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« Osons penser la GPA »
En quoi consiste exactement la gestation pour autrui ou GPA ?
Daniel Borrillo1. La GPA est une technique de procréation par laquelle une femme appelée « mère porteuse » ou « femme porteuse » porte l’enfant pour une personne célibataire, un couple hétérosexuel ou un couple de même sexe, que ce soit à titre gratuit ou contre une somme d’argent. La GPA proprement dite est celle dans laquelle l’ovocyte provient soit de la mère d’intention (le terme d’usage pour désigner la mère qui a désiré l’enfant et l’élève), soit d’une donneuse. La femme qui porte l’enfant ne participe donc pas à la conception de celui-ci, elle n’a aucun lien génétique avec lui. Il existe cependant des cas de figure où l’ovule provient de la femme porteuse, on doit alors plutôt parler de « procréation pour le compte d’autrui ».
Dans ce cas-là, la pratique est particulièrement ancienne, n’est-ce pas ?
D. B. En effet, elle est déjà attestée dans l’Ancien Testament. Au chapitre 16 de la Genèse, une esclave égyptienne, Agar, fait un enfant au vieil Abraham afin de pallier l’infertilité de sa femme Sarah. Dans la Rome antique, un citoyen dont l’épouse était féconde pouvait la « prêter » à un autre dont la femme était stérile. L’enfant qui naissait de cette union charnelle temporaire était réputé être celui du deuxième homme. Les anthropologues ont également démontré que certaines formes de GPA étaient chose courante dans les sociétés traditionnelles océaniennes ou dans certaines sociétés africaines comme les Bochimans du désert de Kalahari ou encore le peuple Mossi en Afrique de l’Ouest2.
Qui, aujourd’hui, en France, est hostile à la GPA ?
D. B. Tous les partis politiques, de la France insoumise au Rassemblement national, en passant par la gauche socialiste et la droite républicaine, se sont prononcés expressément contre, mis à part quelques élus Europe Écologie-Les Verts ou de La République En Marche. La GPA suscite également l’indignation ou l’hostilité de nombreux intellectuels, de la plupart des associations féministes, du milieu psychanalytique en général, de l’Église catholique, de la Fédération protestante3, de représentants de l’islam4 et du judaïsme5... En 2010, pourtant, le Comité d’éthique avait envisagé sa légalisation comme réponse de la société à une « injustice » de la nature : l’infertilité d’origine utérine (avis n° 110). Aujourd’hui, on ne peut même pas discuter de cette forme de GPA. C’est dire le recul du débat en France.
Quels sont les principaux reproches adressés à la GPA ?
D. B. Pour ses opposants, la GPA constitue une atteinte grave à la dignité humaine même quand elle est gratuite. Ils l’assimilent à une réification (transformation en chose) du corps des femmes et à la vente et à l’achat d’enfants. Certains parlent de « trafic des ventres », de « traite d’êtres humains », de « proxénétisme procréatif », de « tourisme procréatif », d’« industrie de l’enfantement sur commande », de « premier pas vers le transhumanisme »… D’autres vont jusqu’à comparer la GPA aux pratiques eugénistes des nazis. L’origine de cette réprobation quasi unanime propre à la France est d’abord à chercher, me semble-t-il, dans l’inconscient collectif de nos élites forgé par une vision dogmatique du catholicisme et du marxisme, deux forces idéologiques qui nourrissent la même obsession contre l’individualisme, assimilé à l’égoïsme, et la même haine de l’argent. La GPA synthétiserait tous les « maux » de la modernité : libre disposition de son corps, égalité des couples hétérosexuels et homosexuels, contractualisation des liens de filiation (prédominance de la volonté, et non de la biologie, dans le lien de filiation), désacralisation de la maternité, rémunération pour un service procréatif...
Les Français, dans leur ensemble, partagent-ils ce rejet ?
