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En Arizona, une mini-Terre sous cloche
À l’horizon, la silhouette du complexe scientifique Biosphère 21 danse sous la chaleur du désert de l'Arizona. Le bâtiment entièrement vitré à l’allure de serre géante héberge une Terre miniature. À l'intérieur, en arpentant la forêt tropicale, sous le grand chapiteau, ne soyez pas étonnés par le ventilateur au-dessus de votre tête ou les longs tuyaux sur votre droite. Dans un mélange curieux de mécanique et de nature, de grands dispositifs recyclent l’air au milieu des végétaux et font fonctionner l’immense machine qu’est Biosphère 2. Levez la tête, vous verrez la cime des arbres buter contre le plafond. Tendez l’oreille et écoutez la cascade marquant le début du cycle de l’eau. Au bout de la forêt, sans la moindre frontière, l’odeur de sel et l’air tiède d’un océan artificiel succèdent à l’atmosphère chaude et humide de la forêt. Au total, cinq biomesFermerVaste région biogéographique s’étendant sous un même climat et caractérisée par la végétation et les espèces animales qui y vivent et y sont adaptées. Par exemple : la toundra, la forêt tropicale humide, la savane ou encore le récif corallien. miniatures se connectent dans l’écosystème global de plus d’un hectare. On ne sera jamais passé aussi vite d’une savane à une mangrove après avoir traversé un désert.
Conçue à la fin des années 1980, Biosphère 2 est aux sciences du système Terre ce qu’un accélérateur de particules est à la physique. Elle permet d’explorer de manière fondamentale les réactions environnementales d’un système contrôlé. Imaginez un lieu, entièrement hermétique, scellé au sol par 500 tonnes de plaques en acier inoxydable. La structure perd peu d’air, mais elle dépend de variables extérieures. En fonction de la température, l’air se dilate ou se contracte au risque de faire exploser l’enceinte. C’est pourquoi, la plateforme dispose d’un « poumon » : une structure de seize tonnes capable de monter et de descendre en fonction de la pression à l’intérieur. Cette merveille d’ingénierie offre un terrain de jeu unique aux scientifiques du monde entier. « Depuis 2014, le CNRS, associé à Biosphère 2, bénéficie de ce lieu unique pour mieux comprendre les rétroactions entre changement climatique, cycle du carbone et cycle de l’eau, ainsi que les réponses des habitats à ces modifications », expose Régis Ferrière, directeur du laboratoire iGlobes2 basé à Tucson. Si les problématiques de recherche ont pu évoluer au fil des années, l’objectif principal de Biosphère 2 demeure inchangé : comprendre le fonctionnement de notre planète et notre impact sur la biosphère.
Objectif Lune !
Initialement conçue comme un modèle de colonisation lunaire ou martienne, l’expérience Biosphère 2 a été nommée en hommage à la première biosphère : la Terre. Dans les années 1990, deux expériences en autarcie ont été menées posant la question de notre capacité à vivre en autonomie.
« À l’époque, cette question mettait en avant l'idée que nous avons besoin d’une sorte de patchwork de tous les biomes de la planète pour être autonome. C’était peut-être un peu simpliste mais cela reste une question ouverte », explique Régis Ferrière.
Les expériences préliminaires ne furent pas concluantes. La première tentative fut marquée par une perte drastique d’oxygène à l’intérieur de la plateforme sans que la cause ne soit identifiée. La deuxième fut avortée après seulement quelques mois. Force est de constater alors à quel point l’homme connaît peu le fonctionnement de son environnement.
« Depuis 2007, sous l’impulsion de Joaquin Ruiz, vice-président Innovation de l’université d’Arizona, et de Peter Troch, professeur d’hydrologie, une nouvelle phase a commencé pour l’instrument, en le plaçant au cœur de travaux de recherche qui ne peuvent être conduits ailleurs. Il s’agit d’exploiter ce qui fait le caractère unique de l’appareil pour mieux comprendre les écosystèmes et leur fonctionnement », présente Régis Ferrière.
La réponse des habitats
Tous les habitats subissent actuellement un stress environnemental influençant leurs dynamiques et leur évolution. En conséquence, des dispositifs comme le Métatron, en France, permettant l’étude des réactions de populations animales et végétales au changement climatique, et Biosphère 2, étendu aux réponses d’écosystèmes entiers, jouent un rôle crucial pour comprendre comment l’environnement réagit face au changement du climat. « C’est unique d’avoir en Arizona, à proximité immédiate de quelques-uns des meilleurs laboratoires de sciences environnementales au monde, un petit morceau de forêt tropicale. Depuis leur création il y a environ trente ans, les communautés végétales ont eu le temps de se stabiliser. Aujourd'hui, elles font l’objet d’études inédites dans de telles conditions contrôlées, par exemple sur les composés organiques volatils », précise Régis Ferrière.
