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Le blob s’invite chez les Français
Depuis la rentrée scolaire, Audrey Dussutour, biologiste au Centre de recherches sur la cognition animale1, passe presque plus de temps à accompagner les enseignants dans la préparation de l’opération « Elève ton blob », lancée dans 5 000 établissements scolaires, qu’à mener ses propres recherches. « Je passe 4 à 5 heures par jour à répondre aux enseignants sur la page Facebook dédiée à l’opération », raconte la biologiste passionnée qui a décroché il y a peu – on comprend pourquoi ! – la médaille de la médiation du CNRS. Le jeu en vaut la chandelle. En plus de donner un coup de projecteur à la recherche autour de cet être unicellulaire unique en son genre – Thomas Pesquet réalise les mêmes expériences que les élèves dans la station spatiale internationale (ISS) – l’opération est une occasion en or de sensibiliser les plus jeunes à la démarche scientifique. Pas fatiguée pour un sou, la chercheuse prépare d’ailleurs pour le printemps 2022 une nouvelle expérience de science participative inédite autour du blob et du changement climatique, pour laquelle les inscriptions démarrent ces jours-ci (« Derrière le blob, la recherche »).
La vie bien remplie du blob
Ni animal, ni champignon, ni végétal, le blob est l’un des rares organismes composés d’une seule cellule qui soit visible à l’œil nu : il mesure jusqu’à 20 centimètres carrés dans la nature, quand la plupart des unicellulaires (bactéries, microalgues, amibes...) ne dépasse pas les 200 microns. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cet être visqueux sans forme définie, capable de se déplacer à la vitesse moyenne de 1 centimètre par heure, a une vie bien plus remplie qu’on l’imaginait.
« Grâce à sa taille exceptionnelle, les chercheurs ont pu déployer depuis la fin des années 1990 des protocoles de recherche habituellement réservés aux animaux », raconte Audrey Dussutour, spécialiste du comportement animal qui consacre elle-même à 100 % de son temps à Physarum polycephalum, le nom scientifique du blob. Des expériences de labyrinthe, qui mettent en lumière les stratégies déployées par celui-ci pour trouver une source de nourriture placée à la sortie du labyrinthe ; ou encore des expériences d’apprentissage montrant que cet organisme dépourvu de cerveau est non seulement capable d’apprendre et de mémoriser une nouvelle information, mais aussi de la transmettre à un congénère en fusionnant avec lui !
Le blob se reproduit de façon sexuée – il existe 720 types sexuels différents – et peut facilement être cloné : doté de plusieurs noyaux, donc de plusieurs copies de son ADN, cette cellule unique peut en effet être coupée en morceaux et donner naissance à de nouveaux individus. Ces organismes disposent même d’une individualité propre, selon la chercheuse, qui pointe des variétés de comportement entre les différentes souches qu’elle a pu étudier. « Le blob d’origine américaine que l’on a envoyé dans les écoles est extrêmement résistant et triple de taille tous les jours lorsqu’il est correctement nourri, détaille Audrey Dussutour. La souche que j’ai ramenée d’Australie à la fin de mon post-doctorat est plus fragile et supporte moins bien les différences de température... »
Des individus divers, aux goûts variés
Leurs préférences alimentaires aussi varient : si le blob australien se nourrit de flocons d’avoine bio (en laboratoire tout du moins, car son régime dans la nature est à base de bactéries et de champignons), la souche américaine leur préfère en revanche une marque industrielle bien connue... « Ne pas aimer le bio n’est pas totalement surprenant pour un blob, précise la chercheuse. Il y a davantage de microbes (champignons, bactéries) dans les aliments non traités et ceux-ci, s’ils sont sans risques pour les humains, peuvent s’avérer dangereux pour un organisme unicellulaire. »
Dernière particularité, et non des moindres : le blob est biologiquement immortel si les conditions lui sont favorables. Lorsque les conditions ne sont pas réunies – manque de nourriture et absence d’eau – il se dessèche et entre en dormance... jusqu’à ce que son environnement lui soit à nouveau favorable. Ce sont ces « sclérotes » de blob, ainsi qu’on les appelle, qui ont été envoyées aux écoles et que les élèves de l’opération « Elève ton blob » vont devoir réveiller en les arrosant d’un peu d’eau.
Deux protocoles dans les écoles
Composé de deux volets distincts, les expériences que les 5 000 classes doivent mener à partir d’aujourd’hui ont été réalisées dans l’ISS au mois de septembre, afin de déterminer l’influence de l’impesanteur sur Physarum. Elles consistent en deux protocoles distincts : exploration et exploitation. « L’exploration consiste à observer les déplacements du blob dans sa boîte en quête de nourriture, explique Audrey Dussutour. Dans ce protocole, il n’est pas nourri durant toute la durée de l’expérience, soit cinq jours. » Pour l’expérience dans l’ISS, le Centre national d’études spatiales (Cnes) s’est d’ailleurs assuré que le blob était placé dans une boîte complètement hermétique, car il n’est pas rare qu’il en sorte pour partir en quête de nourriture !
« L’expérience d’exploitation consiste quant à elle à observer comment Physarum connecte grâce à son réseau veineux tous les flocons d’avoine disposés autour de lui. » Ces protocoles ne sont pas nouveaux, confie la chercheuse. Ce sont des expériences qui ont déjà été menées par le passé, mais le fait qu’elles soient réalisées 5 000 fois leur donne une autre force de frappe, c’est pourquoi elle espère pouvoir exploiter au moins 10 % des données recueillies.
Une expérience sur le climat inédite
La nouvelle expérience à laquelle Audrey Dussutour convie 10 000 volontaires au printemps 2022 – particuliers, scolaires, mais aussi associations de chômeurs, maisons de retraite ou prisons, espère-t-elle – sera, elle, totalement inédite.
Avec « Derrière le blob, la recherche », il s’agit cette fois pour la biologiste de comprendre quels seront les effets du changement climatique sur cet organisme habitué des sous-bois des pays tempérés. « Les myxomycètes, la grande famille des blobs, sont des organismes essentiels à l’équilibre des écosystèmes forestiers, explique-t-elle. En mangeant bactéries et champignons, ils consomment la matière organique et excrètent des minéraux qui sont ensuite utilisés par les plantes. Mais le blob n’aime pas avoir trop chaud, et la question se pose de savoir comment il réagira à la hausse des températures si les changements sont trop brutaux... »
Les personnes intéressées devront s’inscrire d'ici au 12 novembre et indiquer combien de jours elles pourront participer durant le printemps 2022 (mars à mai), sachant que le minimum est de cinq jours, et que l’expérience demandera environ une heure de manipulation quotidienne, à horaire fixe. « Quatre sclérotes de blob leur seront envoyés, mais ce sont elles qui devront acquérir l’équipement, à savoir : des boîtes de Petri FermerUne boîte de Petri est une boîte cylindrique transparente munie d'un couvercle. Elle est utilisée en laboratoire pour la mise en culture de micro-organismes et de cellules. d’une taille standard de 9 cm de diamètre, une ampoule chauffante et un petit thermomètre, soit une trentaine d’euros au total », précise la chercheuse. Une photo devra être prise chaque jour, qui permettra de déterminer la croissance du blob dans les conditions expérimentales indiquées – l’idée étant de faire varier la température chaque jour plus ou moins rapidement, en approchant ou en éloignant l’ampoule chauffante de la boîte de Petri. La biologiste a imaginé plusieurs dizaines de profils de température différents à tester.
« Plus il y aura de participants, plus nous pourrons multiplier les protocoles, sachant qu’il faut que 50 personnes au moins fassent la même expérience pour avoir des résultats fiables – c’est le fameux impératif de reproductibilité des résultats en recherche », explique Audrey Dussutour, qui ambitionne de faire participer les volontaires à toutes les étapes de l’expérimentation : manipulations, recueil et interprétation des données, écriture de l’article exposant les résultats, jusqu’à sa soumission à une revue scientifique, qui l’acceptera... ou non. « Je pense que les gens seront surpris de découvrir la réalité de notre métier de chercheur », projette la chercheuse. Une chose est sûre, pour Audrey Dussutour : « les participants devront être le plus rigoureux possible, car la communauté scientifique sera très intéressée par les résultats que nous obtiendrons. » ♦
Pour participer au projet de science participative « Derrière le blob, la recherche », s'inscrire ici.
Pour aller plus loin :
Le blob, la cellule qui apprend (vidéo)
Le blob à la conquête de l’espace
Le blob, nouvelle star du zoo de Paris
- 1. Unité CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
Commentaires
Le blob, cet organisme
Louise BACQUET le 19 Octobre 2021 à 12h53Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS