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Les États dans le viseur du droit international

Les États dans le viseur du droit international

17.07.2024, par
Le siège de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas.
Alors que la Cour pénale internationale examine une demande de mandat d’arrêt du Premier ministre israélien et de trois responsables du Hamas pour crimes contre l’humanité, Raphaëlle Nollez-Goldbach, spécialiste du sujet, revient sur l’histoire très récente du droit international.

Quand le droit international est-il né ?
Raphaëlle Nollez-Goldbach1. Le droit international contemporain est né au sortir de la Seconde Guerre mondiale, suite au choc des deux guerres mondiales successives et du génocide perpétré par les nazis. Les États ont alors accepté de coopérer plus fortement pour poser les bases d’un droit international commun. Dès 1945, une nouvelle organisation internationale à visée universelle est créée, l'Organisation des Nations unies (ONU), qui a pour but le maintien de la paix et qui est dotée de moyens de sanction. Un des outils que se donne l’ONU pour régler les conflits entre États, c’est l'établissement de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a le pouvoir de juger les différends entre États. À la même période, naît également l'idée d'établir une Cour pénale internationale (CPI), pour pouvoir juger les individus et notamment les chefs d’État responsables des crimes les plus graves. Mais à cause de la guerre froide, qui va geler le projet, la CPI ne sera installée qu’en 2002.

La salle d'audience du tribunal militaire international de Nuremberg, en septembre 1946, lors du procès des responsables nazis accusés de crimes de guerre. Les sentences furent prononcées le 1er octobre 1946, mais les témoignages apportés engendrèrent d'autres procès jusqu'en 1949.
La salle d'audience du tribunal militaire international de Nuremberg, en septembre 1946, lors du procès des responsables nazis accusés de crimes de guerre. Les sentences furent prononcées le 1er octobre 1946, mais les témoignages apportés engendrèrent d'autres procès jusqu'en 1949.

Avant que la CPI n'entre en fonction, plusieurs tribunaux spéciaux ont été mis en place, les premiers dans l'histoire de la justice pénale internationale étant les Tribunaux militaire internationaux de Nuremberg et de Tokyo, qui ont jugé les dirigeants nazis, en 1945, puis les grands criminels de guerre japonais, en 1946. Puis, au sortir de la guerre froide et alors que de nouveaux crimes de masse étaient commis, deux autres Tribunaux pénaux internationaux ad hoc ont permis de juger les crimes commis en ex-Yougoslavie dans les années 1990, ainsi que le génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsis en 1994.

Pour quels motifs ces deux Cours peuvent-elle poursuivre un État ou un individu ?
R. N.-G. La CIJ règle les différends entre États uniquement, elle ne juge pas les individus. Cela signifie qu'elle est chargée de vérifier l'application et l'interprétation des règles de droit international qui régissent les relations interétatiques. Si un État considère qu'une règle a été violée, qu'un de ses droits n'est pas respecté, il peut saisir la CIJ et demander qu'elle tranche le conflit qui l'oppose à un autre État.

Le président russe Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, sa commissaire aux droits de l’enfant, font l'objet d'un mandat d'arrêt lancé par la CPI en mars 2023, pour le crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Ils sont ici à Moscou, le 31 mai 2024.
Le président russe Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, sa commissaire aux droits de l’enfant, font l'objet d'un mandat d'arrêt lancé par la CPI en mars 2023, pour le crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Ils sont ici à Moscou, le 31 mai 2024.

La CPI, elle, juge des individus suspectés d'être responsable de crimes. Il s'agit d'une cour pénale, qui sanctionne les auteurs des crimes, se prononce sur leur culpabilité et décide d'une peine d'emprisonnement. Elle est compétente pour juger de quatre crimes : d'abord le « génocide », qui désigne un acte qui vise à détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ensuite, le « crime contre l’humanité », qui concerne les actes commis contre une population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique (meurtres, torture, viols, transfert forcé, disparitions...). Puis, le « crime de guerre », qui vise les crimes commis contre des civils ou des combattants qui ne sont plus en état de se battre (blessés ou prisonniers). C’est ainsi que la CPI, en mars 2023 a lancé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et contre Maria Lvova-Belova, sa commissaire aux droits de l’enfant, pour le crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. Enfin un quatrième crime, le « crime d’agression » qui est constitué par l’usage illégal de la force d'un État contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre État.

