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Le gaz vert, une alternative au gaz naturel?

Dossier
Paru le 29.07.2014
Le gaz, une ressource pleine d'avenir

Le gaz vert, une alternative au gaz naturel?

02.07.2014, par
Station de traitement des eaux usées du Bassin de l'Ehn, à Meistratzheim
La station de traitement des eaux usées du bassin de l’Ehn génère de l’énergie à partir de matières traitées sur site (jus de choucroute, graisses et boues).
Alors que la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, vient d’annoncer plusieurs mesures de soutien aux énergies tirées de la biomasse, nous nous sommes intéressés au biogaz, qui permet à la fois de valoriser les déchets organiques et de limiter l’impact carbone du gaz.

Dans un contexte mondial de transition énergétique et d’épuisement des réserves de combustibles fossiles, produire du gaz à partir de la biomasse ou des énergies renouvelables présente l’intérêt majeur de limiter les émissions de gaz à effet de serre. En effet,  la production de biogaz recycle un carbone déjà présent et disponible dans notre environnement immédiat, alors que l’extraction et la combustion du méthane fossile – le gaz naturel – injecte dans l’atmosphère du carbone piégé sous terre depuis des millions d'années, ce qui va à l’encontre d’une maîtrise des émissions. Sans compter l’indépendance énergétique que permet un gaz renouvelable. Plusieurs recherches et expérimentations sont actuellement en cours en France pour développer et améliorer l’exploitation des gaz non fossiles.

Favoriser une économie circulaire

Le biogaz est le gaz issu de la fermentation spontanée des matières organiques animales ou végétales dans un milieu privé d’oxygène : un processus appelé méthanisation. La production de biogaz à grande échelle présente l’intérêt majeur de s’inscrire dans une économie circulaire. D’abord parce qu’elle permet de recycler toutes sortes de déchets organiques : résidus agricoles (lisier, sous-produits des fermes), déchets ménagers et certains déchets industriels comme des boues de stations d’épuration.

Station d'épuration
Station d’épuration.
Station d'épuration
Station d’épuration.

Le biogaz peut aussi être directement capté dans les centres d’enfouissement des déchets. Il existe également des machines capables d’extraire la matière organique des emballages en écrasant tout, ce qui permet d’utiliser les poubelles provenant de supermarchés ou de restaurations collectives. Les huiles de friture notamment sont très prisées, car les lipides peuvent optimiser la méthanisation. Un des exemples les plus frappants est sans doute celui de la région d’Obernai, dans le Bas-Rhin, qui a associé aux boues d’épuration l’utilisation… de jus de choucroute ! Ce jus finissait auparavant… dans l’usine d’épuration, représentant 30 000 m3 d’eaux usées. Un bel exemple de valorisation ! D’autant plus que la loi française oblige depuis 2012 les « gros producteurs de biodéchets » à valoriser ceux-ci au lieu de les abandonner. En 2016, ce seuil sera abaissé de 120 à 10 tonnes par an.

Station de traitement des eaux usées du Bassin de l'Ehn, à Meistratzheim
La station de traitement des eaux usées du bassin de l’Ehn génère de l’énergie à partir de matières traitées sur site (jus de choucroute, graisses et boues).
Station de traitement des eaux usées du Bassin de l'Ehn, à Meistratzheim
La station de traitement des eaux usées du bassin de l’Ehn génère de l’énergie à partir de matières traitées sur site (jus de choucroute, graisses et boues).

À l’issue du processus de méthanisation, on obtient également un résidu riche en azote, appelé le digestat, qui peut être employé comme engrais agricole. On note toutefois que la Suisse a interdit ce type d’épandage par crainte de disséminations non contrôlées de micropolluants et de déchets pharmaceutiques.

Actuellement, en France, le procédé est surtout voué à l’autoalimentation : la méthanisation à la ferme où l’éleveur transforme le biogaz de ses lisiers ou fumiers en chaleur pour ses bâtiments. Le surplus de gaz est ensuite transformé en électricité injectée dans le réseau électrique. On parle de cogénération. En fait, la transformation en électricité fait perdre 65 % d’efficacité énergétique ! Ce gaz pourrait être réinjecté dans les canalisations de gaz naturel, mais la France est en retard dans ce domaine. Des négociations avec les industriels sont en cours pour fixer un prix de rachat de ce gaz, sur le même principe que le rachat des kilowattheures d'électricité pour certaines énergies renouvelables. Au Chili, cette connexion avec le réseau de gaz naturel fonctionne depuis cinq ans sans problème.

L’hythane, biogaz optimal ?

Pour obtenir du biogaz, la recette est simple : vous prenez de la biomasse, quelle que soit son origine, et vous la laissez se dégrader. Ce sont les matières organiques qui libèrent le biogaz (CH4 (méthane) + CO2) lors de leur décomposition, selon un processus de fermentation (méthanisation). Cette dégradation de la matière organique est assurée par différentes souches de bactéries.

