasseur-Regourd, également du Latmos, professeure à l’UPMC et spécialiste des comètes. Elle sait de quoi elle parle : elle est co-investigatrice pour plusieurs instruments embarqués sur Rosetta et son atterrisseur Philae. Et là non plus, tout ne s’est pas passé exactement comme prévu… Lors de l’atterrissage, un propulseur et un harpon défaillants ont empêché Philae de s’ancrer correctement sur le site initialement choisi. « On a eu trois atterrissages pour le prix d’un, ce qui faisait partie des scénarios envisagés, indique la chercheuse. Dans le pire des cas, l’engin aurait pu rebondir si fortement qu’il se serait échappé dans l’espace… »
De nombreux instruments étaient sous tension lors des rebonds, ce qui leur a permis de collecter des données en permanence5. Mais il fallait faire vite pour récupérer l’information : Philae avait terminé sa course dans un lieu sombre et froid et, sans l’énergie fournie par le Soleil, ses batteries allaient très vite cesser de fonctionner. « On avait une soixantaine d’heures à peine devant nous », se souvient la scientifique. Les ingénieurs parviennent tout de même, avec très peu d’informations à leur disposition, à optimiser l’orientation de Philae avant son passage en hibernation. « Sûr que ce n’était pas une procédure nominale… », commente Anny-Chantal Levasseur-Regourd.
Vers l’auto-réparation ?
Les principaux inconvénients de la communication dans l’espace sont connus : des flux de données extrêmement lents (l’équivalent d’un modem de 56 K pour la sonde de la Nasa New Horizons !), des distances énormes à parcourir, et la nécessité d’aligner les véhicules spatiaux qui doivent communiquer entre eux (par exemple Philae avec Rosetta). Pour y remédier, les ingénieurs s’évertuent à rendre les engins spatiaux toujours plus autonomes, souvent en intégrant aux systèmes dès leur conception des programmes alternatifs capables de prendre le relais en cas de défaillance de la procédure normale.
Ainsi, les chercheurs du laboratoire Isir6, à Paris, ont choisi de travailler sur un code permettant aux machines de trouver par elles-mêmes le programme alternatif le plus adapté en cas de panne. Pour ce faire, ils ont créé un robot capable d’évaluer tout seul ses capacités physiques et de trouver la solution la plus adaptée à chaque défaillance. Objectif de ce gros insecte doté de six pattes robotisées : avancer coûte que coûte. « La programmation de l’engin s’est faite en deux temps », explique Antoine Cully, coauteur d’un article paru dans Nature 7. « D’abord, le robot a lancé une simulation lui permettant de découvrir, selon un principe d’évolution darwinienne, les meilleures manières de marcher parmi la bagatelle de 1047 façons d’articuler ses pattes ! Après quinze jours de calcul, il a retenu 13 000 façons différentes de se déplacer », précise le chercheur âgé de tout juste 26 ans. Dans un deuxième temps, si le robot est confronté à une « blessure », ce sont ces 13 000 solutions potentielles qui le guident dans le processus d’essais/erreurs qui lui permet de choisir une nouvelle marche en une dizaine d’essais..
Dans la foulée, les chercheurs ont enlevé une, puis deux pattes au robot, puis ils ont remplacé l’un de ses pieds par un morceau de bois, et ainsi de suite… « Nous avons testé cinq scénarios de panne différents et, à chaque fois, le robot a mis moins de deux minutes avant de se remettre à marcher », raconte Antoine Cully. En simulation, les chercheurs ont même fini par enlever tous les pieds du robot, qui s’est alors retourné et a continué de se déplacer sur ses articulations, à la grande surprise de ses concepteurs. S’ils ont pour l’essentiel des applications industrielles, ces robots adaptatifs pourraient se révéler très utiles lors de missions de secours en environnement hostile, ou dans des lieux où aucune intervention humaine n’est envisageable. « On pourrait imaginer des rovers et des vaisseaux spatiaux capables de s’adapter, rêve à voix haute Antoine Cully. Cela serait particulièrement utile dans les situations où il faut réagir très vite. »
Anny-Chantal Levasseur-Regourd accueille l’idée avec plus de réserve : « Une mission spatiale n’a rien à voir avec les expériences menées en laboratoire terrestre, où l’on peut faire autant d’essais que l’on veut. C’est une opportunité unique pour mener des projets vraiment exceptionnels, à la limite de la faisabilité technique. Bien sûr, il peut y avoir des défaillances si l’on n’a pas prévu ce qui est presque imprévisible mais, dans l’immense majorité des cas, ces projets incroyables sont couronnés de succès. »
- 1. Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (CNRS/UPMC/UVSQ/Cnes).
- 2. Le Sample Analysis at Mars-Gas Chromatograph a été développé par le Latmos et le Lisa (CNRS/Upec/Univ. Paris Diderot) et placé sous la responsabilité du Nasa Goddard Space Flight Center.
- 3. Remote Micro-Imager.
- 4. Laser-Induced Breakdown Spectroscopy.
- 5. Les premiers résultats ont été publiés dans 8 articles de Science le 31 juillet 2015.
- 6. Institut des systèmes intelligents et de robotique (CNRS/UPMC/Inserm).
- 7. « Robots That Can Adapt Like Animals », A. Cully et al., Nature, 2015, vol. 521 (7553) : 503-7.