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« Je n’étais pas un favori évident pour la médaille Fields »

« Je n’étais pas un favori évident pour la médaille Fields »

04.07.2014, par
Mis à jour le 05.09.2016
Jean-Christophe Yoccoz
Jean-Christophe Yoccoz, médaillé Fields en 1994.
Le mathématicien français Jean-Christophe Yoccoz est décédé samedi à l'âge de 59 ans. Dans cet entretien paru en 2014, il nous racontait son expérience de lauréat de la médaille Fields, récompense suprême qu'il avait reçue en 1994.

Quand avez-vous su que vous étiez lauréat de la médaille Fields ?
Jean-Christophe Yoccoz1 : C’était dans les premiers jours d’avril. J’étais chez moi lorsque j’ai reçu un coup de téléphone du secrétaire de l’Union mathématique internationale, l’organisation qui décerne les médailles Fields, m’informant que je figurais parmi les médaillés.

Quelle a alors été votre réaction ?
J.-C. Y. : J’étais évidemment très heureux. La médaille Fields est la récompense la plus prestigieuse en mathématiques et la marque d’une grande reconnaissance de la part de la communauté des mathématiciens. J’ai annoncé immédiatement la bonne nouvelle à mes proches. Quant à mes collègues et amis mathématiciens, je ne pouvais rien leur révéler, étant tenu au secret jusqu’à l’annonce officielle des lauréats, lors du Congrès international des mathématiciens qui avait lieu en août.

Ce secret a-t-il été difficile à garder ?
J.-C. Y. : Oui. Quand des amis mathématiciens me demandaient si j’avais des nouvelles à propos de la médaille – je figurais à l’époque parmi les candidats possibles –, je ne savais pas trop quoi leur répondre et mon silence devait en dire long… Si bien, je pense, que la nouvelle a fini par filtrer un peu autour de moi. Le jour de la cérémonie de remise des médailles, après quatre mois passés à garder ce secret tant bien que mal, ce fut un énorme soulagement. Enfin, je pouvais librement exprimer ma joie.

Jean-Christophe Yoccoz
Jean-Christophe Yoccoz

Qu’avez-vous ressenti au cours de la cérémonie ?
J.-C. Y. : Une immense fierté. À la fois parce que mon travail personnel était reconnu, mais aussi parce que j’étais devenu un ambassadeur des mathématiques françaises. D’autant plus que parmi les trois autres lauréats figuraient un autre Français, Pierre-Louis Lions, et un Belge qui travaillait en France, Jean Bourgain. Et qu’il n’y avait pas eu de médaillés Fields français depuis 1982.

Pensiez-vous à la médaille avant de devenir lauréat ?
J.-C. Y. : J’y pensais mais sans en faire une obsession. Je savais que je faisais partie des médaillés possibles, mais parmi une longue liste de noms. Je n’étais pas un favori évident, comme Jean Bourgain par exemple l’était à ce moment-là. Et puis je n’avais établi aucune stratégie, je ne travaillais pas du tout dans le but spécifique d’obtenir cette récompense. Il est vrai que je me suis volontairement attaqué à des problèmes difficiles dans ma spécialité, celle des systèmes dynamiques, et c’est ce qui m’a valu ce prix . Mais je l’ai fait uniquement pour des raisons de satisfaction intellectuelle. Pas pour le prestige.

Le plaisir que
je prends à faire
des mathématiques
est proche de
celui ressenti
par un artiste qui
crée une œuvre.

L’obtention de la médaille Fields vous a néanmoins projeté sur le devant de la scène. Comment avez-vous vécu cette soudaine célébrité ?
J.-C. Y. : C’est vrai que j’ai été extrêmement sollicité par les médias et le public. Un exercice pour lequel je n’étais pas très à l’aise et qui m’a demandé quelques efforts. Et je dois avouer que ma première réaction a été de me dire que tout cela allait me faire perdre un temps précieux que j’aurais pu consacrer à mes recherches ! Malgré tout, je ne garde que de très bons souvenirs de cette expérience. Grâce à cette médaille, j’ai pu rencontrer et échanger avec des gens venus d’horizons extrêmement variés que je n’avais pas l’habitude de côtoyer. Ce fut une ouverture extraordinaire pour moi.

Quel autre bon souvenir retenez-vous ?
J.-C. Y. : Du fait de mon nouveau statut, j’ai été invité par le gouvernement en 1995 à faire partie d’une commission sur l’école et le système éducatif. Cela a été l’occasion pour moi de plonger dans ce milieu que je connaissais mal, de voir de près ce qui se passe sur le terrain, dans les zones d’éducation prioritaires notamment, et de mieux comprendre le fonctionnement du monde politique. Humainement parlant, ce fut très enrichissant.

Grâce à cette notoriété, avez-vous œuvré pour donner une image plus accessible des mathématiques ?
J.-C. Y. : Oui, j’ai essayé de m’investir autant que possible dans cette tâche. Il faut reconnaître que nous autres mathématiciens ne communiquons pas encore assez auprès du grand public sur notre discipline. Cela explique en partie pourquoi les maths ont parfois cette mauvaise image : elles ne seraient qu’un outil de sélection des élites et ne seraient réservées qu’à des génies. Beaucoup de gens arborent d’ailleurs fièrement le fait qu’ils sont nuls en maths. J’ai donc essayé à mon échelle de combattre ces idées reçues. Notamment en allant donner des conférences auprès de lycéens. Je leur ai expliqué en quoi consistait mon travail et pourquoi les mathématiques étaient importantes pour décrire le monde dans lequel on vit et pour mieux le comprendre. Dans ma spécialité, les systèmes dynamiques, les exemples foisonnent où les concepts mathématiques sont utilisés pour décrire certains phénomènes, depuis le mouvement des planètes jusqu’aux modèles climatiques en passant par la dynamique des populations en biologie. J’espère ainsi avoir convaincu un maximum de gens de l’intérêt des mathématiques.

Certains lauréats ont parlé de la médaille Fields comme d’un poids difficile à porter, le prix venant récompenser un travail de haut niveau difficile à reproduire. Pensez-vous que cette médaille a pu constituer un handicap pour le reste de votre carrière ?
J.-C. Y. : Non, je ne pense pas. C’est vrai que la médaille, qui est décernée à des mathématiciens de moins de 40 ans, arrive souvent au sommet de notre carrière. Passé cet âge, on perd en énergie et en créativité, il ne faut pas le nier. Mais, pour moi, le plus important, c’est le plaisir que je prends à faire des mathématiques. Un plaisir esthétique proche de celui ressenti par un artiste qui crée une œuvre. Ce sentiment a toujours été le moteur de mon travail et il ne m’a jamais quitté, même après l’obtention de la médaille Fields.

Notes
  • 1. Professeur au Collège de France et chercheur au Département de mathématiques d’Orsay (CNRS/Univ. Paris-Sud).
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Auteur

Julien Bourdet

Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.

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