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« Terre à l’horizon ! », a dû s’écrier Christophe Colomb alors qu’il découvre au XVe siècle les îles de la Désirade, Marie-Galante, la Dominique, la Guadeloupe et bien d’autres durant son voyage vers les Amériques. Qui n’a jamais rêvé, à l’instar de ce grand navigateur, de fouler le sable chaud d’une île encore inconnue ? Malheureusement, au risque de décevoir l’aventurier qui sommeille en chacun de nous, la plupart des îles ont déjà été cartographiées par les grands explorateurs tels Christophe Colomb ou repérées grâce aux satellites en service depuis quarante ans…
Quelque 460 000 îles sont aujourd’hui recensées par la base de données mondiale des îles1. Développée depuis 2010 sous l’égide du Centre mondial de surveillance pour la conservation du programme des Nations unies pour l’environnement (Unep-WCMC), en collaboration avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD), son objectif est de référencer ces milieux particuliers afin de les protéger.
devrait y avoir
environ 2 millions
d’îles de plus
de 1 000 m²
dans le monde.
Mais il faut prendre ce chiffre avec précaution : les calculs de l’Unep-WCMC sont en effet fondés sur un jeu de données dérivé d’images satellites qui n’ont pas été spécifiquement capturées pour repérer les terres émergées… « Parfois, des plateformes pétrolières, de grands navires ou même des zones de mer a coloration trompeuse sont comptabilisés comme des îles par l’algorithme de calcul », explique Corinne Martin, qui travaille à l’amélioration de cette base de données, une tâche titanesque de son aveu même.
Si certaines îles n’en sont pas, d’autres échappent à cette comptabilité. « Toutes ou presque toutes les îles de plus de 60 000 m2 apparaissent dans cette base de données, soit environ 116 000 îles », affirme Christian Depraetere, chargé de recherche à l’IRD et partie prenante du programme. Par contre, l’inventaire est probablement incomplet en ce qui concerne les îles plus petites, plus difficiles à repérer. « Si l’on envisage que l’ensemble des îles suit une loi de distribution de taille de type fractal (plus elles sont petites, plus elles sont nombreuses), comme c’est le cas pour celles de plus de 60 000 m2, on estime qu’il devrait y avoir environ 2 millions d’îles de plus de 1 000 m² dans le monde », explique le chercheur. De quoi, finalement, découvrir de nombreuses îles inconnues. Mais comment les trouver ?
La lente mise à jour des cartes marines
Mettre à jour les cartes marines et y placer toutes les îles et îlots est l’une des missions des services hydrographiques de chaque pays et de l’Organisation hydrographique internationale (OHI), qui coordonne l’ensemble de la production de cartes marines, y compris celles des eaux internationales. Aujourd’hui, en plus des relevés hydrographiques dont certains sont vieux de plus de trois siècles, les cartes utilisent des données provenant d’observations par satellite, donc, mais aussi des avions ou des bateaux qui signaleraient des terres non portées sur les cartes. « Mais les zones les plus éloignées des côtes ou des routes de navigation traditionnelles ne sont pas forcément mises à jour », explique Yves Guillam, adjoint aux directeurs de l’OHI.
Pour mettre à jour ses cartes, le Shom, le service hydrographique français, collecte ainsi les observations transmises par les capitaines de bateau. En application d’une instruction ministérielle de 2002, un capitaine de navire se doit en effet de prévenir les autorités compétentes de toute anomalie cartographique. Mais peu de bateaux s’échappent des routes commerciales déjà connues. Le milieu du Pacifique est, par exemple, très peu fréquenté.
éloignées des côtes
ou des routes de
navigation
traditionnelles ne
sont pas forcément
mises à jour.
« Si l’on connaît très bien l’hydrographie des routes commerciales, la cartographie dans des zones peu fréquentées comme les atolls polynésiens par exemple, est incomplète », signale Serge Lannuzel, chef du département cartographie au Shom. En revanche, « il y a des plaisanciers partout maintenant, plus qu’à l’époque des grands explorateurs », estime Serge Lannuzel. Mais compter sur eux pour signaler de nouvelles îles est incertain : ces derniers, contrairement aux capitaines, n’ont aucune obligation de reporter ces anomalies et puis… Qui voudrait partager une telle découverte ?
Résultat : quand le Shom porte une nouvelle île sur ces cartes, c’est généralement parce que celle-ci vient d’émerger et a été signalée par des locaux ou par la communauté scientifique. C’est ce qui s’est passé lorsqu’en 2009 un banc de sable a surgi des flots à la suite de la tempête Klaus à l’entrée de l’estuaire de la Gironde, près du phare de Cordouan. L’îlot de 40 000 m2 a été reporté sur les cartes marines françaises, mais n’a pas de nom officiel.
