Donner du sens à la science

«Mathématiques, l'excellence au féminin»

«Mathématiques, l'excellence au féminin»

11.07.2014, par
L'Iranienne Maryam Mirzakhani, médaille Fields 2014, est la toute première lauréate de ce prix prestigieux. Aline Bonami nous éclaire sur la place des femmes dans les palmarès internationaux.

Depuis sa création en 1936, la médaille Fields a été décernée à 52 lauréats. Et parmi eux… pas une seule femme !  (NDLR : depuis la rédaction de cet article, l’Iranienne Maryam Mirzakhani a reçu la médaille Fields le 13 août 2014 à Séoul.  Première femme au palmarès, elle est décédée en 2017 à l'âge de 40 ans). Une statistique qui entraîne des commentaires en tous genres. "Surtout ne pas baisser le niveau", s'exclament certains, sous-entendant qu'il y aurait risque que le niveau baisse si l'on considérait des candidatures féminines ; "le jury est évidemment majoritairement masculin", s'exclament d'autres, sous-entendant que ceci explique cela. On rappelle dans la presse cette absence de médaillées Fields dès qu'une nouvelle étude s'intéresse aux comparaisons entre cerveaux féminins et masculins. De fait, les mathématiciens considèrent pour la plupart qu'à l'exception d'Emmy Noether (1882-1935), qui n'a pu se voir décerner la médaille Fields puisque celle-ci n'était pas encore créée, toutes les grandes figures passées des mathématiques sont masculines. Ce n'est pas le lieu, ici, d'ouvrir le débat sur les contextes historiques et sociaux, ni les stéréotypes qui nous habitent tous, pour expliquer cet état de fait.

Le moment où l'on découvre, tous les quatre ans, les nouveaux lauréats, c'est d'abord un moment de fête pour les mathématiciens. Moment précédé de rumeurs diverses, aujourd'hui relayées par internet. Parmi lesquelles, cette année, une question qui passionne hommes et femmes : y aura-t-il enfin une femme parmi les heureux primés en août prochain à Séoul ? Car il faut croire que la communauté mathématique aime les grands prix internationaux, qui personnalisent une activité de recherche devenue pourtant de plus en plus collective. Aux médailles Fields se sont ajoutés récemment le prix Abel (2002) et le prix Gauss (2006), mais aussi les prix Clay du millénaire (2000), ainsi que les "Clay Research Awards" (dont Claire Voisin a été récipiendaire en 2008). Et maintenant voici le dernier venu, le "Breakthrough Prize", lancé  par Mark Zuckerberg et Yuri Milner "pour faire partager au grand public l'excitation que procurent les mathématiques" et dont le palmarès vient d'être annoncé le 23 juin 2014. Un palmarès… exclusivement masculin, comme ceux des prix Abel et Gauss. Le prix Henri Poincaré a fait exception en honorant en 2012 deux mathématiciennes françaises, Nalini Anantharaman et Sylvia Serfaty.

Participantes et conférencières à ICM

Si l'annonce des médailles Fields est le moment de plus grande émotion, le Congrès international des mathématiciens (ICM) est avant tout l'occasion de rassembler plus de 3000 participants du monde entier. Le congrès de Séoul, cet été, est l'objet d'un effort particulier vis-à-vis des pays les moins favorisés puisque mille mathématiciens de ces pays se sont vus octroyer des fonds pour y participer. Parmi ceux-ci, le comité devait veiller à ce qu'il y ait au moins cent femmes mathématiciennes.

Parmi les quelque 200 conférenciers de Séoul, on compte 26 femmes, dont six mathématiciennes en poste en France.

21 conférences plénières (avec 2 femmes parmi les conférenciers) et 19 sessions parallèles constituent le cœur du programme scientifique. Etre conférencier invité à un des congrès internationaux est considéré non seulement comme un honneur mais aussi comme une marque de reconnaissance importante, alors que les mathématiciens montrent dans leur ensemble une grande réticence devant l'utilisation grandissante de la bibliométrie. Autrement dit, une invitation en tant que conférencier est un critère plus important que le nombre de publications dans des revues scientifiques. Parmi les quelque 200 conférenciers de Séoul, on compte 26 femmes. A titre de comparaison : au congrès de Zürich, en 1994, il y avait 10 conférencières1 au total.

De son côté, la délégation française  compte 35 conférenciers  en poste dans notre pays. Parmi eux, on trouve 6 mathématiciennes, tout comme au congrès précédent de 2010. Or c’est autant que le nombre de conférenciers, hommes et femmes réunis, en poste au Japon ou en Corée, et à peine moins que celui de l'Allemagne (8) ou l'Italie (7), et plus que celui de beaucoup de pays2.

Il serait déplacé d'en tirer trop de conclusions, les biais de telles comparaisons étant évidents. Mais il est clair que l'école mathématique française au féminin jouit d'une reconnaissance internationale qui vient contredire l'image que donnent souvent les mathématiques françaises. Par exemple,  le film "Comment j'ai détesté les maths", qui a eu un succès mérité3 donne l'impression qu'il n'y a pas de femmes mathématiciennes en France. Non que les reconnaissances françaises soient absentes : Laure Saint-Raymond (lire ici son portrait) vient d'entrer à l'Académie des Sciences et les deux dernières médailles d'argent du CNRS en mathématiques ont été attribuées à deux femmes, Nalini Anantharaman et Mireille Bousquet-Mélou.

Un congrès international pour les mathématiciennes

Ce palmarès ne doit pas faire oublier les difficultés à attirer les filles vers les sciences ni celles que rencontrent les mathématiciennes dans leurs carrières. Ceci vaut, à des degrés divers, pour tous les pays, y compris la France. Des associations se sont créées dans nombre de pays. En France l'association "Femmes et Mathématiques" a 27 ans. Pour la première fois en 2010 s'est tenu l'International Congress of Women Mathematicians, dont le but est « de réunir les mathématiciennes du monde entier, et tous ceux qui défendent la place des femmes dans cette science, afin de mettre en avant leur contribution à la discipline, d’échanger des idées sur la manière d’encourager et de promouvoir les carrières féminines, et de fournir aux mathématiciens l’occasion de rencontrer leurs collègues femmes. » Il se tiendra cette année en marge d'ICM pendant trois demi-journées.

"Femmes et Mathématiques", en association avec les sociétés savantes de mathématiques et en marge du vingtième anniversaire de l'Institut Henri Poincaré rénové, fêtera à sa manière le 17 octobre le retour des conférencières de Séoul. Une occasion de parler d'excellence au féminin, tout en s'adressant aux jeunes. Si ces marques d'honneur que sont la médaille Fields ou l'invitation à être conférencier(ère) au congrès international ne touchent qu'une minorité, elles participent de la vie d'une communauté qui prend progressivement conscience d’une nécessité : celle d’augmenter la proportion de femmes parmi ceux qui s'engageront dans la recherche et la formation en mathématiques, et que ces femmes reçoivent au cours de leurs carrières la part de reconnaissance qu'elles mériteront.

 

Notes
  • 1. On peut lire le savoureux compte-rendu de V. I. Arnold, The Mathematical Intelligencer Summer 1995, Volume 17, Issue 3, pp 6-10.
  • 2. Voir l'étude de Martin Andler "Who are the Invited Speakers at ICM 2014?"
  • 3. Il a reçu le Prix d'Alembert de la Société Mathématique de France pour avoir relevé le pari de faire partager aux spectateurs l'excitation que procurent les mathématiques.