Ces espèces organiques gazeuses, actrices importantes de la chimie de l’atmosphère, impactent notamment l’effet de serre et les concentrations en ozone. Étudier leur composition et leur implication sur le fonctionnement des plantes à une telle échelle est difficile à mettre en œuvre en milieu naturel à cause de la multiplication des sources, des conditions météorologiques, etc.
En tirant parti des avantages d’un système clos comme Biosphère 2, qui permet de s’affranchir de nombreuses contraintes, l’équipe du professeur Laura Méredith, spécialiste de génomique des écosystèmes (Université d’Arizona) parvient à observer de tels phénomènes.
Plus loin, un consortium d’équipes internationales, sous la houlette de Diane Thompson, professeur de géosciences (Université d'Arizona), explore les effets complexes des variations du CO2 atmosphérique sur le fonctionnement des écosystèmes océaniques. « On analyse les réponses de la diversité génétique des récifs coralliens aux changements climatiques.
Existe-t-il des variantes génétiques de coraux plus résistantes que d'autres à des changements de température ou de pH de l’eau de mer ? Comment différentes variétés génétiques interagissent-elles et répondent conjointement aux effets du changement climatique ? », détaille Régis Ferrière. À chaque biome, sa problématique.
Évolution des paysages et cycle du carbone
Sous de grandes chapelles de verre, trois collines artificielles de 11 mètres sur 6 truffées de sondes et de capteurs électroniques servent à l’étude des cycles de l’eau et du carbone d’un bassin-versantFermerUnité géographique naturelle recevant les précipitations qui alimentent un cours d'eau. dans son intégralité. Des arroseurs imposent des pluies d’intensité variable à des sols formés à partir de basalte, caractéristiques de zones semi-arides.
« On cherche à comprendre le bilan carbone du sol. D’un côté, l'altération des minéraux est un processus qui séquestre du CO2 dans le sol, de l’autre, la respiration du sol est le mécanisme qui va dans l'autre sens avec un ensemble de processus vivants relarguant du CO2 dans l'atmosphère. On veut savoir comment les deux s'équilibrent sous différentes conditions. L’interaction est compliquée par le fait que l’altération est, elle aussi, influencée par l’activité des micro-organismes du sol », explique Régis Ferrière.
Un dispositif similaire miniaturisé dans l’Écotron, en Île-de-France, simulateur climatique entièrement confiné et contrôlé, complète cette expérience.
« La dégradation de la matière organique par les enzymes de certains micro-organismes constitue un maillon crucial du cycle du carbone. Or, le changement climatique impose une sélection génétique des micro-organismes et donc de leurs propriétés fonctionnelles comme leur capacité à sécréter des enzymes. Avec les deux dispositifs, Biosphère 2 et Écotron, on agit sur le climat et on veut comprendre comment le cycle du carbone s'en trouve modifié », détaille le chercheur. Les données récoltées alimentent à leur tour un réseau de modèles de fonctionnement global des écosystèmes dans le but d’améliorer les projections du climat futur.
Une plateforme tournée vers demain
Siège d’expériences scientifiques uniques au monde, Biosphère 2 jouit également d’une riche histoire. Celle-ci a inspiré Brigitte Juanals, chercheuse du Centre Norbert Elias3, lors de son séjour en tant que chercheur invité par iGlobes au printemps 2018. En effet, elle souhaite analyser comment la communication, faite par cette entité, et sa médiatisation contribuent à définir son identité dans notre société. « Les évolutions de Biosphère 2 sont en relation avec les grandes évolutions de la société relatives aux interactions entre l’homme et son environnement naturel. Je pense que l’on peut aborder les différentes dimensions de Biosphère 2 au travers de la communication médiatique, les médias s’étant rapidement intéressés au projet », explique la chercheuse. De ses premières problématiques liées aux conditions d’existence, à la préservation des espèces, au changement climatique, Biosphère 2 demeure une plateforme tournée vers l’avenir. Comprendre sa place dans la société, comment elle s’articule dans les préoccupations de différentes époques, c’est aussi nous aider à mieux appréhender ce que demain nous réserve. ♦
- 1. Biosphere 2 est rattachée à l’université d’Arizona.
- 2. iGlobes est une unité mixte internationale (UMI) commune au CNRS, à l'Université d’Arizona et à l'École normale supérieure-Université PSL.
- 3. Unité CNRS/École des hautes études en sciences sociales/Avignon Université/Aix-Marseille Université.
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Auteur
Après des études en environnement à l'Université Paul-Sabatier, à Toulouse, puis en journalisme scientifique à l'Université Paris-Diderot, à Paris, Anaïs Culot a été attachée de presse au CNRS et collabore à présent avec différents magazines, dont CNRS Le Journal, I'MTech et Science & Vie.
Commentaires
Recréer un écosystème
Yves Petit le 1 Décembre 2020 à 00h59Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS