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Quelle prévention contre le VIH ?
C’est un nouveau dispositif qui tient en quelques lettres – Prep, pour prophylaxie pré-exposition – mais qui pourrait bien révolutionner la prévention contre le VIH. « La Prep est un traitement préventif qui permet de protéger contre le VIH les personnes séronégatives, résume Bruno Spire, directeur de recherche à l’Inserm et président d’honneur de l’association Aides. Il s’adresse tout particulièrement aux personnes à risque fortement exposées au VIH. » Validée par les autorités mondiales de santé fin 2015, la Prep est déjà disponible aux États-Unis, en Belgique et en France. La prep devrait par ailleurs faire prochainement l’objet d’études de faisabilité dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Togo et Mali). « Il ne faut pas commettre la même erreur que pour la thérapie antirétrovirale, qui a mis plus de dix ans à atteindre le continent africain », alerte Bruno Spire. D’autant que le médicament utilisé – le Truvada, une bithérapie déjà prescrite avec d’autres antirétroviraux – existe déjà sous la forme générique.
Concrètement, la Prep s’administre de deux façons distinctes : soit en traitement continu, à raison d’un comprimé par jour, soit de façon ponctuelle avant et après une exposition prévisible au VIH. Avec une réduction de 44 à 86 % du risque de contamination (selon les études et les populations concernées), la Prep est le premier outil de prévention biomédicale qui s’adresse directement aux personnes non infectées. Il pourrait contribuer à enrayer la progression de l’épidémie dans les groupes où la prévalence du VIH est particulièrement forte. Soit, selon les régions du monde : les hommes homosexuels, les travailleurs/euses du sexe ou encore les usagers de drogue par injection.
« Sans les remplacer, la Prep vient compléter les outils de prévention déjà disponibles : les outils comportementaux, comme l’utilisation du préservatif, mais aussi la mise sous traitement immédiate des personnes dont on découvre la séropositivité, partie intégrante de la stratégie appelée TaspFermerTreatment as prevention, en anglais, ou prévention par le traitement », explique Florence Lot, médecin épidémiologue à l’agence nationale Santé publique France1.
Promue depuis plusieurs années sur le plan mondial, la stratégie Tasp considère la trithérapie en tant que telle comme un outil de prévention, puisqu’elle protège de l’infection les partenaires des personnes séropositives sous traitement : avec les traitements actuels, le VIH devient en effet indétectable dans le sang au bout de quelques mois à peine et le risque de transmission est réduit d’au moins 96 %. « Le Tasp est tout particulièrement indiqué dans le cas des personnes formant un couple stable, dont l’une est séropositive et l’autre séronégative », commente Nathalie Lydié, en charge de l’unité Santé sexuelle à Santé publique France.
1 million de décès en 2016 selon l'Onusida
Combiner préservatif, Prep et Tasp, c’est la stratégie dite de « prévention diversifiée » que promeut aujourd’hui l’Onusida à l’échelle de la planète. Car si le bilan s’améliore selon le dernier rapport que publie l'institution ce jour – le nombre de morts liées au sida a été divisé par deux en quinze ans et s’établissait en 2016 à 1 millions de décès -, l’épidémie de VIH est loin d’être vaincue. Aujourd’hui, 36,7 millions de personnes dans le monde sont séropositives ; parmi elles, 17 millions ignorent leur séropositivité et près de 22 millions ne bénéficient d’aucun traitement. « Ce sont ces personnes non diagnostiquées et non traitées qui constituent aujourd’hui le véritable réservoir de l’épidémie » souligne Bruno Spire.
Les situations varient néanmoins selon les régions. 2/3 des personnes séropositives se trouvent en Afrique sub-saharienne, avec un pic de prévalence en Afrique du sud où l’on estime le nombre de personnes séropositives à 20% de la population totale. Autre foyer particulièrement préoccupant : l’Asie centrale, avec une épidémie très importante chez les usagers de drogue par injection. « Les pays comme l’Azerbaïdjan notamment appliquent la « ligne Poutine », explique Bruno Spire. Ce qui veut dire, pas de distribution de matériel pour éviter les partages de seringues, pas de mise à disposition de produits de substitution (méthadone ou subutex), et pas de trithérapies pour ces personnes considérées dans leur pays comme de véritables criminels. »
En France, on estime à plus de 150 000 le nombre de personnes infectées par le VIH, dont 25 000 ignorent leur séropositivité. « Ce petit groupe de population non diagnostiquée serait à l’origine de la majorité des nouvelles contaminations », indique Nathalie Lydié. Si le nombre d’infections est en baisse constante depuis 2003, 6000 nouveaux cas sont encore découverts chaque année, principalement parmi les hommes homosexuels (43% des découvertes de séropositivité) et les personnes nées à l’étranger (38% des découvertes de séropositivité), dont les ¾ en Afrique sub-saharienne. A noter que tous les groupes connaissent une diminution, à l’exception des hommes homosexuels chez qui le nombre d’infections a continué d’augmenter depuis 2003. « La peur du sida dans les années noires avait diminué les rencontres sexuelles et mobilisé autour de l'utilisation du préservatif, explique Bruno Spire. Depuis les années 2000, il y a une reprise de l'activité sexuelle plus importante chez les gays, avec une multiplication du nombre de partenaires, ainsi qu’une érosion du taux d'utilisation du préservatif. Certains le déplorent, d'autres travaillent à faire connaître les autres stratégies de prévention plus acceptables comme le Tasp et la Prep. »
Améliorer dépistage et prise en charge
Dépister mieux et plus tôt, pour mettre rapidement les personnes séropositives sous traitement et limiter les nouvelles contaminations , c’est la stratégie poussée aujourd’hui par l’Onusida, qui a fixé l’objectif des « 3 X 90 » à l’horizon 2020 : 90% de personnes séropositives diagnostiquées, 90% des personnes diagnostiquées mises sous traitement, 90% des personnes sous traitement avec une charge virale contrôlée. « En France, c’est clairement sur l’étape du dépistage que nous devons faire porter nos efforts, puisque nous ne sommes aujourd’hui qu’à 84% de personnes diagnostiquées », indique Florence Lot. Le fait que la Prep doive être renouvelée par un médecin tous les trois mois (après test) devrait néanmoins permettre un meilleur suivi médical des populations à risque. L’arrivée fin 2015 des premiers autotests à utiliser chez soi – une simple goutte de sang prélevée au bout du doigt suffit - pourrait aussi permettre de faciliter les diagnostics, même si ces produits restent encore peu utilisés dans l’Hexagone : il s’en vendrait 2000 par semaine dans les pharmacies.
Mais généraliser le dépistage et la mise sous traitement ne dépend pas des seuls progrès médicaux. « L’accès aux traitements dans les pays du sud dépend essentiellement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et du Pepfar, le fonds contre le sida créé par le président des Etats-Unis au début des années 2000. Or ces fonds ont davantage tendance à réduire leurs subventions qu’à les augmenter, ce qui risque d’être un vrai frein à la généralisation des trithérapies », rappelle Bruno Spire. Surtout, pour que les personnes accèdent facilement aux tests et aux traitements, encore faut-il que la société dans laquelle elles évoluent ne portent pas de jugements moraux sur leur condition – ce qui est loin d’être le cas si l’on considère les pays où l’homosexualité ou l’usage de la drogue sont aujourd’hui encore criminalisés. Mais les clichés ont aussi la vie dure en Europe occidentale. Une étude de l’association Aides menée auprès de dentistes et de gynécologues et publiée par The Lancet en avril 2016 est à ce sujet édifiante : sollicités par téléphone pour un détartrage ou un frottis vaginal par des personnes séropositives, 30% des dentistes et 17% des gynécologues ont refusé de les recevoir.
À lire :
L’article Contre le VIH, la recherche sur tous les fronts
- 1. En 2016, l’Institut national de veille sanitaire (InVS), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) se sont regroupés dans cette nouvelle agence nationale de santé publique.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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