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Pourquoi les oiseaux ne tombent pas en dormant

Pourquoi les oiseaux ne tombent pas en dormant

27.08.2024, par
Flamants roses © Yva Momatiuk & John Eastcott / Minden / Naturepl.fr via EB Photo
Groupe de flamants roses au repos, en Namibie.
Seuls bipèdes permanents du règne animal, avec les humains, les oiseaux possèdent un sens de l’équilibre hors du commun. Comment ces descendants directs des dinosaures maintiennent-ils cette stabilité, notamment pendant leur sommeil ? Des scientifiques ont récemment réussi à percer le mystère.

Une histoire à dormir debout ? C’est plus ou moins celle d’une publication récente d'une équipe de scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et du CNRS, qui explique dans les colonnes de la revue Journal of the Royal Society Interface1 comment les oiseaux réussissent à dormir et à se tenir debout sans perdre leur équilibre. Une prouesse dont on sait les chevaux ou les bovins capables car munis de quatre pattes, mais qui à première vue n’était pas si évidente chez les oiseaux. Alors d’où vient cette stabilité ? De la tenségrité, répondent d’une seule voix les scientifiques. Née de la contraction entre les mots « tension » et « intégrité », la tenségrité n’est autre que la propriété d’une structure à rester stable et équilibrée grâce à un subtil jeu entre tension et compression des éléments qui la constituent.

Un équilibre multiple

« Le point de départ de cette recherche a été de comprendre les mécanismes de l’évolution en passant par la morphologie fonctionnelle, qui est l’étude des relations entre la forme des organismes et leur fonctionnement, raconte Anick Abourachid, spécialiste de biologie évolutive et directrice-adjointe de l’unité Mécanismes adaptatifs et évolution2 au Muséum national d’histoire naturelle. On s’est notamment intéressé de très près aux pattes des oiseaux. » L’intérêt d’étudier les mécanismes d’évolution des pattes chez les volatiles repose sur le fait qu’ils constituent un groupe particulièrement homogène d’un point de vue de leur structure : « Ils sont tous des dinosaures bipèdes volants qui partagent depuis l’origine du groupe une structure construite pour l’aérodynamisme. Ils possèdent sans exception un tronc rigide, un train d’atterrissage et de décollage ainsi que des ailes », explique la chercheuse. Ce plan d’organisation extrêmement conservé est de surcroît efficace partout puisqu’on retrouve des oiseaux dans tous les milieux. « C’est cette polyvalence qui m’a toujours intéressée et intriguée à la fois, partage Anick Abourachid. Et c’est en discutant avec mes collègues Philippe Wenger et Christine Chevallereau que j’ai appris l’existence de la tenségrité, ces systèmes mécaniques uniquement maintenus par des tensions. » 

Troglodyte aux rayons X © Van’t Riet, Arie / Science Photo Library
L’observation aux rayons X d’un troglodyte perché sur une tige de fleur (fausses couleurs ajoutées) révèle la position « accroupie ».
Troglodyte aux rayons X © Van’t Riet, Arie / Science Photo Library
L’observation aux rayons X d’un troglodyte perché sur une tige de fleur (fausses couleurs ajoutées) révèle la position « accroupie ».

Il faut rappeler que les pattes des oiseaux sont particulières bien que proches, d’un point de vue structurel, des jambes des humains. « Les oiseaux sont des bipèdes fléchis, lorsqu’ils sont debout l’ensemble de leur corps est plié. Pour nous cela correspondrait à la posture accroupie sur la pointe de pieds », éclaire la chercheuse. Une posture qui, de prime abord, ne paraît pas très confortable. Pourtant, dans cette position, les oiseaux se détendent et peuvent même dormir debout. En somme, ils se reposent et par conséquent dépensent moins d’énergie. Pour comprendre comment les oiseaux gèrent cet équilibre, les scientifiques ont imaginé un modèle numérique, basé sur l’anatomie d’un petit oiseau, le Diamant mandarin (Taeniopygia guttata), une espèce appartenant à la famille des passereaux. « C’est en hypersimplifiant le système du corps, pour ne garder que ce qui concerne la posture debout, qu’on a trouvé de la stabilité posturale », révèle Anick Abourachid.

En effet, dans ce modèle, le corps et les os des pattes ont été remplacés par des barres, et les muscles et tendons par des câbles plus ou moins rigides. Les articulations entre chaque os des pattes ont quant à elles été remplacées par des poulies. « On a commencé les expériences en n’utilisant qu’un seul câble qui partait du bassin de l’“oiseau” jusqu’à ses pieds, passant par toutes les articulations (hanche, genou, cheville) et donc par toutes les poulies », explique la biologiste.
 

Chez les oiseaux, il y a un tendon qui passe à l’arrière du genou à travers une boucle ligamentaire de sorte à le maintenir dans son axe. Une particularité anatomique unique.

Résultat ? Les chercheurs ont bien réussi à reproduire la posture debout générique des oiseaux, en revanche ils n’étaient absolument pas stables alors que l’on s’étonne encore de les voir se poser sur des fils électriques ou des branches d’arbre sans jamais culbuter. « Notre oiseau modèle n’était en équilibre qu’en un seul point dans l’espace alors que naturellement, ils le sont dans une multitude de positions. On a donc amélioré leur stabilité en utilisant plusieurs câbles au lieu d’un seul. Notamment un qui passe à l’arrière du genou plutôt qu’à l’avant comme c’était le cas dans le modèle initial », livre Anick Abourachid.

