Sections

Ondes gravitationnelles : 10 ans et pleines de promesses

Dossier
Paru le 15.01.2024
Mis à jour le 13.02.2024
L'ère des ondes gravitationnelles

Ondes gravitationnelles : 10 ans et pleines de promesses

12.09.2025, par
Temps de lecture : 11 minutes
Illustration de la fusion de deux trous noirs et les ondes gravitationnelles qui se propagent vers l’extérieur
Fusion de deux trous noirs de 14 et 8 masses solaires qui spiralent l’un vers l’autre en générant des ondes gravitationnelles vers l’extérieur (illustration d’une détection de la collaboration Ligo/Virgo réalisée le 26 décembre 2015).
14 septembre 2015 : la collaboration internationale Ligo/Virgo capte le tout premier signal d’ondes gravitationnelles, infime déformation de l’espace-temps prédite par Einstein et qui signe alors la fusion de deux trous noirs. L’astrophysicienne Marie-Anne Bizouard explique en quoi cette découverte constitue une nouvelle fenêtre sur l’Univers.

Nous fêtons le dixième anniversaire de la première détection d’ondes gravitationnelles. Impliquée depuis 1998 dans la préparation de cette observation, que ressentez-vous ?

Marie-Anne Bizouard1 J’ai rejoint la communauté des ondes gravitationnelles à une époque où peu de gens pariaient sur nos chances de succès. Ainsi, lorsque nous avons commencé la prise de données, en 2015, rien n’était acquis. Or, en quelques jours, nous avons détecté un premier signal. C’était totalement inattendu et on a d’abord pensé à un événement artificiel injecté dans les données, comme cela se fait usuellement pour tester nos outils.

Mais, dès confirmation par le porte-parole de la collaboration que ce n’était pas le cas et après quelques semaines de vérification des détecteurs, ça a été une joie immense, celle de pionniers ayant travaillé dans des conditions difficiles pendant plus de 20 ans. Si bien qu’il y a eu un fort sentiment d’appropriation : cette détection, c’était la nôtre ! En cet anniversaire, y repenser me replonge dans l’euphorie que nous avons alors ressentie.

Que sont précisément les ondes gravitationnelles ? 

M.-A. B. Dans la théorie de la relativité générale, établie par Albert Einstein en 1915, la gravitation résulte des déformations de l’espace-temps envisagé tel une sorte de milieu doté de propriétés quasi matérielles. Ainsi, en cas d’événement gravitationnel suffisamment violent, l’espace-temps est susceptible de se mettre à vibrer, de la même façon qu’un jet de pierre engendre des rides à la surface de l’eau. Dès la formulation de sa théorie, Einstein a prédit la possibilité de telles ondes, en même temps qu’il a montré que leur faible intensité devrait les rendre quasiment hors de portée. 

Quel est le principe de la détection d’une onde gravitationnelle ?

M.-A. B. Même les cataclysmes gravitationnels les plus puissants de l’Univers – telle la fusion de deux trous noirs, le phénomène à l’origine de la première observation d’ondes gravitationnelles –, nécessitent, pour être mis en évidence, de mesurer des vibrations de l’espace correspondant à des variations de longueur 10 000 fois plus petites que la taille d’un proton. Pour y parvenir, le faisceau d’un puissant laser est séparé en deux, chaque fraction parcourant plusieurs allers-retours dans les deux bras de plusieurs kilomètres d’un interféromètre, avant de se recroiser.

Au passage d’une onde gravitationnelle, l’un des bras « s’allonge » et l’autre « rétrécit », ce qu’il est possible de mettre en évidence via la figure de diffraction obtenue en recombinant les deux faisceaux. C’est le principe mis en œuvre dans les trois observatoires d’ondes gravitationnelles aujourd’hui complètement opérationnels : deux Ligo, aux États-Unis, et Virgo, en Italie.

La mise en place de ces infrastructures et la détection d’une onde gravitationnelle ont constitué des défis colossaux ? 

M.-A. B. En effet. Il faut avoir à l’esprit qu’il s’agit d’expériences extrêmement complexes, avec des détecteurs qui n’existaient pas avant et qui sont leur propre prototype, toujours à la limite de la technologie. Pour l’anecdote, lorsque Adalberto Giazotto et Alain Brillet imaginent Virgo, en 1985, ils le baptisent d’abord le Very Improbable Radio-Gravitational Observatory !

La réussite de l’entreprise tient à un important effort international, dans lequel la France et le CNRS ont eu une part importante, et à la ténacité d’Alain Brillet, médaille d’or du CNRS en 2017. C’est lui le premier à avoir montré la possibilité de multiplier la puissance d’un laser par de multiples allers-retours du faisceau, qui a compris l’intérêt d’utiliser un laser infrarouge, et qui est parvenu à persuader le CNRS de mettre sur pied un laboratoire, à Lyon, sous la direction de Jean-Marie Mackowski, pour la réalisation des optiques présentant la réflectivité nécessaire pour Virgo et Ligo. 

À la clé, c’est donc la découverte de 2015. Comment mesurer son importance ?

M.-A. B. Il s’agit probablement de l’une des plus grandes découvertes de ce siècle, à l’égal de celle du boson de Higgs, en 2012, la particule qui confère leur masse aux particules élémentaires. L’annonce faite à Washington, en février 2016, a fait l’effet d’un véritable « bang », aussi bien médiatique que scientifique. 

Au-delà de la mise en évidence des ondes gravitationnelles en tant que telle, cette première détection a aussi signé l’acte de naissance de l’astronomie gravitationnelle.

M.-A. B. La détection d’ondes gravitationnelles nous a offert un accès à des phénomènes jusqu’alors jamais observés, à commencer par la fusion de deux trous noirs. Et, dès le début, nous sommes allés de découvertes en révolutions. À commencer par l’observation de 2015, qui a révélé 2 trous noirs de 29 et 36 masses solaires, bien plus massifs que ce à quoi on s’attendait.

Ce graphique montre les signaux d’ondes gravitationnelles enregistrés par le détecteur Ligo Hanford à près de dix ans d’intervalle.
Signaux d’ondes gravitationnelles enregistrés par le détecteur Ligo à près de 10 années d’intervalle. En haut, l’événement GW150914 (la toute première détection d’ondes gravitationnelles), capté le 14 septembre 2015 à 9 h 50 min 45 s. En bas, GW250114, le 14 janvier 2025. Des améliorations apportées à Ligo ont permis de réduire considérablement le « bruit » parasite.
Ce graphique montre les signaux d’ondes gravitationnelles enregistrés par le détecteur Ligo Hanford à près de dix ans d’intervalle.
Signaux d’ondes gravitationnelles enregistrés par le détecteur Ligo à près de 10 années d’intervalle. En haut, l’événement GW150914 (la toute première détection d’ondes gravitationnelles), capté le 14 septembre 2015 à 9 h 50 min 45 s. En bas, GW250114, le 14 janvier 2025. Des améliorations apportées à Ligo ont permis de réduire considérablement le « bruit » parasite.

À la suite, lors de la deuxième période de prise de données, en 2016-2017, nous avons détecté la première fusion de deux étoiles à neutrons, des astres issus de l’effondrement gravitationnel du cœur de certaines étoiles massives. Cette observation a de plus signé l’acte de naissance de l’astronomie multi-messager.  

Puis, lors du troisième run, en 2019, nous avons observé la fusion de deux trous noirs stellaires si massifs qu’il est possible que nous ayons découvert les premiers signes des progéniteurs des trous noirs supermassifs situés au centre des galaxies. 

Dans le même temps, la fréquence des détections n’a fait qu’augmenter ? 

M.-A. B. En effet, lors du premier run, nous avons fait trois détections. Elles sont montées ensuite à une dizaine avec le deuxième run, une petite centaine avec le troisième et environ 300 avec celui en cours. Ainsi, en 10 ans, nous sommes passés d’une ère de découverte à une ère de mesures de précision.  

Alors que le run 4 arrive à son terme à la fin de l’année, qu’avez-vous déjà découvert de nouveau ?

Nous n’avons analysé et publié qu’un tiers des données, mais avec déjà des résultats tout à fait intéressants. À la suite de la détection du run 3 que j’ai mentionnée, nous avons observé plusieurs fusions de trous noirs autour d’une centaine de masses solaires, offrant un premier accès à une statistique de leur masse et de leur rotation.

C’est important, car la question est de savoir si ces trous noirs proviennent d’un collapse stellaire ou bien de la fusion de trous noirs plus petits. Or, pour certains événements, leurs propriétés plaident plutôt en faveur du second scénario. C’est une bonne nouvelle, car cela signifierait que l’on est en face de l’étape 2 d’un processus de fusion hiérarchique, processus qui offre un mécanisme de la formation des trous noirs géants au centre des galaxies.

Par ailleurs, au-delà des aspects statistiques, nous continuons d’enregistrer des événements individuels remarquables. En particulier, nous avons observé une fusion avec un rapport signal sur bruit de 80, soit un signal très intense, qui nous a permis de réaliser des tests fins de la relativité générale – qui a une fois de plus prouvé sa robustesse !

En une décennie, les détecteurs ont-ils évolué ? 

M.-A. B. Oui, ceux-ci font l’objet d’améliorations constantes pour augmenter leur sensibilité et, ce faisant, élargir la fenêtre ouverte sur l’Univers qui permet actuellement d’observer des événements jusqu’à une distance de 2 milliards d’années-lumière. Chaque évolution est une somme de petites choses extrêmement difficiles à réaliser, visant à diminuer le bruit expérimental qu’il soit d’origine sismique ou bien lié à la nature quantique de la lumière.

Par ailleurs, à Virgo et Ligo, s’ajoute désormais l’interféromètre japonais Kagra, qui devrait rejoindre la fin du run 4, même si son rôle est encore marginal. Et le projet Ligo-India est lancé. Autrement dit, nous assistons à la naissance d’un écosystème mondial d’observatoires d’ondes gravitationnelles robuste et prometteur. 

Illustration du détecteur de ondes gravitationnelles souterrain KAGRA au Japon
Illustration du détecteur d’ondes gravitationnelles souterrain Kagra, au Japon, avec les deux bras de l’interféromètre.
Illustration du détecteur de ondes gravitationnelles souterrain KAGRA au Japon
Illustration du détecteur d’ondes gravitationnelles souterrain Kagra, au Japon, avec les deux bras de l’interféromètre.

Avec néanmoins quelques incertitudes à court terme ?

M.-A. B. Effectivement, concernant Virgo, notre programme d’upgrades envisagés pour le run 5 programmé à partir de 2028 a été revu récemment à la baisse. Quant à Ligo, une partie de son financement pourrait faire les frais des choix budgétaires de la nouvelle administration états-unienne, ce que nous saurons en novembre. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus d’avoir des détecteurs performants et nous nous projetons déjà dans la suite.

Quelle est cette suite ?

M.-A. B. Au-delà du run 5, Virgo et Ligo évolueront vers les versions dites respectivement Virgo_nEXT et A# des interféromètres. Leur logique sera de pousser leurs expériences à leurs limites, et d’y tester l’ensemble des technologies pour la prochaine génération d’appareils actuellement en préparation.

À l’horizon 2040, l’Europe pourrait se doter d’un interféromètre composé de 3 bras de 10 kilomètres (l’Einstein Telescope), qui augmentera la sensibilité de détection d’un facteur 10. De même, les États-Unis envisagent la construction d’un instrument de surface dont les bras mesureront de 20 à 40 kilomètres, contre 4 et 3 kilomètres pour Ligo et Virgo. À quoi s’ajoute bien sûr l’interféromètre spatial Lisa, de l’Agence spatiale européenne, dont le décollage est programmé pour 2035.

L’ensemble permettra un accès à la totalité de l’univers observable et à l’ensemble du spectre en fréquences des ondes gravitationnelles. 

Quelles sont les perspectives de découvertes ? 

M.-A. B. Tests de la relativité générale, étude de la matière dans des états extrêmes, évolution stellaire ou galactique : ces perspectives concernent aussi bien l’astrophysique, la cosmologie que la physique fondamentale.

Illustration de la fusion de deux trous noirs
Vue d’artiste de la collision de deux trous noirs d’environ 33 et 32 masses solaires et situés à plus de 1,1 milliard d’années-lumière, dont Ligo a capté le signal le 14 janvier 2025 (événement GW250114).
Illustration de la fusion de deux trous noirs
Vue d’artiste de la collision de deux trous noirs d’environ 33 et 32 masses solaires et situés à plus de 1,1 milliard d’années-lumière, dont Ligo a capté le signal le 14 janvier 2025 (événement GW250114).

À quelle échéance ? 

M.-A. B. S’il est impossible de prévoir l’explosion d’une supernova, en revanche, nous pensons être proches de l’observation de ce qu’on appelle le « fond stochastique d’ondes gravitationnelles », soit le bruit de fond engendré par l’ensemble des événements astrophysiques générateurs d’ondes gravitationnelles. Selon les estimations, il n’est pas impossible que cette observation ait lieu lors du cinquième run de Ligo-Virgo.

En cas de succès, cela signifiera que nous sommes en principe capable de détecter à terme le fond stochastique d’origine cosmologique, soit les ondes gravitationnelles émises par l’Univers au moment du Big Bang. Après nous avoir permis d’observer la fusion de deux trous noirs telle que prévue par la relativité générale, l’astronomie gravitationnelle nous offrirait alors un accès à une autre prédiction de la théorie einsteinienne de la gravitation, soit la naissance de l’Univers.  

Consultez aussi
L’ère des ondes gravitationnelles (dossier)
Quand la science a la tête dans les étoiles (dossier)

Notes
  • 1.      Directrice de recherche au laboratoire Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux (Artemis, unité CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université Côte d’Azur)

Auteur

Mathieu Grousson

Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.