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Comprendre les ressorts du changement alimentaire
En janvier dernier, le lancement de la campagne du Lundi vert, avec pour mot d’ordre « En 2019, chaque lundi, je remplace la viande et le poisson ! », n’a pas laissé indifférent : un manifeste aux 500 signataires, de nombreuses réactions, favorables ou hostiles, dans la presse et sur les réseaux sociaux… Comment avez-vous eu l’idée de créer le programme de recherche Mesure des évolutions alimentaires longiTudinales (MEAT) qui s’articule autour de cette campagne ?
Laurent Bègue1 : Le Lundi vert s’inscrit dans le sillage du Meatless Monday initié par l’École de santé publique de l’Université Johns-Hopkins de Baltimore. Celui-ci est actuellement déjà mis en place dans une quarantaine de pays. De notre côté, la campagne du Lundi vert était en quelque sorte le module de lancement du programme Meat : nous proposons aux volontaires de participer à une étude scientifique en ligne pour suivre leur capacité au changement alimentaire. Notre but général est de comprendre l’impact d’une campagne nationale sur les conduites alimentaires. Une fois inscrits, les participants reçoivent deux messages hebdomadaires : le premier le lundi les invitant à participer et le second leur demandant « Hier, avez-vous participé au Lundi vert ? ». Ils ont alors le choix entre les réponses « Oui, j’ai participé (je n’ai pas consommé de viande ni de poisson) » et « Non, je n’ai pas participé (j’ai consommé de la viande et/ou du poisson) ». Plus de 25 000 personnes se sont déjà inscrites à l’étude, et nous espérons approcher les 50 000 d’ici à la fin de l’année. Nous avons récemment lancé une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 personnes de 18 ans et plus, confiée à l’institut de sondage Toluna. 51,5 % des répondants ont entendu parler du Lundi vert, 10,5 % disent également avoir commencé à le mettre en œuvre et 25,1 % en ont l’intention. Nous n’aurions tout simplement pas pu obtenir un tel échantillon sans une campagne comme le Lundi vert, le bénéfice est donc immense et c’est une opportunité unique. Bien sûr, dans la mesure où nous demandons à des personnes de remplir un questionnaire détaillé et de s’engager sur une enquête de cette nature, nous savons par avance que la population est très particulière. Après un lancement pendant lequel la campagne du Lundi vert et le programme Meat étaient indissociables, ces deux aspects sont aujourd’hui bien distincts.
L’équipe derrière le programme Meat est composée de chercheurs du CNRS, de l’Inra et de plusieurs universités françaises. Quels sont, à travers ce programme, vos objectifs ?
L. B. : Il existe déjà un certain nombre de protocoles de suivi des pratiques alimentaires, comme l’enquête NutriNet-Santé en France. Cependant, aucun programme de recherche n’a été directement développé pour mesurer l’impact d’une campagne à l’échelle nationale sur les conduites alimentaires. Le projet que nous menons permettra de répondre à trois objectifs. Le premier est de comprendre quels sont les profils des personnes réceptives à une action comme le Lundi vert. Les premières analyses font déjà ressortir des spécificités sociodémographiques ou relatives à la personnalité. Par exemple, l’attachement à la cuisine patrimoniale française, dans laquelle les produits carnés sont très présents. C’est une forme de norme sociale dont il est intéressant de déterminer la force. Le deuxième objectif est de savoir s’il est possible de prédire la durée de l’engagement des participants. Par exemple en fonction de la manière dont ils perçoivent les produits carnés, de leurs motivations à en diminuer la consommation. Nous voulons savoir ce qui facilite le maintien de cette décision. Sur 52 semaines, quels sont les profils qui vont rester le plus longtemps dans le protocole ? Quel est par exemple le poids du contexte social et familial ? Autant de questions auxquelles nous essayerons de répondre. Les premiers résultats seront publiés prochainement. Enfin, et c’est là notre troisième objectif, depuis février, nous cherchons à voir quels sont les effets de la communication sur mesure.
C’est-à-dire ?
L. B. : Trop souvent, le message qui est transmis ressemble pour celui qui le reçoit à des tracts largués depuis un avion. L’adhésion à un message et sa mémorisation sont déterminées par les motivations de l’individu, la forme du message et la manière dont il est transmis. Il est essentiel de prendre en compte ces aspects pour développer des contenus incitatifs. C’est le principe de la communication sur mesure. Cela suppose que l’on accède au préalable à des informations sur la personne qui reçoit le message, le récepteur, et que l’on génère par la suite des contenus adaptés à son profil.
