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Nucléaire : l’épineuse question du combustible
En matière d’émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire est quasiment irréprochable. C’est en tout cas grâce à lui que la France figure parmi les très bons élèves de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais l’atome est-il pour autant une énergie sur laquelle l’humanité pourra compter sur le long terme ? Le faible tonnage d’uranium nécessaire pour alimenter un réacteur ferait presque oublier de se poser la question. Elle est pourtant cruciale.
Des ressources en uranium très incertaines
C’est bien simple, sur l’ensemble de la planète, les ressources d’uranium prouvées s’élèvent à 5,9 millions de tonnes, de quoi assurer « seulement » un petit siècle de consommation au rythme actuel. Et encore, « cet inventaire ne signifie pas que l’ensemble de ces ressources puissent être exploitées », prévient Maurice Pagel, du laboratoire Géosciences Paris Sud1. Par ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) estiment dans leur rapport conjoint « Uranium 2014 » que le sous-sol pourrait receler jusqu’à 7,7 millions de tonnes supplémentaires (hors États-Unis), de quoi assurer un doublement du parc actuel d’ici à 2100. Mais, comme le souligne le géologue, « ces ressources sont pour la plupart très spéculatives ». D’un mot, le constat est sans appel : « Cela ne suffit pas pour que le nucléaire contribue de façon significative à la réduction des émissions de dioxyde de carbone, indique Sylvain David, de l’Institut de physique nucléaire d’Orsay2. Pour ce faire, il faudrait multiplier le parc actuel par quatre ou cinq, ce qui serait synonyme de tensions majeures sur l’uranium dès 2050. »
Afin de limiter sa consommation d’uranium, le fournisseur d’énergie EDF réutilise, après retraitement, une fraction du combustible usé dans ses centrales. Vingt des 58 réacteurs nucléaires actuellement en fonctionnement dans l’Hexagone fonctionnent déjà pour partie avec ce combustible, appelé MOX. Souvent décrié car considéré comme plus dangereux que les combustibles classiques, il permet néanmoins de valoriser en partie une matière fissile qui est de toute façon présente dans les combustibles UOX3 usés. Et ainsi d’économiser 900 tonnes d’uranium naturel par an sur les 8 400 consommées. Par ailleurs, différentes techniques existent pour améliorer l’enrichissement de l’uranium – naturellement, l’uranium 235 utilisé dans les réacteurs actuels n’est présent qu’à 0,72 % dans le minerai d’uranium. Ainsi, « en utilisant toutes les technologies éprouvées, nous avons calculé que l’on pourrait abaisser de 200 à 130 tonnes la quantité d’uranium consommée chaque année par un réacteur de 1 000 mégawatts », estime Sylvain David. Pour autant, le scientifique ajoute : « Cela permettrait de repousser de quarante ans le moment où apparaîtront les tensions sur les matières premières, mais cela ne change pas fondamentalement la donne. »
le nucléaire en
énergie durable,
une seule solution :
changer
radicalement
la technologie
des réacteurs.
Pour muer le nucléaire en énergie durable, une seule solution : changer radicalement la technologie des réacteurs. Dans ce but, le Forum international génération IV, qui regroupe 13 pays (Argentine, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, Russie, France, Japon, Afrique du Sud, Suisse, Royaume-Uni, États-Unis, Union européenne), s’est engagé sur la voie de réacteurs de quatrième génération à l’horizon 2040. Contrairement aux réacteurs des générations antérieures4, qui consomment exclusivement de l’uranium 235, la plupart des réacteurs de la génération IV tirent parti de l’uranium 238 qui compte pour plus de 99 % dans la composition de l’uranium naturel. Leur principe : un cœur de plutonium pour la production d’énergie, mais dont une partie des neutrons dits rapides, émis lors des réactions de fission, est utilisée pour bombarder l’uranium 238 présent dans le combustible.
Conséquence : une transmutation de cet élément en uranium 239, puis en neptunium et enfin en plutonium… qui est donc régénéré ! « Avec la génération IV, on passe de 200 tonnes de combustible à 1 tonne par gigawatt (GW) et par an, indique Sylvain David. La ressource n’est donc plus une question. En France, par exemple, les 300 000 tonnes d’uranium appauvri déjà stockées représentent ainsi 5 000 ans de consommation ! »
La manipulation du sodium, une opération ultracomplexe
Plusieurs concepts de ces surgénérateurs ont été retenus par le Forum génération IV. Parmi eux, le plus avancé est le réacteur rapide refroidi au sodium, principe mis en œuvre notamment au sein des deux surgénérateurs du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et d’EDF, Phénix et Superphénix, arrêtés respectivement en 2009 et en 1998. Il le sera à nouveau en 2020, avec le démarrage du surgénérateur expérimental Astrid.
D’aucuns pointent du doigt l’incroyable complexité de ces réacteurs, en particulier liée à la manipulation du sodium, un liquide inflammable au contact de l’eau et de l’air. Mais, comme le précise Sylvain David, « en matière de surgénération, c’est la seule technologie possible à un niveau industriel à l’horizon 2040 ».
Par ailleurs, d’une façon générale, le démarrage d’un surgénérateur nécessite de disposer d’un stock de plutonium à raison de 20 tonnes par réacteur. Ainsi, en France, le chargement d’un parc entier obligerait à constituer un stock de 1 200 tonnes quand seulement 300 tonnes sont disponibles aujourd’hui dans les combustibles usés. « Le plutonium est produit dans les réacteurs actuels, explique le physicien. Ainsi, en France, en s’y prenant bien, on peut avoir fini la transition vers la génération IV en 2100. Mais, dans les pays n’ayant pas une histoire nucléaire aussi longue, ce sera forcément encore plus long. »
L’avenir est-il à la fusion ?
Pour cette raison, un autre concept est également pris aujourd’hui très au sérieux : le réacteur à sels fondus fonctionnant sur le cycle du thorium, un radioélément très abondant sur la Terre. Sa spécificité : un combustible liquide qui permet d’adapter à la demande, et en particulier en fonction des exigences de sécurité, la quantité de matière fissile dans le réacteur. Et qui permet, en cas d’urgence, de vidanger très rapidement. Une maquette de réacteur à sels a fonctionné dans les années 1970 aux États-Unis, mais le concept est loin d’avoir atteint la maturité industrielle. Il figure néanmoins parmi les six filières retenues par le Forum génération IV parmi les 120 proposées. « Il est assez peu probable de voir une filière nucléaire fondée sur le thorium se développer en Europe, analyse Sylvain David. Mais la Chine, dont les besoins colossaux en énergie l’incitent à regarder dans toutes les directions, ou bien l’Inde, qui n’a pas d’accès facile à l’uranium, s’y intéressent de très près. »
la fusion à des fins
civiles nécessite
de faramineux
développements
technologiques.
À moins que l’avenir à long terme du nucléaire réside dans la fusion plutôt que dans la fission. Alors que la première consiste à casser des noyaux lourds, l’énergie de la seconde surgit lorsque des noyaux atomiques légers s’assemblent. Avantages de la fusion : elle implique des atomes légers, en particulier le deutérium, naturellement présent dans l’eau de mer. Du reste, elle n’engendre quasiment aucun déchet dangereux. Et elle est tellement fragile qu’il est physiquement impossible qu’un réacteur à fusion s’emballe. Malheureusement, la maîtrise de la fusion à des fins civiles reste hypothétique et nécessite encore aujourd’hui de faramineux développements technologiques, tant dans le domaine des plasmas que dans celui des matériaux.
Avant la fin de la prochaine décennie, le réacteur expérimental Iter, actuellement en construction sur le site du CEA à Cadarache, permettra aux spécialistes de commencer à apprendre à maîtriser la stabilité d’un plasma de fusion. S’ils y parviennent, la construction d’un prototype industriel pourrait, au mieux, avoir lieu après le milieu du siècle. En cas de succès, l’énergie nucléaire pourrait alors définitivement prétendre au titre d’énergie durable.
- 1. Unité CNRS/Univ. Paris Sud.
- 2. Unité CNRS/Univ. Paris Sud.
- 3. Composé d’oxydes d’uranium, l’UOX est actuellement le combustible le plus utilisé, notamment sous sa forme enrichie en uranium 235.
- 4. Pour rappel, la deuxième génération est en fonctionnement, tandis que le déploiement de la troisième vient tout juste de commencer. L’EPR, dont l’installation s’avère plus complexe et coûteuse que prévu (notamment à Flammanville ou en Finlande) est le représentant principal de cette troisième génération, mais il faut noter que la deuxième et la troisième génération fonctionnent sur le même principe : combustible à uranium enrichi, et cœur de réacteur modéré et refroidi avec de l’eau. Les réacteurs de quatrième génération sont tous basés sur des technologies en rupture avec ces filières standard.
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Auteur
Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.