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Un gisement géant d’hydrogène en Lorraine ?

Un gisement géant d’hydrogène en Lorraine ?

06.07.2023, par
Temps de lecture : 9 minutes
Parmi nos articles les plus lus cette année, la découverte d'un gisement potentiel d’hydrogène naturel dans le bassin houiller lorrain… Lequel pourrait être le plus gros réservoir mondial de ce gaz !

Le bassin minier lorrain s’apprête-t-il à écrire un nouveau chapitre de son histoire ? Jusqu’ici, cette région située à la frontière franco-allemande était surtout connue pour ses puits de mines de charbon, dont le dernier a fermé il y a vingt ans. Mais à l’avenir, elle pourrait devenir mondialement célèbre pour une autre source d’énergie majeure cachée dans son sous-sol : l’hydrogène, ou plus exactement le dihydrogène (H2). Cela, grâce à des travaux menés par Philippe de Donato et Jacques Pironon, directeurs de recherche au laboratoire GeoRessources de Nancy1. « Nos données indiquent que le sous-sol du bassin minier lorrain est très riche en hydrogène blanc. Si elle est validée, cette découverte pourrait grandement aider à assurer la transition vers des sources d’énergie propre, protectrices du climat », se réjouit Philippe de Donato.

De manière générale, l’hydrogène est considéré par beaucoup comme un levier essentiel pour accélérer l’abandon des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Contrairement à ces derniers, sa combustion n’émet pas de dioxyde de carbone (CO2), le gaz à effet de serre (GES) le plus fortement impliqué dans le changement climatique. Aussi, l’espoir est grand de le voir devenir le carburant des véhicules de demain dotés de piles à combustible (un système qui utilise l’hydrogène et l’oxygène pour produire de l’électricité). Il pourrait aussi servir de combustible propre dans toutes les industries qui dépendent actuellement du méthane : les cimenteries, la sidérurgie, la métallurgie, etc.

Ensemble du dispositif de monitoring des gaz du sous sol. Les mesures se font jusqu’à 1100 m de profondeur.
Ensemble du dispositif de monitoring des gaz du sous sol. Les mesures se font jusqu’à 1100 m de profondeur.

Concernant spécifiquement l’hydrogène « blanc », il s’agit de dihydrogène qui se forme naturellement dans le sous-sol terrestre. « Il est dit “blanc”, car sa production n’émet pas de gaz à effet de serre », précise Jacques Pironon. En effet, « contrairement à l’hydrogène “noir” et “gris”, produits en usine par transformation, respectivement, du charbon et du gaz naturel – pour rappel, des énergies fossiles fortement émettrices de GES –, l’hydrogène blanc est directement disponible ».

L’hydrogène blanc plus vert que l’hydrogène vert...

De fait, continue le chercheur, « cet hydrogène est même plus écologique que l’hydrogène “vert”, fabriqué par électrolyse de l’eau à partir d’électricité provenant d’énergies renouvelables, solaire ou éolienne. Car ces deux types d’énergies ne sont pas neutres en émissions de CO; ce gaz étant produit par l’ensemble de leur chaîne de production et lors de leur transport ».
 

Contrairement à l’hydrogène “noir” et “gris”, produits en usine par transformation, respectivement, du charbon et du gaz naturel (des énergies fossiles fortement émettrices de GES), l’hydrogène blanc est directement disponible.

Enthousiasmante, « notre découverte a été faite un peu par hasard », raconte Philippe de Donato. À l’origine, les géologues cherchaient une autre ressource gazière présente dans le sous-sol lorrain : du méthane (CH4) issu de l’évolution thermique du charbon au fil des temps géologiques. « Menés dans le cadre du projet Regalor2, lancé en 2018 avec la Française de l’énergie, un producteur indépendant d’énergie, nos travaux visaient, en fait, à confirmer une expertise réalisée en 2012 par l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (Ifpen) : après l’analyse d’un échantillon de sous-sol du bassin minier lorrain, celle-ci avait permis de conclure à la présence de 370 milliards de mètres cubes de méthane ; ce qui représente huit ans de notre consommation nationale de gaz », détaille Philippe de Donato.

Pour valider cette estimation, il était indispensable de mesurer en continu et in situ (directement dans le sous-sol), à plus de 1 000 mètres de profondeur, la concentration des gaz dissous dans l’eau de l’aquifère, la couche souterraine de roches perméables à l’eau. Pour relever ce défi, les chercheurs ont dû développer, en collaboration avec la société Solexperts, une sonde innovante adaptée. Baptisé SysMoG™, ce système a été breveté en avril 2023.

Détail vu du haut de la sonde de mesure SysMoG™ positionnée avant la descente dans le forage. Le dispositif de monitoring a été miniaturisé de telle façon qu’il puisse être introduit dans un puits de 6 cm de diamètre.
Détail vu du haut de la sonde de mesure SysMoG™ positionnée avant la descente dans le forage. Le dispositif de monitoring a été miniaturisé de telle façon qu’il puisse être introduit dans un puits de 6 cm de diamètre.

En fin 2022, cette sonde a permis d’établir « un profil » des concentrations en gaz à différentes profondeurs dans un puits sur la commune de Folschviller, à 50 km de Metz. Et premier résultat important : les analyses au niveau des couches de charbon à 600 et 800 m ont révélé que le mélange gazeux présent à ces niveaux est constitué à plus de 96 % de méthane, soit du méthane quasiment pur !