L’échantillon réuni depuis le lancement du Lundi vert nous a permis d’identifier les motivations des participants à renoncer à la viande et au poisson ce jour-là. Nous avons conçu un jeu de mesures de trois types de motivations : environnementales, sanitaires et éthiques. Par exemple, une personne attachée aux critères environnementaux sera sensible à la formulation « Je vérifie toujours si mes choix quotidiens en termes d’alimentation, de transport et de loisirs n’ont pas un impact néfaste sur l’environnement », car dans ses prises de décisions quotidiennes, la problématique environnementale structurera ses actions. Une fois les motivations déterminées, nous divisons l’échantillon, actuellement composé de 25 000 personnes, en deux. Une moitié des participants reçoit un message neutre chaque semaine, tandis que l’autre reçoit un contenu qui reprend exactement sa ou ses motivations dominantes. La littérature scientifique internationale au sujet de la communication sur mesure s’étoffe de plus en plus, et les applications en termes de changement pro-environnemental ou de santé publique sont prometteuses.
Le Lundi vert encourage les citoyens au changement alimentaire. Quelle est selon vous la place des chercheurs dans une campagne incitative qui vise à modifier nos comportements ?
L. B. : Nous menons une démarche qui accompagne des mouvements d’opinion. Beaucoup de personnes sont prêtes à diminuer leur consommation de viande et de poisson pour des raisons de santé, d’éthique ou d’impact environnemental. En septembre 2018, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) annonçait, pour la France sur ces dix dernières années, une baisse de 12 % de la consommation de produits carnés, toutes formes confondues. Les dernières recommandations de l’agence Santé publique France et de son Programme national nutrition santé (PNNS) 2019 vont également dans le sens du Lundi vert concernant la consommation de viande.
Il aurait été difficile d’amorcer un tel projet sans qu’il y ait déjà une réceptivité sociétale du sujet. Finalement, le rôle des chercheurs aura été de travailler à amplifier cette tendance vertueuse et à organiser l’observation des changements que cette situation unique implique. Le fait que les scientifiques s’emparent de la question, c’est aussi une manière de s’affranchir des lenteurs politiques. En France, une campagne favorable à la diminution de produits carnés ne peut pas être impulsée clairement par des agences gouvernementales. Les données scientifiques sur le sujet sont convaincantes et avec Nicolas Treich, coinitiateur de MEAT et directeur de recherche à l’Inra, nous sommes convaincus que les chercheurs peuvent avoir un impact à ce niveau. La démarche scientifique sous-tend l’innovation et la transformation. Notre objectif est bien de faire avancer la connaissance sur les comportements alimentaires.
En filigrane, le programme Meat et le Lundi vert interrogent également l’impact des campagnes de prévention nationales. Quelles sont leurs faiblesses et que pourront apporter vos résultats futurs ?
L. B. : Sécurité routière, santé, addiction : les campagnes nationales sont rarement évaluées avec rigueur. Personne ne sait si les évolutions observées suite à la mise en place d’une campagne résultent de changements historiques, ou autres, qui se seraient produits sans cette campagne. Il est donc nécessaire d’évaluer de façon scientifique les campagnes de santé publique et celles incitant à des changements comportementaux. Et la France n’est pas le seul pays concerné : dans le monde, les campagnes équivalentes au Lundi Vert n’ont jamais été sérieusement évaluées. Une fois que nous aurons testé la communication sur mesure et constaté ou non son efficacité, nous pourrons envisager de l’appliquer à d’autres comportements de santé liés à l’alimentation, l’activité physique ou aux produits psychoactifs… Si nous arrivons à montrer que les motivations comptent dans le changement, ça va peut-être convaincre les agences de santé publique de créer des campagnes différenciées et d’étudier les motivations qui sous-tendent les changements envisagés. Plutôt que de faire une seule campagne par affichage ou à la télévision, elles pourraient alors mettre en place plusieurs campagnes adaptées à des canaux différents : magasines ciblés, Web, réseaux sociaux. La perspective du Lundi vert et du programme Meat milite en faveur d’une santé publique qui prenne davantage en compte les destinataires. Nous avons entre les mains un outil qui nous permettra d’avancer vers une meilleure compréhension de l’adéquation entre message et récepteur dans les changements de comportement. Les concertations en cours avec le ministère de l’Environnement ouvrent la possibilité d’implantations intéressantes de l’opération dans les grandes entreprises publiques, dans la restauration universitaire ou durant le Service national universel. ♦
Le site : lundi-vert.fr
- 1. Laurent Bègue est directeur de la Maison des sciences de l’Homme Alpes (CNRS/Université Grenoble-Alpes/Sciences-Po Grenoble/Université de Savoie Mont-Blanc/Grenoble INP).
Commentaires
bonjour, probleme nous ne
jean.durand.ama le 19 Avril 2019 à 16h44Connectez-vous, rejoignez la communauté
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