Combien de nouvelles îles sont-elles repérées chaque année ? Difficile de le dire. À ce jour, il n’existe pas de décompte officiel. En revanche, les chercheurs sont plus loquaces sur les raisons de leur apparition à la surface terrestre. Parmi elles : la montée des eaux ou l’effondrement du sol, à la suite d’un tremblement de terre par exemple, qui isolent des morceaux de terre (déjà) émergées, ou le réchauffement climatique, qui met à jour de nouvelles îles dans des zones désormais libres de glace, en Arctique et en Antarctique. Mais la formation des îles est la plupart du temps d’origine volcanique2. Fin décembre 2011, la Nasa a ainsi averti de l’éruption d’un volcan sous-marin en mer Rouge et de la naissance d’une nouvelle île. Le Shom a alors détourné l’un de ses navires hydrographiques pour étudier la formation.
Des millions d’années pour sortir la tête de l’eau
« Il existe principalement deux types d’îles volcaniques : les points chauds et les arcs, explique le volcanologue Benoît Villemant, chercheur dans l’équipe Pétrologie-Géochimie-Volcanologie de l’Institut des sciences de la Terre de Paris3. Les points chauds sont les plus impressionnants. En un point donné, du magma traverse en continu la croûte océanique, formant un volcan de plus en plus grand jusqu’à ce qu’il émerge de l’océan. C’est ce qui s’est passé pour Hawaï, Sainte-Hélène ou la Réunion. Un phénomène qui s’inscrit dans le temps long… Ainsi, il a fallu deux millions d’années à la Réunion pour devenir une île définitive ! Les volcans sont en effet très instables et se détruisent régulièrement. « Le volcan actif du Piton de la Fournaise, à la Réunion, est installé à l’intérieur d’une énorme calderaFermerEffondrement latéral de tout un côté du volcan., qui correspond à une série d’effondrements successifs du flanc est du volcan », explique le volcanologue.
La plus jeune île connue, émergée en janvier dernier dans l’archipel des Tonga, dans l’océan Pacifique, appartient, elle, à un arc volcanique. « Ces arcs se forment dans les zones de subduction : là où la croûte océanique s’enfonce dans le manteau sous une autre plaque. Du magma s’échappe du manteau et forme, en aplomb de cette zone, un arc de volcans qui percent régulièrement les flots », indique Benoît Villemant. Comme pour les îles de point chaud, il faut des millions d’années pour obtenir une île pérenne. C’est pour cette raison que Tupou VI, le roi des îles Tonga, a décidé de ne pas donner de nom à son nouveau territoire. L’îlot est d’ores et déjà passé d’une taille d’1,5 km sur 1,8 km à 1,3 km sur 0,8 km du fait de l’érosion côtière due aux vagues et aux courants.
Des laboratoires à ciel ouvert
Éphémères ou pas, les nouvelles îles n’attendent pas longtemps avant d’accueillir leurs premiers habitants. « À peine l’éruption volcanique s’arrête que la colonisation de l’île par la vie commence », indique Serge Planes, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement4. Impossible donc de poser le pied sur une île vraiment déserte. Et c’est bien ce qui intéresse les biologistes, pour qui ces îles sont d’indispensables laboratoires du vivant. « Grâce à l’isolement que procure l’océan, il est possible d’y étudier plus facilement l’évolution des espèces que sur le continent », explique le scientifique. Sur l’île de Surtsey, née à la suite d’éruptions entre 1963 et 1967 au large des côtes islandaises, ce sont pas moins de 89 espèces d’oiseaux, 335 espèces d’invertébrés et 60 espèces de plantes, mais aussi des phoques qui se sont installés.
Il n’est pas possible de prévoir où et quand surgira la prochaine île… Mais certaines candidates ont un beau potentiel. Le MacDonald, un volcan actif en Polynésie situé actuellement entre 40 et 50 mètres de profondeur, pourrait émerger incessamment. Il ne reste plus qu’à être patient.
- 1. GID Global Island Database.
- 2. Dans certains cas, le volcan s’éteint à quelques mètres sous la surface. Du corail peut alors s’y développer et sortir de l’eau après cinq à dix millions d’années. Cela forme alors des îles basses, les archipels coralliens. À cause de l’érosion, la matière se transforme en sable qui s’accumule sur l’îlot central. Les archipels coralliens peuvent aussi se développer sur les plaques continentales plus proches de la surface que le plancher océanique.
- 3. Unité CNRS/UPMC.
- 4. Unité CNRS/EPHE/UPVD.
Coulisses
L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) estime à 1 750 le nombre d’îles en France. En effet, il y en a environ 1 500 îles nommées en métropole, dont celles situées en eau douce. En revanche, il n’y a pas de décompte des îles anonymes qui sont nombreuses. À cela s’ajoutent les îles des DOM (214) et de Mayotte (30).
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Auteur
Journaliste scientifique, Taïna Cluzeau écrit pour les magazines Ça m’intéresse et Science et Vie junior. Ses thèmes de prédilection sont l’astronomie, le développement durable et la sociologie.
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