15 % d’hydrogène à 1 100 mètres de profondeur

Confirmant les premières estimations de l’Ifpen, « ces données sont extrêmement intéressantes car elles indiquent que le méthane dans le sous-sol n’est pas contaminé par un gaz pénalisant, toxique ou corrosif, comme c’était le cas pour le gaz de Lacq (le plus grand gisement de gaz naturel de France, situé dans le département des Pyrénées-Atlantiques, Ndlr). Donc il n’y aura pas besoin de le traiter pour le purifier, ce qui diminuera fortement son empreinte carbone », analyse Philippe de Donato.
 

Le sous-sol dans la région du puits de Folschviller est riche en molécules d’eau et en minéraux composés de carbonates de fer. Lorsque ceux-ci sont en contact, il se produit une réaction d’oxydoréduction, où les minéraux dissocient les molécules d’eau (H2O) en oxygène (O2) et en hydrogène (H2).

Mais encore plus intéressant, lors de leurs mesures, les chercheurs ont également détecté la présence d’un autre gaz : le fameux hydrogène blanc ! « À 200 m, la teneur en ce composé était très faible, de l’ordre de 0,1 %, comme dans beaucoup de forages à cette profondeur. Donc cette première mesure ne nous a pas surpris », raconte Philippe de Donato. Mais voilà : plus la sonde descendait le long du puits, plus la concentration en hydrogène augmentait... « Nous avons commencé à sérieusement nous interroger quand, entre 600 et 800 m, elle est passée de 1 % à 6 %. C’était la première fois dans le monde, que l’on trouvait une teneur en ce gaz aussi importante dans un sous-sol. »  Et ce n’était là qu’un début. Car à 1 100 m de profondeur, ce taux dépassait les 15 %. « Alors, nous avons compris que nous avions potentiellement trouvé un gisement insoupçonné d’hydrogène blanc ! », s’exclame Philippe de Donato.

Les chercheurs pensent que le précieux gaz serait produit en continu via une véritable usine à hydrogène cachée sous nos pieds, qui utilise pour matières premières des molécules d’eau et des minéraux composés de carbonates de fer (FeCO3  et Ca(Fe,Mg,Mn)(CO3)2 ). En effet, « le sous-sol dans la région du puits de Folschviller est riche en ces deux types de composés. Or, lorsque ceux-ci sont en contact, il se produit une réaction physico-chimique dite d’oxydoréduction, où les minéraux dissocient les molécules d’eau (H2O) en oxygène (O2) et en hydrogène (H2) », éclaire Jacques Pironon. 

Des perspectives radieuses 

Selon les géologues, l’hydrogène détecté à 1 100 m serait produit à un niveau plus profond, d’où il remonterait par diffusion. Or, cette hypothèse laisse penser qu’à des profondeurs plus grandes, l’hydrogène serait encore plus concentré ! « Selon de premières simulations, à 3 000 m de profondeur, ces teneurs pourraient dépasser 90 % », chiffre Philippe de Donato. Si les chercheurs voient juste, au total, le possible gisement lorrain pourrait contenir environ 46 millions de tonnes d’hydrogène naturel… ce qui correspondrait à plus de la moitié de la production annuelle mondiale d’hydrogène gris aujourd’hui !

Vue latérale du prototype de voiture de course à hydrogène électrique MissionH24 roulant sur le circuit des 24 heures du Mans lors d'une séance d'essais.
Vue latérale du prototype de voiture de course à hydrogène électrique MissionH24 roulant sur le circuit des 24 heures du Mans lors d'une séance d'essais.

Reste toutefois à confirmer ces conjectures. « Dans les prochaines semaines, nous mesurerons la teneur en hydrogène à 800-1000 m de profondeur dans trois autres puits situés dans un rayon de 40 km autour du puits déjà étudié, pour s’assurer que ce gaz est présent dans tout ce périmètre. Ensuite, il nous faudra aussi valider nos estimations concernant la teneur en ce gaz à 3 000 m de profondeur. Et pour cela, nous entourer d’industriels pour réaliser un forage à cette profondeur », explique Philippe de Donato. Enfin, il faudra développer des techniques d’extraction de l’hydrogène adaptées. Ce à quoi, les chercheurs réfléchissent déjà…

De son côté, la Française de l’énergie a déposé une demande de permis de recherche d’hydrogène naturel et d’exploitation. Et ce, « dès mars 2023 », précise Romain Chenillot, responsable Géosciences – Gaz de mine de la compagnie. C’est que les perspectives suscitées par cette découverte sont radieuses. Car outre son caractère « propre », l’hydrogène lorrain présenterait un autre atout de taille : « il pourrait remplir le pipeline du projet “mosaHYc”3, lequel a pour ambition de mettre en service en 2026 un réseau de transport européen d’hydrogène qui reliera la Sarre (Allemagne), le Grand Est (France) et la frontière luxembourgeoise », relève Jacques Pironon. De quoi faire de la France un futur eldorado de l’hydrogène naturel ? ♦

À voir sur notre site
Quand l'hydrogène passe au vert (vidéo)
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Lorraine.
  • 2. Pour «REssources GAzières de LORraine ».
  • 3. Pour « Moselle Sarre HYdrogène Conversion ».

Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.