Or, chez les oiseaux, il y a bel et bien un tendon qui passe à l’arrière du genou à travers une boucle ligamentaire de sorte à le maintenir dans son axe. Une particularité anatomique unique. Ainsi, avec quatre câbles, dont un passant à l’arrière du genou, le modèle est devenu stable, c’est-à-dire que même avec une petite perturbation le système était capable de revenir à l’équilibre seul, passivement, comme un culbuto.
 

© Abourachid A., Chevallereau C., Pelletan I., Wenger P. 2023, J. R. Soc. Interface 20 : 20230433 / dessin de Camille Degardin
A droite : schéma issu du modèle numérique qui montre la position exacte des câbles nécessaires à l'équilibre de l'oiseau. On remarque une correspondance entre le modèle et ce qu'on observe anatomiquement chez les oiseaux de même taille (A gauche). Notamment la boucle ligamentaire, à l'arrière du genou, essentielle au maintient du câble dans son axe.
© Abourachid A., Chevallereau C., Pelletan I., Wenger P. 2023, J. R. Soc. Interface 20 : 20230433 / dessin de Camille Degardin
A droite : schéma issu du modèle numérique qui montre la position exacte des câbles nécessaires à l'équilibre de l'oiseau. On remarque une correspondance entre le modèle et ce qu'on observe anatomiquement chez les oiseaux de même taille (A gauche). Notamment la boucle ligamentaire, à l'arrière du genou, essentielle au maintient du câble dans son axe.
 

Raideur et réactivité

De plus, les scientifiques ont compris que la qualité des câbles, et donc des tendons, dans les pattes d’oiseaux jouait un rôle prépondérant. « En effet, les oiseaux font partie des seuls animaux à posséder des tendons calcifiés quasi ossifiés, détaille Christine Chevallereau, directrice de recherche au Laboratoire des sciences du numérique à Nantes3 (LS2N). Dans notre modèle, on a compris qu’il fallait prendre en compte cette propriété pour obtenir un équilibre stable. L’oiseau a besoin de ces tendons raides car lorsqu’il se pose, il doit contrebalancer l’effet de la gravité pour ne pas basculer d’un côté ou de l’autre de la branche. Bien que cette faible élasticité semble ne pas jouer en faveur de la stabilité, il n’en est rien car elle permet d’amoindrir l’effet des perturbations auxquelles l’oiseau est soumis. Cela permet aussi une réponse beaucoup plus rapide du système car il aura moins tendance à se déformer avant de revenir à la position d’équilibre. » Qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il vente, les oiseaux, grâce à ce système de tenségrité, peuvent continuer de dormir sans crainte de tomber de leur perchoir.

« A priori, l’avantage que les oiseaux tirent de la tenségrité dans leurs pattes repose sur la nature passive du mécanisme. Par conséquent, rester debout pour un oiseau ne lui demande pas de réflexion ni de concentration. Tout tient à l’élasticité du système. C’est une forme d’intelligence incarnée où c’est uniquement le corps qui résout le problème sans l’intervention du cerveau, et donc sans utilisation d’énergie », partage Christine Chevallereau.
 

Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de Joseph H. Hirshhorn, 1974 / Collection Kröller-Müller Museum - Photos Onderwijsgek / Saku Takakusaki CC BY-SA 4.0 via Wikimedia commons
Application du principe de tenségrité par l’artiste Kenneth Snelson pour ses Needle towers en aluminium et acier inoxydable : à gauche et vue d’en bas, celle édifiée en 1968 dans les jardins du Hirshhorn Museum (Washington DC, États-Unis) ; à droite, la Needle tower II, assemblée en 1969 dans le jardin du musée Kröller-Müller (Otterlo, Pays-Bas).
Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, don de Joseph H. Hirshhorn, 1974 / Collection Kröller-Müller Museum - Photos Onderwijsgek / Saku Takakusaki CC BY-SA 4.0 via Wikimedia commons
Application du principe de tenségrité par l’artiste Kenneth Snelson pour ses Needle towers en aluminium et acier inoxydable : à gauche et vue d’en bas, celle édifiée en 1968 dans les jardins du Hirshhorn Museum (Washington DC, États-Unis) ; à droite, la Needle tower II, assemblée en 1969 dans le jardin du musée Kröller-Müller (Otterlo, Pays-Bas).

Le caractère passif du mécanisme est à la fois surprenant et synonyme de mise en application à fort impact. « Il faut garder en tête que ces mécanismes sont beaucoup utilisés en génie civil car ils permettent d’alléger une structure. L’idée, avec cette découverte, c’est de reprendre ces mécanismes en robotique pour alléger les masses en mouvement, moins consommer d’énergie, utiliser moins de matière pour les construire et diminuer le danger en cas de collision avec un opérateur », signale Philippe Wenger, directeur de recherche au LS2N. Ainsi, les ingénieurs imaginent déjà des robots bipèdes dotés de systèmes de tenségrité leur permettant de maintenir des postures debout, en équilibre sur des supports peu stables, pendant de longues périodes, sans dépenser la moindre énergie. ♦
 

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