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Couronne solaire : ses températures révèlent leur mystère

Dossier
Paru le 06.06.2025
Quand la science a la tête dans les étoiles

Couronne solaire : ses températures révèlent leur mystère

02.09.2025, par
Temps de lecture : 9 minutes
champs magnétiques solaires. Image Nasa / GSFC / SDO
Pourquoi la couronne solaire, la proche banlieue du Soleil, est-elle bien plus chaude que la surface de notre étoile ? Dix ans après avoir formulé une hypothèse à l’aide d’un modèle numérique, des chercheurs du CNRS la confirment grâce à l’observation.

Imposant, lumineux et surtout extrêmement chaud, le Soleil trône au centre de notre système planétaire. Bien qu’observée depuis des millénaires à l’aide d’instruments toujours plus sophistiqués, notre étoile garde certains de ses mystères bien cachés. L’un d’entre eux vient pourtant d’être partiellement levé.

Tahar Amari, du Centre de physique théorique1, et ses collègues viennent de publier dans la revue The Astrophysical Journal Letters une étude2 portant sur l’énigme qui entoure la température de la couronne solaire.

En surface de notre étoile, le thermomètre ne dépasse pas quelques milliers de degrés. Mais la couronne solaire – d’environ 2 200 km jusqu’à plusieurs dizaines de millions de kilomètres au-dessus de la surface – affiche une température de l’ordre du million de degrés ! Connu depuis longtemps, ce paradoxe s’expliquerait par des « cordes magnétiques » qui, s’élevant depuis la surface de l’astre, échaufferaient sa couronne.

La sonde Parker devant une image du Soleil. Image Nasa / Johns Hopkins APL / Steve Gribben
Vue d’artiste de la Parker Solar Probe, lancée par la Nasa en 2018 pour observer le Soleil et qui, fin 2024, s’est approchée de notre étoile à un peu plus de 6,1 millions de kilomètres.
La sonde Parker devant une image du Soleil. Image Nasa / Johns Hopkins APL / Steve Gribben
Vue d’artiste de la Parker Solar Probe, lancée par la Nasa en 2018 pour observer le Soleil et qui, fin 2024, s’est approchée de notre étoile à un peu plus de 6,1 millions de kilomètres.

Gradient de température

Aucune température au sein du Système solaire ne dépasse celles au centre du Soleil, ce réacteur nucléaire à fusion de près de 1,4 million de kilomètres de diamètre. « Au cœur du Soleil, les températures atteignent facilement plus d’une dizaine de millions de degrés Kelvin (°K)3. Et, comme la Terre, il est constitué de plusieurs couches, détaille Tahar Amari. Lorsque le rayonnement atteint le bas de la couche appelée “zone de convection”, après avoir déjà parcouru 200 000 km sur les 700 000 km (du rayon de l’étoile, Ndlr) pour atteindre la surface, la température du plasma qui constitue le Soleil a déjà refroidi pour atteindre les 2 millions de degrés. C’est sur les derniers 500 000 km que cette tempéra­ture chute drastiquement, pour s’établir autour de 6 000 °K. »

Jusque-là, rien d’anormal. Le gradient de température a un comportement que l’on pourrait qualifier de classique : plus on s’éloigne de la source de chaleur primaire, plus la température a tendance à chuter. C’est ensuite que les choses se compliquent.

Une atmosphère plus chaude que la surface 

Plusieurs couches de gaz enveloppent le Soleil – tout comme notre atmosphère le fait pour la Terre. La première de ces couches, la photosphère, s’établit de la surface de l’étoile à 500 km d’altitude. Suit la chromosphère, qui monte jusqu’à 2 200 km d’altitude environ. Ces deux couches affichent déjà des températures supérieures à celles rencontrées à la surface – de l’ordre 4 000 °K pour la photosphère et jusqu’à 25 000 °K pour la chromosphère.

chromosphère » solaire, Image Hinode Jaxa / Nasa / PPARC
Cette image captée le 11 novembre 2006 par la sonde japonaise Hinode révèle la structure de la chromosphère. Celle-ci s’étend vers l’extérieur du Soleil au-dessus du sommet des cellules de convection (ou « granulation ») qui constituent la surface visible du Soleil et montent jusqu’au sommet de la photosphère.
chromosphère » solaire, Image Hinode Jaxa / Nasa / PPARC
Cette image captée le 11 novembre 2006 par la sonde japonaise Hinode révèle la structure de la chromosphère. Celle-ci s’étend vers l’extérieur du Soleil au-dessus du sommet des cellules de convection (ou « granulation ») qui constituent la surface visible du Soleil et montent jusqu’au sommet de la photosphère.

Ensuite commence la couronne solaire. Qui affiche une température avoisinant le million de degrés. Bizarrement donc, et dans une certaine mesure, plus on s’éloigne du Soleil, plus la température du milieu s’élève.

Ceci s’observe dès le début de la limite inférieure de la couronne, fortement couplée aux couches sous-jacentes. Ce qui suggère que l’origine du phénomène lie ces différentes couches. Comment peut-on expliquer cela ?

« La couronne solaire est le règne du champ magnétique »

« Aujourd’hui, deux théories sont souvent mises en avant, toutes deux d’origine magnétique, poursuit le chercheur de l’École poly­technique. La première concerne les ondes magnétiques. » Celles-ci, contrairement aux ondes sonores, ne perdent pas en puissance à mesure que la densité de matière diminue dans le milieu. La seconde théorie se fonde également sur les champs magnétiques, en particulier sur leur réorganisation constante (appelée « reconnexion »), avec possibilité éruptive.

« La couronne solaire, souligne Tahar Amari, est le règne du champ magnétique, du fait du grand nombre de collisions entre atomes, en plus d’être un milieu électri­que­ment conducteur. » Cela rend le champ magnétique visible : la matière s’y organise de telle façon que, grâce à elle, on perçoit la présence de ce champ. Les magnifiques éruptions solaires en offrent le parfait exemple.

« Restait à savoir comment l’énergie passe de la photo­sphère à la chromosphère, jusqu’au reste de la couronne proche du Soleil », continue Tahar Amari.

Éruptions solaires. Image Nasa / GSFC / Solar Dynamics Observatory
Des boucles coronales photographiées le 12 juillet 2012. Partant de la base de la couronne solaire, ces boucles sont des champs magnétiques qui traversent l’atmosphère de notre étoile.
Éruptions solaires. Image Nasa / GSFC / Solar Dynamics Observatory
Des boucles coronales photographiées le 12 juillet 2012. Partant de la base de la couronne solaire, ces boucles sont des champs magnétiques qui traversent l’atmosphère de notre étoile.

Une confirmation de l’hypothèse des cordes magnétiques

En 2015, le chercheur et ses collègues ont déjà conçu un modèle numérique et avancé l’hypothèse de la formation de cordes magnétiques à la surface du Soleil, même lorsque ce dernier est calme4. « Dans notre modèle, décrit-il, on s’est rendu compte qu’à la surface du Soleil émergeaient tout un tas de petites cordes magnétiques torsadées et éruptives formant un réseau semblable à une mangrove en se couplant aux plus grandes structures. »

Ainsi, la « mangrove magnétique » était capable de chauffer la chromosphère par l’intermédiaire de nombreuses micro-éruptions qui, en se couplant aux grandes structures s’élevant dans la couronne, excitait un type particulier d’ondes, les ondes d’Alfvén5. Encore fallait-il saisir ce qui était capable de favoriser l’apparition de ces ondes. Or, grâce à leur modèle, les physiciens ont perçu que, à la base des cordes magnétiques, quelque chose permettait un transfert d’énergie suffisant pour chauffer la couronne solaire.

Modélisation de la corde magnétique pendant une éruption solaire
Modélisation d’une corde magnétique lors d’une éruption solaire, lorsqu’elle brise la « cage magnétique » qui la restreint pendant les heures précédant l’éruption.
Modélisation de la corde magnétique pendant une éruption solaire
Modélisation d’une corde magnétique lors d’une éruption solaire, lorsqu’elle brise la « cage magnétique » qui la restreint pendant les heures précédant l’éruption.

« Les champs magnétiques sont comme des cordes de ­guitare : si on les chatouille en bas, au niveau de la surface du Soleil, l’énergie devrait remonter le long de la “corde” », illustre Tahar Amari. Ainsi, de proche en proche, de l’énergie devrait atteindre la couronne et finir par la chauffer.

Toujours grâce à leur modèle, les chercheurs ont décelé que la surface du Soleil est en mouvement à la base des cordes magnétiques. Selon eux, c’est la preuve indirecte que, encore en dessous, quelque chose influe sur ce qui se passe à la surface.

« Dans les derniers 1 000 km sous la sur­face, il y a une zone composée de “cellules”, un peu comme le fond d’une casserole pleine d’eau que l’on chauffe, illustre Tahar Amari. La chaleur venant d’en bas va chauffer le reste de la casserole, grâce à des cellules de convection qui vont la transporter vers l’ensemble de la casserole. C’est ce phénomène que l’on retrouve sous la surface du Soleil qui contribuerait au transfert de la chaleur, qui crée ce champ magnétique et ses cordes magnétiques. »

La preuve par l’observation

La preuve irréfutable confirmant cette hypothèse est venue de données d’observations directes de la surface du Soleil par la sonde japonaise Hinode, capable d’en mesurer le champ magnétique grâce à une technique d’échographie magnétique. Images à l’appui, les chercheurs ont pu identifier pour la première fois les cordes magné­tiques dans une zone calme du Soleil, validant ainsi le modèle et les prédictions réalisées une décennie plus tôt.

Cordes magnétiques, figure extraite de la publication © Tahar Amari et al. 2025
Cordes magnétiques d’un Soleil calme, produites avant et pendant une éruption, révélées par une simulation à haute résolution incluant la fine couche sous la surface solaire.
Cordes magnétiques, figure extraite de la publication © Tahar Amari et al. 2025
Cordes magnétiques d’un Soleil calme, produites avant et pendant une éruption, révélées par une simulation à haute résolution incluant la fine couche sous la surface solaire.

Ainsi, que notre étoile soit calme ou active, les cordes magnétiques petites ou grandes transportent assez d’énergie jusqu’à la couronne solaire pour la chauffer autour du million de degrés. Cette découverte est une première étape dans la compréhension du système de chauffage de la couronne. Et des instruments comme la Parker Solar Probe ou le DKIST (Daniel K. Inouye Solar Telescope, à Hawaii) devraient affiner l’observation directe des cordes pour mieux appréhender leur inter­action avec l’environnement magnétique du Soleil. ♦

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Notes
  • 1.      CPHT, unité CNRS/École polytechnique.
  • 2.      Tahar Amari et al., «  The Ubiquity of Twisted Flux Ropes in the Quiet Sun », ApJL 984 L37, avril 2025 : https://doi.org/10.3847/2041-8213/adb74f
  • 3.      La température en degrés Kelvin (°K) est égale à la température en degrés Celsius (°C) + 273. Ainsi, 0 °C = 273 °K, 100 °C = 373 °K, 1000 °C = 1273 °K, etc.
  • 4.       Amari T., Canou A. et Aly J.-J., « Characterizing and predicting the magnetic environment leading to solar eruptions », Nature 514, 465–469 (2014) : https://doi.org/10.1038/nature13815
  • 5.      Ondes d’Alfvén : ondes magnétohydrodynamiques rencontrées dans les plasmas. Ces ondes assurent le transport d’énergie dans différents systèmes astrophysiques. On en retrouve dans la magnétosphère, par exemple.