Quelles sont les limites de cette justice internationale ?
R. N.-G. Elle ne s’applique pas à tous les États. La CIJ n'est compétente que lorsque les parties se soumettent à sa juridiction, soit par une déclaration d'acceptation générale de sa compétence (or seulement 74 pays l'ont faite), soit au cas par cas lorsqu'un différend les oppose.
 

La CPI ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un de ses États membres, ou si l'auteur présumé est le ressortissant de l’un de ces États.

Cette dernière possibilité, par laquelle les États peuvent accepter la compétence de la CIJ pour une affaire précise, lui permet de régler certains différends (limites frontalières, partages de ressources naturelles, etc.). La jurisprudence de la CIJ et les avis juridiques qu'elle peut également rendre ont permis de faire évoluer le droit international.

En ce qui concerne la CPI, dont la compétence n'est pas non plus obligatoire pour les États, 123 États (sur les 193 membres de l’ONU) l'ont cependant acceptée. Même si des pays aussi puissants que les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et Israël ont choisi de rester en dehors. Or, la Cour ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un État membre de la CPI, ou si l'auteur présumé est le ressortissant de l’un de ces États.

Signé le 17 juillet 1998, c'est le Statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale. Une trentaine d'États ont signé ce statut mais ne l'ont pas encore ratifié, dont les États-Unis, la Russie et Israël. Certains États n'ont ni signé ni ratifié le Statut de Rome (la Chine, l'Inde, l'Indonésie, l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie). Plus de dix pays sont concernés par des enquêtes en cours menées par la CPI, dont l'Ukraine, les Territoires palestiniens, le Soudan, le Mali, la République Démocratique du Congo, le Myanmar et l'Afghanistan.
Signé le 17 juillet 1998, c'est le Statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale. Une trentaine d'États ont signé ce statut mais ne l'ont pas encore ratifié, dont les États-Unis, la Russie et Israël. Certains États n'ont ni signé ni ratifié le Statut de Rome (la Chine, l'Inde, l'Indonésie, l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie). Plus de dix pays sont concernés par des enquêtes en cours menées par la CPI, dont l'Ukraine, les Territoires palestiniens, le Soudan, le Mali, la République Démocratique du Congo, le Myanmar et l'Afghanistan.

Malgré cela, des conflits majeurs peuvent se retrouver sous enquête de la CPI. Par exemple, la Palestine ayant choisi de rejoindre la CPI, les Palestiniens ayant commis des crimes en Israël peuvent être poursuivis, ainsi que les Israéliens ayant commis des crimes en territoire palestinien. Il en va de même pour les soldats russes commettant des crimes en Ukraine car si la Russie refuse toute idée d'une juridiction internationale, l'Ukraine a elle accepté la compétence de la CPI. 

La CPI a mis plusieurs années à asseoir sa légitimité ?
R. N.-G. Pendant ses vingt premières années d’existence, la Cour pénale internationale n’a instruit que des affaires concernant des conflits africains, et a été soupçonnée de partialité. De plus, si elle a condamné des chefs de guerre, ministres et chefs d’États lui ont tous échappé, que les dossiers aient abouti à des acquittements faute de preuves suffisantes, ou que les accusés soient en fuite.