Durant ce processus est aussi produit de l’hydrogène, dont l’efficacité énergétique est trois fois supérieure à celle du méthane et qui ne dégage que de la chaleur et de l’eau. Le mélange idéal, appelé hythane, est composé de 80 % de méthane et de 20 % d’hydrogène, et il peut être réinjecté dans le réseau de distribution de gaz. L’ensemble diminue ainsi d’un cinquième l’émission de CO2. En Suède, par exemple, la collecte des ordures permet déjà une méthanisation avec une production d’hydrogène.

Tour de méthanisation
Dispositif pilote du LBE-Inra associant la production d’hydrogène (en haut) et de méthane (en bas) à partir des ordures ménagères.
Tour de méthanisation
Dispositif pilote du LBE-Inra associant la production d’hydrogène (en haut) et de méthane (en bas) à partir des ordures ménagères.

Le travail de Marie-Thérèse Giudici-Orticoni, qui dirige l’unité Bioénergétique et ingénierie des protéines et l’équipe Métabolisme énergétique des bactéries extrémophiles1, consiste à stabiliser la production d’hydrogène des bactéries par une meilleure compréhension microbiologique de leur métabolisme. Dans son laboratoire, elle les étudie avec des substrats modèles de sucre pour pouvoir mener des expériences pilotes avec les mélanges boues usées et les déchets ménagers.

Le problème de l’apport organique

La méthanisation est une solution écologique à condition d’être pratiquée en respectant certaines règles. La France peut tirer des enseignements des déboires de ses voisins : notamment en Allemagne et en Belgique, où les unités de production de gaz rencontrent des problèmes liés à leur approvisionnement. Le digesteur ayant besoin d’un apport organique homogène, cela contraint les uns aux cultures dédiées, les autres à acheter à prix d’or les matières organiques adéquates jusque de l’autre côté de la frontière… La Belgique achète ainsi à grands frais toutes les matières organiques, poubelles et huiles de friture du Nord de la France.

Le principe d’utiliser des cultures dédiées, c’est-à-dire de cultiver spécifiquement une plante pour alimenter le digesteur, pose des problèmes de conflit d’usage des sols, car ces champs prennent la place d’éventuelles cultures alimentaires. L’Allemagne est ainsi en train de faire marche arrière après avoir subventionné des cultures de maïs dédiées ayant déséquilibré le marché des terres agricoles, avec des effets pervers sur le prix de l’électricité pour les consommateurs. D’une manière générale, il faudrait toujours tenir compte de la proximité et de la disponibilité des ressources, par exemple du coût de la collecte des biodéchets.

« Les procédés thermochimiques de conversion de la biomasse en méthane et/ou électricité utilisent également des ressources forestières (ligno-cellulose) qui peuvent être gérés de manière optimale en minimisant les émissions de CO2 » précise Alain Dollet, directeur adjoint scientifique à l'INSIS, en charge de la cellule Energie du CNRS. C’est l’objectif du projet Forever, réalisé dans le cadre du défi ENRS2 de la mission interdisciplinaire du CNRS, qui s’intéresse aux filières durables de valorisation énergétique de ces ressources.

Optimiser l’exploitation des énergies renouvelables

« Outre ces unités de cogénération, où un méthaniseur produit du biogaz et de l’électricité, il existe aussi des systèmes hybrides qui utilisent le gaz pour stabiliser la production d’électricité issue d’énergies renouvelables variables » poursuit Alain Dollet « Le projet Pegase, conduit par le laboratoire CNRS Promes3 sur le site de Thémis, développe un concept de centrale solaire dans lequel l’air qui est détendu dans une turbine (pour produire l’électricité) est chauffé par l’énergie solaire concentrée, mais aussi par la combustion d’un gaz d’appoint (issu de biomasse) qui permet d’ajuster la production de la turbine à un niveau constant.»

Centrale Thémis à Targasonne
Vue sur la tour solaire et les héliostats de la centrale solaire Thémis remise en service pour le projet Pégase (production d’électricité par turbine à gaz et énergie solaire).
Centrale Thémis à Targasonne
Vue sur la tour solaire et les héliostats de la centrale solaire Thémis remise en service pour le projet Pégase (production d’électricité par turbine à gaz et énergie solaire).

Autre concept : « Le power to gas permet de produire du gaz à partir des énergies renouvelables, palliant ainsi leur intermittence. C’est un moyen efficace pour stocker l’électricité générée aux heures creuses. L’éolien et le solaire ont une production fluctuante, mais, si elle est utilisée pour électrolyser de l’eau, elle produit alors de l’hydrogène, qui peut être utilisé ultérieurement ou transformé en méthane plus facile à stocker », explique Jean-Philippe Steyer, spécialiste de la méthanisation au Laboratoire de biotechnologie de l’environnement, à Narbonne. L’hydrogène peut être stocké sous différentes formes : à l’état de gaz dans des réservoirs à haute pression, transformé en méthane, ou bien sous forme solide dans des disques poreux ou métalliques.

Voir aussi:

                  
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ.
  • 2. Défi Transition énergétique : ressources, société, environnement.
  • 3. Laboratoire procédés, matériaux et énergie solaire.
Aller plus loin

Auteur

Lydia Ben Ytzhak

Lydia Ben Ytzhak est journaliste scientifique indépendante. Elle travaille notamment pour la radio France Culture, pour laquelle elle réalise des documentaires, des chroniques scientifiques ainsi que des séries d’entretiens.