Vous êtes ici
Les merveilles des îles Salomon
Pourquoi mettre le projecteur sur les îles Salomon, cet archipel de Mélanésie ?
Sandra Revolon1 : Cette ancienne colonie anglaise, investie par l’Empire britannique à partir de 1890 officiellement pour la protéger du blackbirding – la traite des Noirs organisée à destination des plantations des îles Fidji et de l’État australien du Queensland –, et indépendante depuis 1978, est peu connue du public français. Elle n’a d’ailleurs jamais fait l’objet d’une exposition dans l’Hexagone. Elle se distingue pourtant par une production artistique très différente de ce que l’on trouve dans le reste du Pacifique. Aux îles Salomon, les objets produits sont d’une grande sobriété comparés à l’esthétique spectaculaire et très colorée du Vanuatu ou de Papouasie Nouvelle-Guinée. Il s’agit notamment de sculptures noires et blanches, faites de bois laqué et d’incrustations de nacre. Il s'en dégage une certaine profondeur et une grande intériorité.
Quels sont ces objets et à quoi servent-ils ?
S. R. : Les 200 objets exposés datent pour la plupart de la fin XIXe-début XXe. Ce sont surtout des objets rituels ou des monnaies utilisées dans le cadre d’échanges entre clans ou familles. C’est la raison pour laquelle leur esthétique a été particulièrement soignée. Les objets rituels sont utilisés dans des contextes où les hommes ont besoin d’obtenir la collaboration des puissances surnaturelles : lors de cérémonies religieuses, comme ces bols funéraires qui peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre, mais aussi pour partir à la guerre – c’est le cas de la très belle collection de figures de proue présentée dans l’exposition. Les Salomon forment un archipel de 2 000 kilomètres de long et de 900 îles, dont un tiers est habité, et les communautés ont entretenu des relations tour à tour amicales et violentes par le passé. Ces figures fixées à l’avant des pirogues servent de reposoir aux entités protectrices afin de garantir la sécurité de la navigation et d’assurer la victoire contre l’ennemi. Leurs yeux grands ouverts protégent l’équipage contre les êtres malveillants qui peuplent les mers et sont réputés profiter du moment où les hommes clignent des yeux pour commettre leurs forfaits. Leur brillance et leur éclat visibles de loin avertissent l’ennemi de la présence de ces puissances surnaturelles aux côtés des assaillants.
parures sont
convertibles
dans la monnaie
locale, le dollar
salomonais.
Les monnaies de coquillage présentées par l’exposition sont incroyables. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S. R. : Ce sont à la fois des parures que les îliens portent pour signaler leur prestige lors de cérémonies publiques et des monnaies utilisées lors d’échanges entre groupes sociaux, comme les mariages. Dans ce cas, les monnaies de coquillage constituent une sorte de dote inversée remise à la famille de la future mariée pour compenser son départ. Ces monnaies-parures faites de perles de coquillages rouges, blanches et noires sont enfilées en brasse qui peuvent atteindre jusqu’à cinq mètres de long. Elles sont convertibles dans la monnaie locale, le dollar salomonais, mais ne sont généralement pas utilisées pour des transactions économiques classiques.
Tous ces objets, monnaies, figures de proue…, sont-ils encore utilisés de nos jours ?
S. R. : Pour certains, oui. C’est le cas des monnaies de coquillage que nous venons d'évoquer. Réservées au même usage, les monnaies de plume du sud de l’archipel sont en revanche en voie de disparition, car presque plus personne ne sait les fabriquer aujourd’hui. Les bols funéraires continuent eux d’être utilisés dans l’est des Salomon lors de rituels organisés en l’honneur des défunts, une dizaine d’années après leur mort. Ils sont remplis de nourriture et placés dans une grande maison collective bâtie pour l’occasion. Ainsi, les morts peuvent voir l’argent dépensé pour eux par les vivants et se montrer plus bienveillants à leur égard. Les figures de proue, elles, sont toujours fabriquées, mais seulement à l’intention des collectionneurs et des touristes qui les apprécient beaucoup. Leur regard est d’ailleurs moins pénétrant, car il n’est plus besoin d’effrayer qui que ce soit ! Les Salomonais sont des gens pragmatiques. Les sociétés du Pacifique en général ont une grande plasticité qui leur permet de s’adapter à des cultures et à des pratiques nouvelles.
À quoi ressemble la société des Salomon aujourd’hui ?
S. R. : C’est une démocratie parlementaire, héritée de la présence anglaise. Les Salomon font d’ailleurs partie du Commonwealth et reconnaissent la reine d’Angleterre. Parler d’une seule société serait néanmoins simplificateur. Quoi de comparable entre le mode de vie des habitants de la capitale, Honiara, et des chefs-lieux des neuf provinces et celui de la grande majorité de la population qui vit en milieu rural ? Les premiers mènent une vie urbaine et possèdent des voitures, quand les seconds habitent des maisons de bois et de feuilles, dans des villages souvent sans route ni électricité, et n’ont pas ou peu accès à l’économie marchande… De même, si les Salomon sont aujourd’hui chrétiennes, il existe de grandes différences entre les îles ayant été christianisées par les évangélistes qui ont fait table rase des traditions, et celles où les pasteurs anglicans ont toléré la coexistence avec les pratiques ancestrales. On ne parle pas ici de syncrétisme mais bien de dogmes séparés : en fonction des besoins ou des situations, les îliens vont se tourner soit vers le pasteur, soit vers le prêtre traditionnel, voire vers les deux en cas de situation grave ! Le vrai point commun à l’ensemble de l’archipel est ailleurs : les 500 000 Salomonais sont tous polyglottes, les Salomon étant le pays au monde où la concentration des langues est la plus importante, puisqu’on en compte plus de 80 ! Ils parlent la langue de leur père, celle de leur mère, le pidgin (le créole dérivé de l’anglais, NDLR) et l’anglais qu’ils apprennent à l’école, un plurilinguisme dont nous gagnerions à nous inspirer.
- 1. Anthropologue au Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CNRS/Aix-Marseille Univ./EHESS).
Mots-clés
Partager cet article
Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS