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L’équivalent d’une dizaine d’années de consommation nationale de gaz, soit 370 milliards de mètres cubes : c’est la quantité de gaz de charbon que recèleraient les sous-sols de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais, selon des estimations confirmées par l’Institut français du pétrole. Plus que ce qu’a fourni le gisement de gaz naturel de Lacq, définitivement fermé en novembre 2013, en cinquante ans d’exploitation. Ce gaz made in France, composé à plus de 90 % de méthane, fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Il représente la dernière chance de produire du gaz en France depuis que la fracturation hydraulique y a été interdite. De quoi contribuer – à la marge – à l’indépendance énergétique de la France, qui a dû importer la quasi-totalité de son gaz en 2013, et assurer la transition énergétique vers un modèle intégrant davantage d’énergies renouvelables. Un permis d’exploration a été accordé par l’État à l’entreprise australienne EGL (European Gas Limited) afin de déterminer la faisabilité et les conditions d’une possible exploitation.
Stimuler plutôt que fracturer
Le gaz de charbon n’a pourtant rien d’une nouveauté. « Les anciens mineurs de fond le connaissent bien, témoigne Raymond Michels, géochimiste au laboratoire Géoressources1. Et pour cause : c’est le grisou tant redouté du temps où l’on exploitait le charbon. Le gaz, emprisonné dans la structure même du charbon, se libérait de façon inopinée lors du creusement des galeries… » Aujourd’hui que les mines sont fermées, l’idée est d’aller chercher de façon systématique cette ressource naturelle dans les couches de charbon les plus profondes, qui n’ont jamais été exploitées par les sociétés minières du fait de leur difficulté d’accès : généralement plus d’un kilomètre sous terre.
Pour ce faire, une technique – inédite en Europe – a été mise au point en Amérique du Nord et en Australie, où le gaz de charbon fait déjà l’objet d’une exploitation : la stimulation. Rien à voir avec la fracturation hydraulique utilisée pour l’extraction du gaz de schiste, assurent les chercheurs. Dans le cas de la fracturation, on envoie de grandes quantités d’eau (et les additifs appropriés) afin de créer une surpression et de fracturer la roche dans laquelle le gaz est emprisonné. Dans le cas du gaz de charbon, il s’agit au contraire de créer une dépressurisation. « On pompe l’eau naturellement présente dans la roche, et le déficit de pression ainsi créé force le gaz hors des microfissures du charbon », explique Raymond Michels.
Ce n’est pas la seule innovation. Une technique de forage directement issue de l’industrie pétrolière – le forage horizontal – devrait également être utilisée. « À partir d’un puits vertical, on creuse en étoile des forages horizontaux qui suivent les couches de charbon », précise Raymond Michels. Avantage de la technique : exploiter au mieux la ressource et de limiter le nombre de puits en surface – donc les nuisances liées à l’activité. Au total, la société EGL, qui a déjà creusé cinq puits de reconnaissance en Lorraine, estime à trente le nombre de sites de production qui fonctionneront à terme dans la région pour un début d’exploitation envisagé d’ici à trois ans. Aucun forage n’a été à ce jour réalisé par EGL dans le Nord-Pas-de-Calais, où l’on estime le gisement à deux années de consommation nationale de gaz.
Pas d’exploitation avant dix ans
« On est encore dans la phase exploratoire, nuance Yann Gunzburger, chercheur au laboratoire Géoressources et coordinateur du projet GazHouille, un groupement pluridisciplinaire de chercheurs (géologues, économistes, juristes, psychosociologues…) chargé d’évaluer les risques et les enjeux d’une exploitation du gaz de charbon en Lorraine. Il ne faut pas préjuger de la décision qui sera prise in fine par les pouvoirs publics. En tout état de cause, l’exploitation, si elle est autorisée et réalisable, ne devrait pas commencer avant cinq à dix ans. » Les premières enquêtes menées auprès de la population montrent de la curiosité pour le gaz de charbon et peu de réticence a priori, d’autant que le scénario aujourd’hui privilégié pour sa commercialisation serait en faveur de l’économie lorraine. « Au lieu d’injecter le gaz dans le réseau national, où il serait vendu au prix du marché, il s’agirait de le commercialiser à un coût moindre aux industriels installés localement », explique Yann Gunzburger. De quoi attirer de nouvelles entreprises dans une région fortement touchée par le chômage, espèrent les plus optimistes.
Voir aussi: Le gaz vert, une alternative au gaz naturel?
- 1. Unité CNRS/Univ. de Lorraine/Cregu.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.