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De l’effet bénéfique des migrations sur l’économie

De l’effet bénéfique des migrations sur l’économie

20.06.2018, par
Réfugié syrien employé au centre de distribution d’une grande chaîne de supermarchés à Zaandam (Pays-Bas), en 2016.
Une nouvelle étude macroéconomique révèle que les flux migratoires ont eu un effet positif sur l’économie au cours des trente dernières années en Europe. Plus encore, les demandeurs d’asile ne pèseraient pas sur les finances publiques des pays qui les accueillent. Explications avec l’économiste Hippolyte d’Albis, l’un des auteurs de cette étude.

Vous venez tout juste de publier dans Science Advances1 une étude macroéconomique concernant l’effet des flux migratoires sur l’économie européenne. Sur quels éléments repose cette analyse ?
Hippolyte d’Albis2 : Les données proviennent d’Eurostat et de l’OCDE et couvrent la période de 1985 à 2015. Nous considérons l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest3 – dont la France bien sûr – mais en laissant de côté certains États comme la Grèce, car les données fiscales avant 1990 ne sont pas disponibles. Ce sont les principaux pays d’accueil des demandeurs d’asile – ils totalisent 89 % de ces demandes en 2015. Nous avons distingué, dans le flux migratoire, le flux de migrants permanents – la différence entre le nombre d’immigrants et le nombre d’émigrants, ce qu’on appelle aussi le solde migratoire – et le flux de demandeurs d’asile. Un demandeur d’asile est admis au séjour temporairement le temps de l’instruction de sa demande d’asile et ne rentre donc pas dans la première catégorie de migrants permanents.
Au cours de la période étudiée, nous observons une augmentation importante des flux de demandeurs d’asile à la suite des guerres dans les Balkans entre 1991 et 1999, et à partir de 2011 à l’issue du Printemps arabe. Nous observons aussi une augmentation des flux de migrants permanents à la suite de l’élargissement de l’Union européenne en 2004 aux pays d’Europe de l’Est.

Cours d’italien au centre de réfugiés de Tor Sapienza, dans la banlieue de Rome. De par sa position géographique, l’Italie connaît actuellement une arrivée massive de migrants, notamment venus d’Afrique. Pour autant, sur les trente dernières années (1985-2015), ce sont les pays du Nord de l’Europe qui concentrent le plus grand nombre de demandes d’asile, selon l'étude.
Cours d’italien au centre de réfugiés de Tor Sapienza, dans la banlieue de Rome. De par sa position géographique, l’Italie connaît actuellement une arrivée massive de migrants, notamment venus d’Afrique. Pour autant, sur les trente dernières années (1985-2015), ce sont les pays du Nord de l’Europe qui concentrent le plus grand nombre de demandes d’asile, selon l'étude.

Quelles tendances ressortent le plus pour ces deux flux – migrants permanents et demandeurs d’asile ?
H. A. : Il y a un effet positif très visible du flux de migrants permanents. À la suite d’une augmentation de ce flux à une date donnée, nous observons que le PIB par habitant va croître de façon significative pendant quatre ans, tandis que le taux de chômage va baisser. C’est le contraire de ce que l’on entend parfois ! Cette amélioration de la situation économique va aussi avoir un effet positif sur les finances publiques, car même si l’on observe une hausse des dépenses publiques, les recettes – en impôts et cotisations – augmentent elles aussi.
 

À la suite d’une augmentation du flux de migrants permanents à une date donnée, nous observons que le PIB par habitant va croître de façon significative pendant 4 ans, tandis que le taux de chômage va baisser.

S’agissant du flux de demandeurs d’asile, nous ne nous attendions pas à un effet important car c’est une immigration très particulière. La plupart des pays en Europe proposent, pendant l’instruction de leur demande, une prise en charge aux demandeurs d’asile, qui n’ont généralement pas l’autorisation de travailler. Ainsi, la contribution économique attendue des demandeurs d’asile est plus faible que celle des migrants permanents, qui ne connaissent pas de restrictions sur le marché du travail.

On entend parfois que l’accueil de demandeurs d’asile représente un coût significatif pour les pays hôtes, mais sur la période que nous observons (1985-2015), nous ne trouvons pas de preuves statistiques qui indiqueraient une dégradation des conditions économiques des pays d’Europe de l’Ouest, que ce soit sur le plan du niveau de vie, du chômage ou du solde des finances publiques. Au bout de quelques années, il peut y avoir un effet positif, plutôt faible, qui s’explique par le fait que les demandeurs d’asile autorisés à rester durablement contribueront, en travaillant, à l’économie du pays.
 
Quelle méthode avez-vous employée pour cette étude ?
H. A. : C’est une méthodologie fréquemment utilisée en macroéconomie pour évaluer les effets d’une hausse des dépenses publiques. C’est ce que dans le jargon nous appelons le « multiplicateur keynésien », qui quantifie l’effet d’une hausse des dépenses publiques sur le PIB. L’originalité de notre article est d’utiliser cette méthode pour analyser les effets de la hausse des flux migratoires sur les agrégats macroéconomiques et sur les finances publiques. C’est ce dernier point qui n’avait jamais été pratiqué auparavant. Nous utilisons un modèle statistique, qui laisse essentiellement parler les données en imposant très peu d’hypothèses théoriques. Ce type de modèle a notamment été utilisé pour évaluer les effets économiques d’une augmentation des dépenses publiques. Nous vérifions que notre modèle reproduit les résultats précédemment obtenus afin de le valider. Une fois cette première étape achevée, notre objectif est de l’utiliser afin d’évaluer les effets économiques et budgétaires des chocs migratoires.

Né en Ouganda et arrivé au Danemark en 1989 lorsqu’il était bébé, Sylvester Bbaale exploite aujourd’hui un camion-restaurant à Copenhague. Il faisait l’objet d’un reportage du New York Times en 2016.
Né en Ouganda et arrivé au Danemark en 1989 lorsqu’il était bébé, Sylvester Bbaale exploite aujourd’hui un camion-restaurant à Copenhague. Il faisait l’objet d’un reportage du New York Times en 2016.

 
Comment cette méthode se différencie-t-elle d’autres études économiques déjà menées sur le sujet ?
H. A. : La principale difficulté méthodologique, en économie de la migration, repose sur l’identification des causalités. Si vous faites une simple corrélation entre des variables économiques et migratoires, vous allez souvent trouver une corrélation positive : il y a plus de migrants là où il y a plus de richesse. Cependant, la causalité peut aller dans les deux sens, les migrants peuvent accroître la richesse du pays d’accueil, mais peuvent aussi être « attirés » par cette richesse. L’analyse de la corrélation ne nous apprend pas grand-chose et c’est pour cela que nous devons faire appel à des méthodes statistiques avancées, afin d’évaluer les effets des flux migratoires sur les variables macroéconomiques.

En moyenne sur la période 1985-2015, les pays qui ont enregistré le plus de demandes d’asile sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas.

Il y a aussi des approches purement comptables, où l’on mesure uniquement la différence entre les impôts payés par les migrants et les prestations qu’ils reçoivent des administrations publiques. C’est cependant oublier toutes les interactions qui peuvent exister entre les variables et les acteurs économiques. Ces approches dépendent par ailleurs très fortement de la qualité des enquêtes utilisées.
Notre méthode laisse beaucoup plus parler les données et prend en compte les interactions entre les variables. C’est une approche reconnue en macroéconomie, pour identifier l’effet causal d’une politique budgétaire par exemple.
Dans notre article, nous utilisons cette approche pour mettre en évidence que l’effet causal des flux migratoires en Europe est plutôt positif.

L’espace Schengen en Europe et les conventions sur le droit d’asile ne compliquent-ils pas ce type d’analyse, certains pays se retrouvant, du fait de leur géographie, à devoir traiter plus de demandes ?
H. A. : Notre méthodologie prend en compte le fait que certains pays européens enregistrent plus de demandes d’asile que d’autres.
Concrètement, les données que nous utilisons évaluent le nombre de ressortissants étrangers dont la demande d’asile est en cours d’instruction à la fin de chaque année dans le pays. Mais les données de flux de demandeurs d’asile que nous utilisons ne concernent pas, par exemple, l’ensemble des personnes qui traversent la Méditerranée pour arriver en Europe. Elles indiquent qu’en moyenne sur la période 1985-2015, les pays situés aux frontières extérieures de l’espace Schengen (Italie, Espagne ou Grèce) ont enregistré relativement peu de demandes d’asile. Les pays qui en ont enregistré le plus sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas.
Et lorsqu’on rapporte les flux à la population, les cinq pays qui ont enregistré le plus de demandes d’asile sont la Suède, l’Autriche, la Norvège, la Belgique et l’Allemagne (en moyenne sur la même période).
 

Ouvrières agricoles originaires d'Europe de l’Est et travaillant sur une plantation de haricots d’Espagne, dans le comté de Warwickshire (Angleterre).
Ouvrières agricoles originaires d'Europe de l’Est et travaillant sur une plantation de haricots d’Espagne, dans le comté de Warwickshire (Angleterre).

Quelles données a-t-on sur cet effet économique en France ? Car même si l’étude porte sur l’Europe, ce sont tout de même des économies nationales qui gèrent les flux de migrants permanents et de demandeurs d’asile.
H. A. : Notre étude porte sur un panel de pays de l’Europe de l’Ouest et les résultats obtenus sont valides en moyenne pour ces pays. Nous ne sommes pas en mesure d’analyser les effets des flux migratoires sur les finances publiques d’un pays particulier en utilisant cette méthodologie car nous n’avons pas assez de données temporelles.
 

Les personnes issues de l’immigration familiale sont particulièrement présentes sur le marché des services domestiques et à la personne, ce qui facilite l’emploi des nationaux.

Mais, avec mes coauteurs Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, nous travaillons aussi sur la France. La migration extra-européenne dans l’Hexagone représente en moyenne chaque année 189 000 personnes – dont la moitié pour motifs familiaux et le quart pour motifs d’études.
Nous avions déjà observé des effets positifs de l’immigration sur la situation macroéconomique en France dans une étude publiée en 20164. Nous utilisons la même méthode pour évaluer les effets sur l’économie française des flux d’entrée de migrants permanents originaires de pays tiers. Même lorsque l’on se restreint à la migration familiale, les effets sont positifs, ce qui va à l’encontre des idées reçues.

Comment cela s’explique-t-il ?
H. A. : Il y a divers mécanismes. Les personnes issues de l’immigration familiale sont particulièrement présentes sur le marché des services domestiques et à la personne, ce qui facilite l’emploi des nationaux. Par ailleurs, la réunification des familles réduit les transferts d’argent vers le pays d’origine et accroît les dépenses de consommation en France.
 
Quelles recommandations politiques peut-on tirer de vos travaux ?
H. A. : En matière d’immigration, il serait un peu naïf de vouloir construire une recommandation à partir d’un diagnostic reposant uniquement sur l’économie. Nos travaux suggèrent justement que le débat politique de l’immigration se concentre beaucoup trop sur le supposé « coût économique » des migrants. Nous montrons que leur présence, qu’il s’agisse des migrants permanents ou des demandeurs d’asile, n’a pas d’impacts économiques négatifs. Il est donc essentiel de recentrer le débat migratoire dans sa dimension politique ou diplomatique. Dans le même ordre d’idée, ce n’est pas parce qu’il y a des bénéfices économiques liés aux flux migratoires en Europe qu’il faut nécessairement l’encourager. N’oublions pas que l’on parle de personnes !
Plus généralement, la recherche sur la migration nécessite une approche interdisciplinaire. C’est aussi cela qui la rend passionnante !

 
 
Lire aussi notre article : « Migrant, réfugié: quelles différences ? »

Notes
  • 1. « Macroeconomic evidence suggests that asylum seekers are not a “burden” for Western European countries », Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly, Science Advances, 2018 (4) : eaaq0883.
  • 2. Directeur de recherche CNRS à Paris-Jourdan Sciences économiques (CNRS/École des hautes études en sciences sociales/École normale supérieure de Paris/École nationale des ponts et chaussées/Inra/Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et professeur à PSE-École d’économie de Paris.
  • 3. L’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède, le Portugal et le Royaume-Uni. Ces pays ont été sélectionnés sur la base des données économiques et migratoires disponibles pour l’ensemble de la période d’étude dans deux bases de données internationales : Eurostat et l’OCDE.
  • 4. Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly (2016), « Immigration policy and macroeconomic performances in France », Annals of Economics and Statistics, 2016, vol. 121-122 : 279-308. DOI: 10.15609/annaeconstat2009.121-122.279

Commentaires

1 commentaire

Bonjour J'aimerais bien comprendre comment des migrants, des immigrés, des personnes éminemment estimables qui ne parlent pas un mot de français qui n'ont aucune base de culture leur permettant de "comprendre" les us et coutumes du pays dans lequel ils mettent tous leurs espoirs (?) qui ne paient pas d'impôts, qui n'ont pas de ressources (?) qui ne travaillent pas puisqu'ils n'ont pas les capacités requises pour exercer un emploi peuvent ils payer l'avalanche de cotisations qui sont demandés aux citoyens des pays d'accueil ?
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