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Les maths françaises sont à Rio

Les maths françaises sont à Rio

30.07.2018, par
De gauche à droite, Sylvia Serfaty, Vincent Lafforgue, Nalini Anantharaman et Catherine Goldstein.
La France sera présente aux fameuses conférences plénières du Congrès international des mathématiciens, qui débute mercredi 1er août au Brésil, et où seront notamment annoncés les prochains lauréats de la médaille Fields.

Le Congrès international des mathématiciens (ICM), qui se tient à Rio de Janeiro du 1er au 9 août 2018, a choisi des Français pour donner quatre des vingt et une prestigieuses conférences plénières. Il s’agit de Catherine Goldstein, historienne des mathématiques, Vincent Lafforgue, qui se consacre à la géométrie algébrique, Nalini Anantharaman et Sylvia Serfaty, toutes deux spécialistes de physique mathématique. Parmi les orateurs des autres conférences, près d’un sur sept est rattaché à l’école française, et notamment au CNRS. Cette délégation de 34 conférenciers au total (4 pléniers et 30 dans les sessions thématiques), parmi les plus nombreuses avec celle des États-Unis, souligne l’excellence de la recherche française dans cette discipline.

Seul congrès d’ampleur mondiale abordant toutes les thématiques des mathématiques et où se rendent des milliers de chercheurs, « l’ICM 2018 est aussi l’occasion de rappeler la tradition de coopération entre la France et le Brésil en mathématiques, en particulier en systèmes dynamiques, mais aussi en théorie des nombres et en géométrie algébrique, commente Marc Hindry, chercheur à l’Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive gauche (IMJ-PRG)1Cette forte coopération date des années 1980, avec le séjour de plusieurs scientifiques du contingent à l’Impa2, à Rio, comme Jean-Christophe Yoccoz, qui a reçu la médaille Fields en 1994 ».

L'ICM 2018 est l’occasion de rappeler la forte tradition de coopération entre la France et le Brésil en mathématiques (...) qui remonte aux années 1980.

L’ICM est aussi l’événement durant lequel sont remises les fameuses médailles Fields, souvent considérées comme les prix Nobel des mathématiques. Seuls les mathématiciens de moins de 40 ans sont en lice et deux à quatre médailles sont attribuées à chaque édition du Congrès, qui se tient tous les quatre ans. En 2014, le Franco-Brésilien Artur Ávila, théoricien des systèmes dynamiques, en avait remporté une à tout juste 35 ans. Cette même édition avait pour la première fois décerné une médaille Fields à une femme, l’Iranienne Maryam Mirzakhani, professeure à l’université de Stanford, décédée en 2017, à 40 ans.

 

Sylvia Serfaty

Spécialiste des équations aux dérivées partielles et de physique mathématique, elle est professeure au Courant Institute de l’université de New York, en détachement du Laboratoire Jacques-Louis-Lions3, à Paris. Ses travaux portent sur l’analyse, grâce aux mathématiques, des modèles et équations posés par les physiciens, par exemple dans le domaine de la supraconductivité. Lauréate du prix Henri-Poincaré en 2012, la jeune femme est particulièrement soucieuse de « transmettre le flambeau aux jeunes étudiants ». Depuis qu’elle a été choisie par l’ICM, elle réfléchit beaucoup à « l’enjeu délicat d’exposition » que représente une conférence plénière, et notamment à la manière de « toucher au plus de thématiques possibles pour intéresser le public le plus large, présenter son travail, mais aussi (…) tout un domaine de recherche, avec assez de détails pour donner chair et contenu, mais sans perdre son auditoire… et tout cela en une heure ! » énumère-t-elle.

Vincent Lafforgue

Grand admirateur d’Alexandre Grothendieck – considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du xxe siècle –, ce chercheur de l’Institut Fourier4 se consacre à la géométrie arithmétique. Ce domaine original incorpore la géométrie algébrique avec l’arithmétique, mais aussi des idées venues de la topologie et de la théorie des catégories. Lauréat du prix Servant en 2014 et de la médaille d’argent du CNRS en 2015, il est heureux de participer à un événement qui « donne à la communauté mathématique conscience d’elle-même et de toutes ses potentialités ». Il insiste sur un point : « J’ai personnellement pris conscience qu’il est urgent que les mathématiciens, même éloignés des applications comme moi, cherchent les façons dont ils peuvent contribuer à limiter la gravité de la crise écologique actuelle. Je préfère en général développer les mathématiques sans chercher des applications immédiates, mais l’urgence écologique justifie une exception à ce principe. »

Nalini Anantharaman

À la frontière entre mathématiques et physique, elle étudie le chaos quantique. « Un système est chaotique lorsqu’il connaît de grandes différences de comportement au fil du temps suite à une petite modification de ses conditions initiales, comme dans le célèbre effet papillon », explique Clotilde Fermanian, chercheuse au Laboratoire d’analyse et de mathématiques appliquées5. « Mathématicienne remarquable, capable d’avoir une vision très aiguisée et très personnelle face à un problème donné », poursuit sa consœur, Nalini Anantharaman a notamment obtenu d’importants résultats sur l’équation de Schrödinger et sur l’équation des ondes. Lauréate du prix Jacques-Herbrand de l’Académie des sciences en 2011 et du prix Henri-Poincaré en 2012, elle a été vice-présidente de la Société mathématique de France de 2010 à 2012. Aujourd’hui membre de l’Irma, à Strasbourg, elle s’implique dans le Labex Institut de recherche en mathématiques, interactions et applications, dont elle a pris la direction il y a quelques mois.

Catherine Goldstein

Mathématicienne et historienne des mathématiques, « elle compte sans aucun doute parmi les meilleurs de sa discipline en France aujourd’hui. Son érudition couvre les mathématiques tout autant que l’histoire, l’historiographie, la sociologie, la philosophie et la littérature », estime Norbert Schappacher, professeur des universités à l’Irma6, à Strasbourg. En lui proposant de donner une conférence plénière, l’ICM met à l’honneur un domaine des mathématiques à cheval avec les sciences humaines, dans lequel la France est leader en Europe, et qui permet de montrer que, loin d’être une discipline figée en théorèmes, les mathématiques sont elles aussi produites par « un processus extrêmement complexe et souvent surprenant », souligne Norbert Schappacher. Chercheuse à l’IMJ-PRG, Catherine Goldstein est notamment l’auteure du livre Un théorème de Fermat et ses lecteurs7, et codirectrice d’un projet concernant l’influence de la Grande guerre sur les mathématiques et les mathématiciens de différents pays, dont fut tiré un ouvrage collectif paru en 2014, The War of Guns and Mathematics8.

Cet article a été publié dans CNRS Le journal n° 292.

À Lire aussi :
Alessio Figalli, médaille Fields 2018

Notes
  • 1. Unité CNRS/Sorbonne Université/Univ. Paris-Diderot.
  • 2. Institut national de mathématiques pures et appliquées. Il abrite l’unité mixte internationale Jean-Christophe-Yoccoz (CNRS/Impa).
  • 3. Unité CNRS/Sorbonne Université/Univ. Paris-Diderot.
  • 4. Unité CNRS/Université Grenoble Alpes.
  • 5. Unité CNRS/Univ. Paris-Est Marne-la-Vallée/Univ. Paris-Est Créteil Val-de-Marne.
  • 6. L’Institut de recherche mathématique avancée (CNRS/Univ. de Strasbourg).
  • 7. Presses universitaires de Vincennes, coll. « Histoires de science », 1995, 232 p.
  • 8. American Mathematical Society, 2014, 271 p.
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Auteur

Charline Zeitoun

Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).

Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture de scénario.
 

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