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Alessio Figalli, médaille Fields 2018
L’Italien Alessio Figalli, 34 ans, fort de plus d’une centaine de publications scientifiques, vient de remporter la plus prestigieuse récompense en mathématiques : la médaille Fields. Cette distinction est remise tous les quatre ans à des chercheurs de moins de 40 ans lors du Congrès international des mathématiciens (ICM), qui se déroule en ce moment et jusqu’au 9 août à Rio de Janeiro, au Brésil. Caucher Birkar, Peter Scholze, et Akshay Venkatesh sont également distingués cette année (lire le communiqué du CNRS).
Chercheur au profil international, aujourd’hui détaché à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich), en Suisse, Alessio Figalli fit aussi un passage remarqué en France. Recruté comme chargé de recherche au CNRS1 fin 2007, avant même la soutenance de sa thèse, cet expert en analyseFermerComme la géométrie ou l’algèbre, l’analyse est l’une des branches principales en mathématiques. mathématique avait mené son doctorat en un temps record, à cheval entre la France et l’Italie, à l’École normale supérieure de Pise et à l’École normale supérieure de Lyon, sous la codirection de Luigi Ambrosio et de Cédric Villani2. Ce dernier, présent à Rio pour féliciter le lauréat, a accepté de nous parler de son ancien étudiant…
Lorsque vous codirigiez sa thèse, aviez-vous déjà l’intuition d’avoir affaire à de la « graine de médaille Fields » ?
Cédric Villani : Alessio Figalli est un mathématicien hors normes, je l’ai vu immédiatement. Sa thèse n’a pas duré dix-huit mois3 : à peine la moitié du temps réglementaire. Ce n’est pas un hasard si, fait rarissime, le CNRS l’a recruté avant même sa soutenance, fin 2007. Dans la lettre de recommandation que j’avais rédigée en 2012, alors qu’il postulait à l’université de Princeton, je le considérais déjà comme l’un des plus impressionnants jeunes analystes avec lesquels j’avais interagi, doué d’une incroyable vitesse et d’une énorme puissance. Alessio Figalli était capable de trouver en un rien de temps une piste qui permettait de débloquer un problème. C’est un créatif, et sa capacité à digérer ses nombreuses lectures scientifiques lui fait mériter la qualification d’« éponge mathématique » que je lui avais donnée ! Lorsque j’ai moi-même reçu la médaille Fields en 2010, certains de mes collègues, impressionnés par sa puissance et sa rapidité, voyaient alors déjà en lui un favori pour l’ICM 2018.
Le calcul des variations, dont il est un expert, peut concerner la mécanique des fluides comme la finance, l’intelligence artificielle, la biologie…
C. V. : En effet. Le calcul des variations consiste à identifier un optimum parmi une famille de solutions possibles à un problème. Cela touche donc absolument tous les domaines, dès lors que l’on cherche une notion d’optimisation : la coque d’un navire (pour le meilleur hydrodynamisme naval), le prix d’actions en Bourse (pour obtenir la meilleure correspondance entre les offres et les demandes), le transport de marchandises ou d’usagers (en un minimum de temps, de kilomètres…), etc. Alessio Figalli s’est particulièrement illustré sur le problème du « transport optimal », dans lequel on cherche le meilleur appariement entre une configuration initiale et une configuration finale. Gaspard Monge avait posé le problème de la caractérisation géométrique de ce transport optimal ; mais les décennies, et surtout la période récente depuis 1985, ont mis au jour quantité de thématiques liées au transport optimal : régularité, inégalités fonctionnelles et géométriques, lien avec les équations de la physique mathématique, etc. Alessio Figalli a résolu certains problèmes majeurs dans le sujet. Plus récemment, il s’est mis à travailler sur la théorie des matrices aléatoiresFermerElle a pour objectif de comprendre certaines propriétés des matrices aléatoires, dont les éléments sont des variables aléatoires. Parmi ses applications, on compte les systèmes intégrables, le chaos quantique, la gravité quantique en deux dimensions (et plus) via la théorie des cordes, etc., un sujet issu de la mécanique quantique. En réalité, il a une facilité si considérable à élargir ses horizons, qu’il finit par s’attaquer à peu près à tous les sujets dans lesquels l’analyse intervient de façon forte !
Il a mené sa thèse à cheval entre la France et l’Italie, en 2007 il entrait au CNRS avant de devenir professeur à l’École polytechnique, puis à l’université du Texas à Austin (États-Unis), et enfin de rejoindre l’École polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse. Ce type de profil international est-il aujourd’hui gage de succès en mathématiques ?
C. V. : En effet, ces profils internationaux sont de plus en plus courants en mathématiques et tous les spécialistes ont observé leur consécration à Séoul, lors de l’ICM 2014 : les quatre lauréats de la médaille Fields avaient une formation multiculturelle, à commencer par le Franco-Brésilien Artur Ávila. En ce qui concerne Alessio Figalli, il a été formé au gré de plusieurs influences parmi lesquelles l’école française figure en bonne place, même si cette notion devient justement de plus en plus difficile à cerner aujourd’hui compte tenu de l’inflation des échanges internationaux. Dans ce contexte, la France demeure un point d’attraction mondial en mathématiques. Le fait que le CNRS ait pu offrir à Alessio Figalli un poste alors qu’il n’avait que 23 ans, a sans doute eu un rôle capital dans sa carrière, et les postes de chargé de recherche au sein de l’organisme font à mon sens partie de l’arsenal compétitif de la France au niveau mondial. A contrario, on peut noter qu’Alessio Figalli a choisi de faire sa carrière senior en dehors de la France, dans un établissement (l’ETH) qui peut lui apporter des moyens bien plus importants ; c’est un exemple parmi beaucoup, tant il est vrai que nous avons des problèmes pour garder et attirer nos meilleurs talents.
Certains sujets d’étude d’Alessio Figalli ont déjà été abondamment traités par vous-même et par votre propre directeur de thèse, Pierre-Louis Lions, également lauréat de la médaille Fields en 1994. Peut-on parler d’« héritage » ?
C. V. : Oui, on peut dire que c’est la troisième médaille Fields de la « lignée ». Il y a un autre exemple de « lignée » de ce type, considérée comme « appartenant » à l’école française même si elle est en réalité multinationale : c’est celle de Schwartz-Grothendieck-Deligne4. J’y vois un symbole très fort d’une continuité de l’excellence dans ces thématiques. Alessio Figalli a d’ailleurs, avec Luigi Ambrosio, travaillé sur certaines théories de Pierre-Louis Lions et Ron Diperna. Comme je vous le disais, l’école française n’est pas seule dans la formation d’Alessio Figalli, mais elle a joué un rôle majeur. En particulier, l’écosystème lyonnais, avec Albert Fathi, Alice Guionnet et moi-même, lui a permis de se frotter à des influences variées et pluridisciplinaires, à l’interface entre maths pure et appliquée, sans barrières entre analyse, géométrie et probabilités. ♦
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Son parcours en 8 dates
2007 Entre au CNRS5 juste avant sa soutenance de thèse
2008 Professeur à l’École polytechnique (Palaiseau)
2009 Professeur à l’université du Texas à Austin (États-Unis)
2011 Prix Peccot-Vimont et cours Peccot du Collège de France
2012 Prix de la Société mathématique européenne (EMS)
2014 Conférencier invité à l’ICM, à Séoul
2016 Professeur à l’ETH de Zurich (Suisse)
2018 Médaille Fields
Lire aussi :
Artur Avila, médaille Fields 2014
Mathématiques, l'excellence au féminin
France, terre de mathématiques
- 1. Affecté au laboratoire Jean-Alexandre Dieudonné (CNRS/université de Nice Sophia Antipolis).
- 2. Institut Camille-Jordan (CNRS/Univ. Claude-Bernard Lyon 1/Univ. Jean-Monnet Saint-Étienne/École centrale Lyon/Insa Lyon/Univ. de Lyon).
- 3. Il s’agit de onze mois selon son CV, mais il aurait commencé ses recherches durant l’année précédente.
- 4. Laurent Schwartz, Alexandre Grothendieck et Pierre Deligne.
- 5. Affecté au laboratoire Jean-Alexandre Dieudonné (CNRS/université de Nice Sophia Antipolis).
Voir aussi
Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...