D. B. Non. Alors que les conventions de GPA sont prohibées par l’article 16-7 du Code civil, et que même l’inscription à l’état civil français d’enfants nés de GPA à l’étranger est exclue de la loi de bioéthique qui devrait être votée après bien des atermoiements à l’Assemblée nationale fin juillet, cette pratique est plébiscitée par l’opinion publique. Un sondage d’octobre 2019 rapporte ainsi que 68 % de nos compatriotes s’y disent favorables pour les couples hétérosexuels et 53 % pour les couples homosexuels6.
D’où la nécessité, selon vous, de débattre du sujet sereinement…
D. B. Notre objectif, à travers le colloque qui a précédé la publication de notre livre et rassemblé des juristes, des sociologues, des philosophes, est avant tout d’obéir à l’injonction de Kant : Sapere aude (Ose penser). Nous ne sommes pas tous d’accord sur la nécessité d’autoriser la GPA en France, mais nous estimons tous que cette question épineuse mérite discussion. Il est urgent d’y réfléchir de façon apaisée, en dehors des anathèmes et des arguments d’autorité. Et ce d’autant que des études7 montrent que les familles dont les enfants sont nés grâce à cette forme de procréation présentent le même niveau de bien-être que les autres. Et que les femmes gestatrices n’éprouvent pas de problème psychologique particulier après une GPA et ne se considèrent pas elles-mêmes comme mères de l’enfant8.
Le livre Modern Families9, de la psychologue britannique Susan Golombok, directrice du Centre for Families Research de l’université de Cambridge, compile les milliers d’études consacrées aux nouvelles formes de parentalité depuis presque quarante ans. Il conclut que, du point de vue de l’enfant, ce qui compte pour bien grandir, c’est la qualité des interactions avec les membres de sa famille, bien plus que la composition même de cette famille et la manière dont l’enfant a été conçu.
Autant de raisons qui devraient nous inciter à soumettre la GPA à la délibération populaire et examiner, notamment, comment elle est régulée hors de nos frontières, en particulier dans les pays démocratiques.
À quoi ressemble le paysage international en la matière ?
D. B. Il est extrêmement varié. Il y a presque autant de systèmes juridiques ad hoc que de pays. On peut malgré tout identifier trois grandes catégories. Les pays prohibitionnistes, les plus nombreux (France, Allemagne, Espagne, Italie, Suisse, Pologne, Chine…), interdisent la GPA en toutes circonstances. D’autres, comme le Danemark ou les Pays-Bas, la tolèrent à condition qu'elle ne donne pas lieu à une rétribution financière. Au Brésil ou en Argentine, aucune loi n'a trait aux mères porteuses mais les enfants nés par GPA sont reconnus automatiquement par l'état civil. Le Royaume-Uni, l’Ukraine, la Grèce, le Portugal, la Roumanie, le Canada, l’Inde, la Thaïlande, Israël, la Russie…, ont quant à eux légalisé la GPA, qu’elle soit réservée aux seuls nationaux ou accessible aux étrangers, ouverte aux couples homosexuels ou uniquement aux couples hétérosexuels stériles, qu’elle soit onéreuse ou qu’il s’agisse d’une GPA dite altruisteFermerGestation pour autrui reposant sur la seule générosité, sans compensation financière pour la femme qui porte l’enfant. Selon ses partisans, elle permettrait d’éviter les dérives de marchandisation du corps, d’exploitation des plus vulnérables par les plus riches, d’instrumentalisation des femmes par les hommes, etc. (on parle aussi de « GPA éthique »). Aux États-Unis, une dizaine d’États (Californie, Floride, Utah, New Hampshire, Washington, etc.) l’autorisent.
Vous faites partie des juristes plutôt favorables à la GPA. Est-ce notamment du fait d’un parallèle que vous établissez entre l’IVG et la GPA ?
D. B. Cela fait en effet partie de mon argumentaire. En France, une femme a la faculté d’avorter, tout comme celle d’abandonner un enfant en accouchant sous X ou de faire un don d’embryons surnuméraires à un autre couple ou à la science. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de mener à terme une grossesse pour quelqu’un d’autre, pourvu que son consentement libre et éclairé soit garanti ? Il serait donc logique, selon moi, d’inscrire la GPA dans le répertoire des libertés fondamentales, de l’envisager comme une manifestation de la liberté de procréer ou de ne pas procréer.
Par ailleurs, comme pour l’IVG, légaliser la GPA permettrait au législateur d’encadrer la pratique, ce qui limiterait les GPA clandestines et hors-la-loi, donc le risque d’exploitation du faible par le fort, du pauvre par le riche. C’est sans doute pour cela que l’Inde a déjà interdit la GPA pour les étrangers et s’apprête à interdire la GPA commerciale (c’est-à-dire avec rémunération pour la femme qui porte l’enfant).
Il faut distinguer clairement la pratique et l’abus d’une pratique. Ce n’est pas parce qu’il y a des abus dans l’industrie textile à l’étranger qu’il faut interdire cette activité en France. Lorsqu’on a aboli l’esclavage, les plantations ont continué de fonctionner, mais d’une autre façon, avec des personnes qui travaillaient de plein gré et dans le respect de certaines conditions. Selon moi, le seul moyen d’éviter l’exploitation est de mettre fin à l’interdiction qui sécrète des pratiques clandestines.
En France, à votre avis, faudrait-il concevoir la GPA comme un service rémunéré ou gratuit ?
D. B. Chaque dispositif a des avantages et des inconvénients. La gratuité empêche la marchandisation mais crée une pénurie de femmes porteuses, alors qu’admettre la rémunération permet de satisfaire un plus grand nombre de couples mais favorise les plus aisés aux dépens des plus modestes. Rien, en tout cas, n’empêche d’imaginer un service public de la GPA comme il existe une Agence de l’adoption, et de s’inspirer de ce qui se passe à l’étranger. En Californie, par exemple, non seulement l’ovocyte doit provenir d’une autre femme que la femme porteuse, mais cette dernière doit être déjà mère et ne doit pas faire de la GPA son activité principale, économiquement parlant. Au Royaume-Uni, les femmes porteuses ne sont pas autorisées à être rémunérées et il est interdit de faire de la publicité pour proposer des femmes porteuses ou pour en recruter. Voilà quelques pistes de réflexion qu'il conviendrait de creuser, loin des peurs et des caricatures que les mères porteuses peuvent susciter. ♦
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Quand la GPA est-elle devenue hors-la-loi ?
Aussi bizarre que cela paraisse, tant la GPA fait aujourd’hui figure d’épouvantail dans la classe politique, cette pratique était tolérée en France jusqu’à la fin des années 1980. « La GPA s’inscrivait à l’époque dans l’évolution du droit de la famille initiée depuis la fin des années 1960 (suppression de la notion de chef de famille, IVG, dépénalisation de l’adultère, divorce par consentement mutuel…), et elle a permis à environ quatre-vingts couples stériles d’avoir recours à une mère de substitution pour réaliser leur projet parental, rappelle le juriste Thomas Perroud, du Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques10 et codirecteur du livre collectif Penser la GPA. La personne qui organisait le système de GPA en France était le Dr Sacha Geller. Ce médecin avait fondé un réseau d’associations qui rassemblait des couples commanditaires et des mères porteuses, toutes françaises, recrutées par petites annonces et dédommagées à hauteur de 50 000 francs (13 000 euros). Le père biologique effectuait la reconnaissance de la paternité et la mère d’intention recourait au système de l’adoption, ce qui n’a pas posé de problème dans les dossiers que j’ai pu consulter. »
