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La démesure de la précision
Il n’y a pas que la science qui soit affaire de mesures et d’exactitude. Sans que l’on s’en rende compte, surfer sur Internet ou déterminer sa position grâce à un GPS sont des opérations qui demandent des mesures de temps ou de distance d’une précision très élevée… et sans cesse croissante. À tel point que c’est une véritable course qui s’est engagée dans le monde, pour aboutir à des mesures toujours plus fines. Au cœur de cette course et objet de toutes les attentions des scientifiques et des industriels : le photon, sorte de petit corpuscule de lumière.
Dans l’histoire, les mesures de précision sur des ondes lumineuses ont souvent été associées à de grandes découvertes ou à des révolutions scientifiques. À la fin du XIXe siècle, l’expérience avec l’interféromètre Michelson a été déterminante pour l’émergence de la relativité restreinte. Plus près de nous, un interféromètre d’architecture similaire mais de dimensions géantes a permis la détection des ondes gravitationnelles. Ce type d’appareils aux architectures variées permet de mesurer très précisément diverses grandeurs physiques, comme la vitesse de rotation des fusées ou des avions, les déformations et les contraintes dans de grandes structures ou encore la valeur du champ de pesanteur terrestre, avec des applications en sismologie ou pour la recherche pétrolière.
Une seconde de décalage toutes les 15 milliards d’années
De toutes les mesures, celle du temps (et plus exactement la mesure d’une durée) a toujours été la plus précise. Et ce grâce aux nombreux apports de l’optique et de la photonique. Pendant des siècles, les horloges mécaniques ont pu être recalées grâce à l’observation de la lumière émise par les astres dans le ciel, permettant la détermination de l’orientation de la Terre et donc du temps astronomique. Depuis l’invention des horloges atomiquesFermerUne horloge atomique est une horloge dans laquelle la mesure du temps est basée sur la fréquence d’un oscillateur à quartz contrôlée par un phénomène de résonance atomique. C’est l’instrument de mesure du temps le plus précis. au milieu du XXe siècle, la précision de la mesure du temps s’est améliorée d’un ordre de grandeur tous les dix ans, atteignant aujourd’hui avec les horloges optiques des niveaux de précision de 18 chiffres après la virgule. Ce qui correspondrait à une dérive de seulement une seconde sur une durée équivalente à l’âge de l’Univers ! En cette période de Nobel, notons que cette progression des horloges atomiques a été permise par des méthodes photoniques innovantes dont la plupart ont été récompensées par des prix Nobel, souvent co‑décernés à des scientifiques français : Alfred Kastler en 1966 pour le pompage optique, Claude Cohen‑Tannoudji en 1997 pour le refroidissement et le piégeage des atomes par laser, Serge Haroche en 2012 pour le développement de processus quantiques de contrôle et de mesure de l’état d’un atome.
Des besoins toujours plus grands
Nul besoin d’attendre 15 milliards d’années pour exploiter pleinement la précision de ces horloges dans des expériences scientifiques ou dans des applications à fort enjeu socio-économique. Ainsi, les besoins de synchronisation des réseaux de télécommunications deviennent chaque jour plus contraignants avec l’augmentation du débit, le nombre d’objets connectés à synchroniser (20 milliards en 2020), la précision croissante exigée pour la synchronisation des systèmes de transactions bancaires à haute fréquence, des réseaux distribués d’énergie (smart grids) ou des nouvelles usines intelligentes exploitant la révolution numérique.
Mais l’application la plus connue à ce jour reste sans aucun doute les systèmes mondiaux de positionnement par satellites1 : ici, la position de l’utilisateur est calculée par triangulation à partir des distances entre ce récepteur et les satellites de la constellation qui émettent vers le sol des signaux synchronisés sur des horloges atomiques. Connaissant la vitesse de propagation de ces signaux, égale à la vitesse de la lumière, ces distances sont déduites des mesures des durées de propagation entre les satellites et le récepteur au sol. Cette application illustre à merveille l’importance de la précision de la mesure du temps : une erreur d’un milliardième de seconde conduit à une erreur de positionnement de 30 cm.
Ceci n’est pas gênant pour connaître la position d’une automobile mais n’est plus négligeable pour l’atterrissage des avions par exemple, ou en géophysique où la précision millimétrique est requise pour l’étude des mouvements des plaques tectoniques ou l’évolution du niveau des océans. Cette façon de mesurer une distance à partir d’une durée est très utilisée, dans les travaux publics mais aussi pour déterminer précisément – au centimètre près – la distance Terre-Lune par télémétrie laser. Une autre application plus terre à terre et moins agréable pour certains est le contrôle des vitesses des véhicules à l’aide de jumelles laser.
La mesure, un juge de paix pour la science
Les systèmes mondiaux de positionnement par satellites sont aussi une belle illustration que la théorie de la relativité d’Einstein n’est pas utile qu’aux scientifiques : les effets relativistes dus au mouvement des satellites (relativité restreinte) et à la gravitation terrestre (relativité générale) induiraient au bout d’un jour un décalage du temps des horloges correspondant à des erreurs de positionnement de plus de 10 km si ces effets n’étaient pas connus et corrigés ! Mais la théorie d’Einstein est elle-même mise sur la sellette par les théories contemporaines cherchant à unifier les théories de la physique quantique et de la gravitation. Encore une fois, ce sont des mesures de précision qui seront le juge de paix en cherchant à détecter une déviation à la théorie d’Einstein, par exemple avec des comparaisons d’horloges atomiques ultra stables fonctionnant dans les laboratoires et bientôt dans l’espace, comme l’horloge Pharao à atomes refroidis par laser, qui sera installée en 2018 sur la Station spatiale internationale.
Tous ces records de précision doivent beaucoup aux composants et systèmes photoniques qui eux aussi ont vu leurs caractéristiques s’améliorer au fur et à mesure de multiples innovations technologiques. Aujourd’hui, il est possible d’intégrer dans le volume d’une boîte à chaussures toutes les fonctions optiques qui occupaient une salle entière d’expérience il y a 20 ans : sources laser, moyens de contrôle efficaces des paramètres du faisceau laser, fibres optiques, etc. Mais la recherche de la précision ultime est une course de longue haleine qui est loin d’être terminée et exige encore beaucoup d’avancées scientifiques et technologiques. Le passé l’a montré, l’avenir le confirmera : les mesures de très haute précision conduisent indéniablement à des révolutions scientifiques et à des ruptures technologiques importantes pour notre société.
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. GPS (USA), GLONASS (Russie), Beidou (Chine), Galileo (Europe).
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Commentaires
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du journal CNRS
Si on peut mesurer le temps c
berlherm le 10 Novembre 2016 à 10h48