Mais depuis quelques années, les choses changent. L'ancienne procureure Fatou Bensouda2 avait entamé des investigations sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Afghanistan par les talibans, les organes sécuritaires du régime et les forces américaines, visant directement la CIA. L’enquête a finalement été autorisée en 2020 par les juges. Avec l’arrivée du nouveau procureur Karim Khan en 2021, on sent une véritable inflexion dans la politique pénale menée par son Bureau. Quelle que soit la puissance des États, leurs dirigeants peuvent désormais être visés par des mandats d'arrêt. C’est ainsi que la CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine en 2023. Et que le procureur a demandé en mai 2024 aux juges d'émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou, et son ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre trois des principaux dirigeants du Hamas.

Le 20 mai 2024, dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas, le procureur général de la CPI Karim Khan demande que la Cour lance des mandats d'arrêt pour "crimes de guerre et crimes contre l'humanité" à l'encontre du Premier ministre israélien et de son ministre de la Défense, ainsi que contre trois dirigeants du Hamas.
Le 20 mai 2024, dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas, le procureur général de la CPI Karim Khan demande que la Cour lance des mandats d'arrêt pour "crimes de guerre et crimes contre l'humanité" à l'encontre du Premier ministre israélien et de son ministre de la Défense, ainsi que contre trois dirigeants du Hamas.

Des procédures engagées concomitamment, pour « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » dans les deux cas, afin de démontrer « que toutes les vies se valent », selon les termes du procureur Khan. Mais les charges invoquées sont différentes pour les deux parties : les responsables israéliens sont soupçonnés « d’extermination, meurtres, persécutions et autres actes inhumains, atteintes à l’intégrité physique et mentale, traitements cruels, attaques intentionnelles contre des civils et volonté d’affamer une population ». Les dirigeants du Hamas sont soupçonnés de « meurtres, viols et autres formes de violences sexuelles, tortures, extermination et prise d'otages ». Il reviendra aux trois juges de la chambre préliminaire de la CPI de déterminer, « dans un délai raisonnable » (quelques mois seulement), si des mandats d’arrêt sont justifiés, en fonction des preuves fournies par l'accusation.

Les « petits » pays n’hésitent plus à saisir la justice internationale ?
R. N.-G.
Effectivement, des pays qui ne comptent pas parmi les plus puissants sur le plan international sont en train de s’emparer de ce nouveau droit. Par exemple, en mars 2024, le Nicaragua a saisi la CIJ contre l'Allemagne, qu'il estimait apporter une aide à la possible commission d'un génocide en Palestine à travers ses livraisons de matériel militaire à Israël. Sur un tout autre thème, celui des conséquences du réchauffement climatique pour les petits États insulaires dont le territoire est menacé par la montée des eaux, plusieurs États du Pacifique et des Caraïbes se sont coalisés, à l’initiative du Vanuatu, pour porter une demande d'avis devant la CIJ sur ce sujet. Ces initiatives étaient auparavant quasiment inexistantes au plan international.

Tania von Uslar-Gleichen, diplomate allemande, fait une déclaration aux médias à La Haye, aux Pays-Bas, le 30 avril 2024, après que la Cour internationale de justice (CIJ) a rejeté la demande du Nicaragua d'empêcher l'Allemagne de vendre des armes à Israël.
Tania von Uslar-Gleichen, diplomate allemande, fait une déclaration aux médias à La Haye, aux Pays-Bas, le 30 avril 2024, après que la Cour internationale de justice (CIJ) a rejeté la demande du Nicaragua d'empêcher l'Allemagne de vendre des armes à Israël.

Mais la CPI ne dispose pas d’un pouvoir de police ?
R. N.-G. La plus grande difficulté pour la Cour, c’est effectivement d’accéder aux suspects. Seuls les États ayant ratifié le Statut de la CPI ont l’obligation d’arrêter toute personne poursuivie par la Cour et qui se trouverait sur leur territoire. Beaucoup de mandats d’arrêts ne sont donc pas exécutés. Par exemple, l'ancien président soudanais Omar Al Bashir, qui a été la première personne poursuivie par la Cour pour génocide (lors de la guerre du Darfour entre 2003 et 2008) n'a jamais été arrêté lorsqu'il était au pouvoir. Il a depuis été renversé lors d'un coup d'État mais est détenu au Soudan par le nouveau pouvoir qui refuse de le transférer à la CPI. Or la Cour ne juge que les personnes présentes dans la salle d'audience, jamais « in abstentia » (seule la procédure préliminaire peut se dérouler en l'absence de l'accusé mais pas le procès lui-même).

Comment vos recherches évaluent-elles l’impact de ces décisions de justice sur les conflits internationaux ?
R. N.-
G. J’observe ce qui dans la diplomatie internationale, les discours, les actes des responsables étatiques, est affecté par ce nouveau droit international, par les procédures judiciaires internationales. Je me demande quels effets elles produisent sur les conflits en cours, les crimes qui sont commis et les potentielles négociations de paix.

Des membres de la délégation israélienne sont entendus à la Cour internationale de justice de La Haye, aux Pays-Bas, le 24 mai 2024, après que l'Afrique du Sud a accusé Israël de génocide.
Des membres de la délégation israélienne sont entendus à la Cour internationale de justice de La Haye, aux Pays-Bas, le 24 mai 2024, après que l'Afrique du Sud a accusé Israël de génocide.

Ce qui est certain, c’est que si les chefs d’États au pouvoir qui se trouvent sous le coup d’un mandat d’arrêt peuvent échapper à la justice internationale, il leur est désormais impossible de se réfugier en exil ou d'obtenir des mesures d'amnistie. Surtout, les procédures judiciaires ont un impact sociétal et politique important. Elles permettent de dire le droit et de légitimer une vérité judiciaire (et donc de délégitimer les narratifs de certains dirigeants). Toutes les affaires traitées par la CIJ et la CPI sont par ailleurs publiques, il est possible d'y assister sur place ou de les suivre en ligne, les audiences faisant de plus l’objet de procès-verbaux mis en ligne sur leurs sites internet.

Les procédures judiciaires ont un impact sociétal et politique important. Elles permettent de dire le droit et de légitimer une vérité judiciaire.

Donc des propos comme ceux du ministre israélien de la Défense Yoav Galant, qui avait dit à propos des Palestiniens : « Nous imposons un siège total contre la ville de Gaza. Il n'y a pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant (…). Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence », ne peuvent plus être tenus. Et si demain une des deux Cours venait à dire que les dirigeants d'un État commettaient un génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, l’impact politique et moral serait considérable, même si l'effet juridique resterait peut-être faible, en l'absence d'arrestation. 

Même quand la demande est rejetée, l’effet est important. Par exemple, dans l’affaire du Nicaragua contre l’Allemagne, les juges de la CPI ont conclu que « les circonstances » ne leur permettaient pas de prononcer les mesures d’urgence demandées, mais ils vont continuer leur évaluation du fond de l'affaire. On observe également que l’Allemagne va reprendre ses versements à l’Agence des nations unies pour les palestiniens (UNRWA), paiements qu’elle avait stoppés et qui étaient une des allégations portées à son encontre par le Nicaragua. ♦

À lire  
La Cour pénale internationale, Raphaëlle Nollez-Goldbach, PUF, coll. "Que-sais-je ?", 2024.
Quel homme pour les droits ?,  Raphaëlle Nollez-Goldbach, CNRS Editions, 2015.

Notes
  • 1. Directrice de recherche au CNRS, au Centre de théorie et d’analyse du droit (CNRS/Université Paris Nanterre), Raphaëlle Nollez-Goldbach enseigne le droit international public, le droit pénal international et les négociations internationales à l’ENS-PSL. Elle est lauréate de la médaille de bronze du CNRS 2019.
  • 2. Le procureur et les procureurs-adjoints sont nommés par l’ « Assemblée des États parties » de la Cour, pour un mandat de neuf ans non renouvelable, au même titre que les juges de la Cour. La Gambienne Fatou Bensouda avait été nommée par consensus en 2011. Suite à des mois de discussions, le Britannique Karim Khan a été élu en 2021 après un vote à bulletin secret.
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