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Les trous noirs sortent de l’ombre
La preuve définitive de l’existence des trous noirs n’a pas encore été apportée. Et pourtant, ces astres fascinants, qui ne laissent rien échapper, pas même la lumière, et dont la réalité est une certitude pour l’immense majorité des scientifiques, dévoilent de plus en plus leurs secrets. En observant les phénomènes que ces ogres provoquent sur leur environnement, les chercheurs comprennent en effet de mieux en mieux leur fonctionnement.
À commencer par celui du trou noir qu’on trouve au centre de notre galaxie, la Voie lactée. Ce monstre de quatre millions de fois la masse du Soleil, baptisé Sagittarius A* (prononcé A étoile), fait partie de la catégorie des trous noirs supermassifs. Selon les astronomes, la plupart des galaxies hébergeraient un de ces poids lourds, dont les plus gros atteignent plusieurs milliards de masses solaires.
Certains d’entre eux sont extrêmement voraces, engloutissant avec frénésie toute matière qui les approche de trop près. « Avant de tomber dans le trou noir, la matière tourne autour de ce dernier au sein d’un immense disque, explique Delphine Porquet, de l’Observatoire astronomique de Strasbourg1. Elle se met alors à chauffer très fortement, émettant du même coup un intense rayonnement. Vu de la Terre, l’objet, connu sous le nom de quasar, apparaît plus lumineux que toutes les étoiles de la galaxie réunies ! »
Pourquoi Sagittarius A*, le trou noir de la Voie lactée, est-il peu actif ?
Dans la Voie lactée, ce n’est pas du tout le cas. Montrant très peu de signes d’activité, le trou noir central semble être resté au régime maigre depuis une centaine d’années. « Un disque d’étoiles massives en orbite autour de Sagittarius A* alimente pourtant ce dernier en gaz sous la forme de vents stellaires, note Nicolas Grosso, lui aussi de l’Observatoire astronomique de Strasbourg. En avalant cette matière, Sagittarius A* devrait briller beaucoup plus qu’il ne le fait actuellement. »
D’où vient ce manque d’appétit du trou noir ? C’est ce qu’a cherché à savoir récemment une équipe d’astrophysiciens, dont font partie les deux chercheurs strasbourgeois. Pour cela, ils ont observé l’astre en rayons X pendant plus d’un mois grâce au satellite américain Chandra. Avec les données collectées, ils ont mesuré la température et la densité du gaz à différentes distances du trou noir. « Nous avons découvert que seulement 1 % de la matière capturée par l’intense gravité du trou noir s’en approche suffisamment pour être engloutie, précise Nicolas Grosso. Tout le reste est éjecté avant d’avoir pu atteindre ce point de non-retour. »
Selon les chercheurs, si Sagittarius A* ingurgite si peu de gaz, c’est parce que sa nourriture est à la fois trop chaude et trop ténue. Ce qui la rend extrêmement difficile à attraper. D’habitude, dans un quasar, le gaz, moins chaud et plus dense, plonge de manière plus efficace, un peu comme de l’eau s’écoule en tourbillonnant dans un lavabo qui se vide.
Un autre résultat récent éclaire également les astronomes sur le calme plat du trou noir de la Voie lactée. Après avoir détecté un pulsarFermerAstre issu de l’explosion d’une étoile massive émettant deux puissants faisceaux d’ondes radio depuis ses pôles magnétiques. très proche de Sagittarius A* grâce à plusieurs radiotélescopes, un groupe de chercheurs a utilisé le rayonnement émis par l’astre pour mesurer avec précision le champ magnétique à proximité du trou noir. « Ce champ magnétique s’est révélé extrêmement fort, confie Ismaël Cognard, du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace, à Orléans2, et coauteur de cette découverte. Nous pensons que cela peut expliquer pourquoi le trou noir est actuellement plongé dans un sommeil profond. » L’ogre tenterait d’attirer vers lui le gaz environnant, mais l’intense champ magnétique présent dans ce gaz empêcherait la matière de tomber dans sa bouche.
La vitesse de rotation, un élément crucial dans la formation des trous noirs
Au-delà des habitudes alimentaires des trous noirs, les astrophysiciens tentent aussi de comprendre comment ils se sont formés. On sait que les trous noirs dits de type stellaire, beaucoup plus petits que leurs homologues supermassifs et dont une vingtaine sont recensés dans la Voie lactée, naissent de l’explosion en supernovæ d’étoiles massives. Au cours de cet événement violent, les couches externes de l’étoile sont éjectées dans l’espace tandis que son cœur se contracte sous son propre poids, formant un astre d’une densité extrême : le trou noir. Ainsi, un trou noir de la taille de Paris a une masse équivalente à trois Soleils !
Pour les trous noirs supermassifs, en revanche, l’histoire n’est pas si simple. Les astronomes ont d’abord cru qu’ils se formaient à partir d’un trou noir stellaire qui grossissait durant des milliards d’années. Le problème, c’est que ces trous noirs géants existaient déjà très tôt après le Big Bang. « Même en supposant que ces derniers aient grossi à la fois en absorbant les étoiles et le gaz présents dans leur galaxie et en fusionnant avec d’autres trous noirs lorsque la galaxie est rentrée en collision avec ses voisines, on n'arrive toujours pas à tels monstres », reconnaît Jean-Pierre Lasota, de l’Institut d’astrophysique de Paris3.
Pour avancer sur cette question, les astronomes multiplient les observations avec des télescopes au sol et des satellites. Dans cette quête, ils sont parvenus récemment à déterminer un paramètre crucial : la vitesse de rotation des trous noirs sur eux-mêmes. « En tombant sur le trou noir, la matière transmet une partie de sa vitesse de rotation à l’astre, explique Delphine Porquet. La vitesse à laquelle tourne un trou noir nous informe donc sur la façon dont il s’est alimenté depuis sa naissance. Une rotation lente signifierait qu’il a avalé de la matière de manière très chaotique, tandiqe qu’une rotation rapide indiquerait qu’il s’est nourri sans interruption. Entre les deux, on trouve des trous noirs qui sont sans doute le résultat de nombreuses fusions. »
Autre paramètre : l’influence des éjections de matière
Autre découverte importante : depuis quelques années seulement, on s’est rendu compte que les disques autour des trous noirs supermassifs émettaient d’intenses vents de gaz chaud dans le milieu interstellaire. Un phénomène qui vient s’ajouter à un autre déjà connu, plus spectaculaire encore : certains quasars convertissent une partie de la matière qui les entoure en un puissant jet de particules qui peut s’étendre bien au-delà de la galaxie qui les héberge, sur plusieurs milliers d’années-lumière ! Pour les astronomes, ces deux mécanismes, qui restent encore très mal compris, jouent un rôle essentiel dans la vie du trou noir : en balayant le gaz loin de ce dernier, ils réguleraient son alimentation, l’empêchant ainsi de grossir au-delà d’une certaine limite.
Et ce n’est pas tout. « On pense que ces éjections de matière ont une influence sur la galaxie tout entière, avance Delphine Porquet. Sur leur passage, elles sont en effet susceptibles de disperser des nuages de gaz qui auraient pu se contracter pour former des étoiles. Ou au contraire de favoriser la formation d’étoiles en apportant plus encore de matière et d’énergie à ces nuages. » Dans le futur, les observations devront dire comment s’opère exactement cette relation intime entre la galaxie et son trou noir.
Bientôt des preuves irréfutables de l’existence des trous noirs ?
D’ici là, les astronomes auront peut-être déjà apporté la preuve tant attendue de l’existence des trous noirs. Selon certains, les premières images d’un trou noir, celles de Sagittarius A*, pourraient en effet être réalisées dans quelques années seulement en couplant entre eux plusieurs radiotélescopes, dont ceux de l’observatoire Alma, situé au Chili. Par définition invisible, le trou noir dévoilerait alors sa silhouette noire sur un fond brillant.
Mais Jean-Pierre Lasota prévient : « Ce cliché ne sera pas aussi explicite que ce que prévoient les simulations. En réalité, la seule façon de prouver que les trous noirs existent, c’est d’observer les ondes gravitationnelles qu’ils émettent. » Selon la théorie de la gravitation d’Einstein, lorsque deux objets compacts fusionnent ou tournent l’un autour de l’autre, ils créent dans la trame même de l’espace-temps des vagues qui se propagent très loin à la vitesse de la lumière. Dans le cas des trous noirs, la forme de ces ondes est unique. L’observatoire européen Virgo, installé en Italie, a été construit pour les détecter. Aux États-Unis, c’est son cousin Ligo qui s’attelle à cette tâche. « D’ici à cinq ans, j’en suis convaincu, ces deux détecteurs mettront la main sur ces ondes, prouvant enfin l’existence des trous noirs », se réjouit le chercheur.
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Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.