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Quand la biologie parlait de races humaines
(Cet article a été publié dans CNRS Le journal, n° 263, décembre 2011)
« Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il n’y a pas de théorisation ni de hiérarchisation de ce qu’on entend aujourd’hui par raceFermerCatégorie de classement de l'espèce humaine selon des critères morphologiques ou culturels, sans aucune base scientifique et dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. En zoologie en revanche, il s'agit d'une population animale résultant, par sélection, de la subdivision d'une même espèce et possédant un certain nombre de caractères communs transmissibles d'une génération à la suivante (voir aussi le tableau en fin d'article). », explique l’historien Éric Deroo, chercheur associé au laboratoire Anthropologie bioculturelle1. En fait, le concept de races est alors lié aux classes sociales : on parle de la pureté du sang bleu de la noblesse qui risquerait d’être contaminé par celui de la vulgaire roture. « Surtout, l’Occident est dominé par une construction religieuse du monde », poursuit le chercheur. Et elle offre une simplicité biblique : tous les individus ont été créés par Dieu et ils disposent par conséquent d’une âme, quelle que soit leur couleur, qui n’est en rien liée à une éventuelle infériorité.
De la vision religieuse…
Bien sûr, l’épisode des Amérindiens découverts avec stupéfaction en 1492 sème le doute : puisque ces êtres étranges ne sont pas mentionnés dans La Cité de Dieu de saint Augustin, sont-ils vraiment humains ? Mais la vision monogéniste, qui considère une origine commune à tous les hommes, tous descendants d’Adam et Ève, tient bon la rampe et exclut tout concept racial biologique. Du côté des savants, on acquiesce religieusement, mais on brûle de comprendre pourquoi l’espèce humaine présente des teintes si variées.
« Au milieu du XVIIIe siècle, Buffon avance, pour sa part, le concept de dégénération selon laquelle l’homme, d’un blanc originel, prend différentes couleurs en fonction du climat sous lequel il habite. Mais cette thèse, certes dépréciative, est exempte de connotation raciale, car le processus est jugé réversible : selon lui, des hommes à la peau noire deviendraient blancs en climat tempéré, précise l’historien Claude Blanckaert. Tout cela vole en éclats quand, lors des grandes expéditions du Pacifique, on découvre de sensibles variations physiques chez les hommes qui habitent une même latitude. » Le climat ou le genre de vie n’explique donc pas tout.
… À la hiérarchisation
On passe alors à une conception qui dominera tout le XIXe siècle, le polygénisme, qui imagine plusieurs couples, et pas seulement Adam et Ève, à l’origine des hommes. « Dès lors, on peut concevoir l’existence de plusieurs humanités différentes », souligne Éric Deroo. La porte est donc ouverte pour que se mette lentement en place une hiérarchisation que l’on somme la biologie d’expliquer. « C’est le siècle de la mesure, rappelle Gilles Boëtsch, directeur du laboratoire Environnement, santé, sociétés2 du CNRS. Volumes des crânes, texture des cheveux, angle facial, tout y passe. Les typologies les plus folles se multiplient, avec parfois des centaines de critères. »
Cette obsession scientiste et rationaliste veut pallier le déclin de la vision religieuse et chrétienne du monde, sérieusement écornée depuis la Révolution française : après tout, le roi auquel on a coupé la tête n’était rien de moins que le représentant de Dieu sur Terre ! C’est dans ce contexte qu’émergent, au début du XIXe siècle, les prémices de la théorie de l’évolution, dans lesquelles l’Africain apparaît parfois comme le chaînon manquant idéal entre le primate et l’homme3.
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Sur le même sujet : « À l’époque des zoos humains »
- 1. Unité CNRS/Université de la Méditerranée/EFS.
- 2. Unité CNRS/Université Cheikh Anta Diop (Sénégal)/Université de Bamako (Mali)/Centre national de la recherche scientifique et technologique (Burkina Faso).
- 3. Charles Darwin n’en parle pas dans sa théorie (1859), mais l’idée est apparue avant, au début du XIXe siècle, chez d’autres auteurs comme Jean-Baptiste de Lamarck.
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Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...
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