Tout change en 1987, quand le gouvernement Chirac saisit la justice pour faire interdire ces associations. Dès lors, « la GPA va faire l’objet d’attaques savamment orchestrées par les plus hautes juridictions et des professeurs de droit conservateurs, détaille Thomas Perroud. En 1991, la Cour de cassation a estimé que la maternité pour autrui contrevenait au "principe d'indisponibilité du corps humain" qui interdit de conclure une vente portant sur un élément du corps. Trois ans plus tard, les lois de bioéthique ont prohibé la pratique », ce qui a conduit nombre de couples stériles à se tourner vers l’étranger. Mais à leur retour en France, impossible, pour les enfants nés par GPA, d’être inscrits à l’état civil, une situation synonyme d’énormes problèmes puisque ces enfants se trouvaient sans la nationalité française, donc dans l’impossibilité d’une inscription à la Sécurité sociale, à la Caisse d’allocations familiales et à l’école. « Les tribunaux s’opposaient à la transcription en droit français de l’acte de naissance étranger qui mentionnait la mère d’intention comme mère de l’enfant, dit Thomas Perroud. À la mi-décembre 2019, après vingt ans de combat d’un couple français qui avait fait appel à une mère porteuse aux États-Unis, pas moins d’une vingtaine de décisions de justice et cinq condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation s’est finalement inclinée et a ordonné cette retranscription. Les deux membres d’un couple peuvent désormais être reconnus parents d’un enfant né de GPA à l’étranger. Soit exactement ce que la société civile et le Dr Geller proposaient trente-cinq ans plus tôt… » ♦
À lire sur notre site
Bioéthique : faut-il repenser la filiation ?
À lire
Penser la GPA, Daniel Borrillo et Thomas Perroud (dir.), L’Harmattan, 2021.
« La gestation pour autrui et le gouvernement juridique des corps », Daniel Borrillo et Thomas Perroud, AOC, 10 mai 2021.
- 1. Daniel Borrillo est juriste, membre du Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa, unité CNRS/Université Panthéon-Assas).
- 2. Voir La circulation des enfants en société traditionnelle. Prêt, don, échange, de Suzanne Lallemand, L’Harmattan, 1993.
- 3. La commission éthique et société de la Fédération protestante de France s’est en effet prononcée contre la GPA : https://www.paris.catholique.fr/interpellations-protestantes-sur-l.html et https://www.protestants.org/page/727265-ethique
- 4. Selon le recteur de la mosquée de Paris, le Coran interdit la GPA car elle y est considérée comme liée à un péché d’adultère : http://www.mosqueedeparis.net/wp-content/uploads/2014/07/PROCREATION-REL... ; https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Fecondation-vitro-PMA-GPA-dit-li... ; https://journals.openedition.org/droitcultures/1923?lang=en
- 5. Selon le grand-rabbin de France, la loi juive interdit la GPA car elle lui reproche une marchandisation du corps https://www.consistoire.org/pdf/Actuj_1539_GRF.pdf
- 6. Enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1 001 Français interrogés sur Internet les 16 et 17 octobre 2019. https://www.ifop.com/publication/les-francais-la-pma-et-la-gpa/
- 7. « Psychological well-being of identity-release egg donation parents with infants », S. Imrie, V. Jadva, S. Golombok, Human Reproduction, nov. 2019 ; « Straight out of the womb: the psychosocial implications of uterine transplant », S. Gameiro, Fertility and Sterility, juillet 2020.
- 8. « Ce que fabrique la gestation pour autrui », Jérôme Courduriès, Journal des anthropologues, 2016/1-2 (n° 144-145) p. 53/76.
- 9. Cambridge University Press, 2015.
- 10. Unité CNRS/Université Panthéon-Assas.
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Auteur
Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).
Commentaires
Le 8 mars est la Journée
Colette le 7 Juillet 2021 à 12h24Bien d'accord avec vous
Catherine A le 10 Juillet 2021 à 16h05En fait de 'militants
LeCommentateur le 7 Juillet 2021 à 17h30Comparer l'IVG à la GPA
Catherine A le 10 Juillet 2021 à 15h53Connectez-vous, rejoignez la communauté
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