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Ondes gravitationnelles en vue ?
« La chasse aux ondes gravitationnelles est ouverte », lance Catherine Nary Man, de l’Observatoire de la Côte d’Azur. En septembre dernier, le projet Advanced Ligo, implanté aux États-Unis, a effectué ses premières mesures. Son homologue européen, Advanced Virgo, le rejoindra dans cette tâche au printemps prochain. Objectif : effectuer la première détection directe d’ondes gravitationnelles, des déformations de la structure de l’espace-temps dues à des corps massifs et qui se propagent dans l’Univers à la manière des ondes à la surface d’un étang.
Des ondes prédites par Einstein
Ce phénomène a été prédit par Albert Einstein peu après qu’il a formulé la théorie de la relativité générale. Celle-ci stipule que les objets courbent l’espace-temps selon leur masse. Un corps massif en rotation entraîne une propagation de cette courbure tout comme le jet d’un caillou dans un étang provoque la formation d’une onde qui s’étend peu à peu. « Dans un étang, l’amplitude et la fréquence de l’onde créée dépend de la taille du caillou, explique Pierre Binétruy, du laboratoire Astroparticule et cosmologie1, à Paris. De même, les caractéristiques des ondes gravitationnelles dépendent en partie de la masse des objets qui les provoquent. » Théoriquement, nous-même, lorsque nous nous mettons en mouvement, devrions générer des ondes gravitationnelles, mais d’une amplitude si ridicule qu’il est illusoire de la mesurer.
caractéristiques
des ondes
gravitationnelles
dépendent en
partie de la masse
des objets qui
les provoquent.
Pratiquement inobservables, ces phénomènes sont longtemps restés spéculatifs et ont fait l’objet de controverses. En fait, seuls les processus les plus violents de l’Univers sont susceptibles de générer des ondes gravitationnelles observables : des explosions de supernovæ, des systèmes binaires où deux astres compacts et massifs – étoiles à neutrons, trous noirs, etc. – tournent très rapidement l’un autour de l’autre, l’un finissant par s’effondrer sur son compagnon. Enfin, on pense que des ondes gravitationnelles primordiales auraient été émises pendant la phase d’expansion rapide de l’Univers, l’inflation, qui se serait déroulée juste après le Big Bang.
Une détection indirecte dès 1970
« La détection des ondes gravitationnelles est un défi difficile pour les scientifiques », précise Benoît Mours, du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules2. La fausse alerte de l’expérience BICEP 2 est là pour le rappeler. En 2014, les scientifiques de cette expérience basée au pôle Sud annoncent l’observation des ondes gravitationnelles primordiales. Cependant, ces mesures effectuées à partir du rayonnement fossile étaient en fait largement brouillées par le bruit causé par les poussières galactiques.
Néanmoins, les chercheurs restent quasi-certains de l’existence des ondes gravitationnelles. En effet, dans les années 1970, Russell Hulse et Joseph Taylor ont étudié un système binaire d’étoiles à neutrons dont l’une d’entre elle est un pulsar, c’est-à-dire qu’elle émet à intervalle régulier un faisceau d’ondes radio. Ils constatent que la fréquence de rotation de ce système double augmente, signe d’une perte d’énergie. « Leurs observations coïncident parfaitement avec les calculs théoriques réalisés à partir de l’hypothèse d’une perte d’énergie par rayonnement gravitationnel, commente Pierre Binétruy. Suffisamment pour que cela constitue une preuve. » Cette découverte a valu le prix Nobel de physique à Hulse et à Taylor en 1993.
Des instruments surpuissants
C’est à cette époque que la conception des détecteurs Virgo et Ligo a démarré pour observer plus directement les déformations de l’espace-temps causé par les ondes gravitationnelles. À l’échelle d’un mètre, cette déformation se traduit par une variation de distance d’un millième de milliardième de milliardième de mètre ! Virgo et Ligo sont de gigantesques interféromètres conçus pour mesurer ces écarts minuscules.
Le principe consiste à séparer un faisceau laser en deux parties dans deux directions perpendiculaires, les « bras » de l’interféromètre. Chaque moitié de faisceau parcourt un trajet de 3 kilomètres (ou 4 dans le cas de Ligo) avant d’être réfléchie par un miroir. Au retour, les faisceaux sont recombinés et forment une figure d’interférences dont le motif dépend de la longueur relative des bras. Ainsi, une onde gravitationnelle qui perturberait cette distance pourrait être détectée. « La difficulté est que le signal est tellement faible que tout peut le polluer », affirme Catherine Nary-Man. En particulier le bruit sismique, dû aux vibrations déclenchées par les tremblements de Terre mais aussi les phénomènes météo et les activités humaines.
est que le signal
est tellement
faible que tout
peut le polluer.
Après une première génération d’instruments, la sensibilité a été boostée dans les versions « advanced » de Virgo et Ligo. L’instrument européen, construit près de Pise en Italie, pourra ainsi « écouter » un volume d’Univers mille fois plus grand, ce qui augmentera le nombre d’ondes gravitationnelles observables. La coopération avec les deux instruments du projet américain permettra de localiser précisément une source dans l’espace.
Une fenêtre inédite sur l’Univers
Les deux motivations principales de cette traque aux ondes gravitationnelles résident d’abord dans la possibilité de tester la théorie de la relativité générale en « champ fort », c’est-à-dire avec des objets de masse extrême, ce qui est difficile à réaliser actuellement. Ensuite, il s’agit d’ouvrir une nouvelle fenêtre à l’observation du ciel, celle de l’astronomie gravitationnelle.
Cependant, toutes les ondes gravitationnelles, par exemple celles en provenance des systèmes de trous noirs supermassifs, ne seront pas observables par Virgo et Ligo. Leur signal, de fréquence inférieure au Hertz, sera noyé dans le bruit sismique. Pour pallier cet obstacle, un projet spatial est étudié : eLISA. Trois satellites formeront un interféromètre, identique sur le principe aux instruments terrestres, mais les « bras » pourront alors atteindre des millions de kilomètres afin d’améliorer la sensibilité de la détection. « Le plus dur est de s’assurer que les variations de distance que l’on mesurera seront dues à la gravitation et à aucune autre force, électrostatique par exemple », détaille Pierre Binétruy.
La solution trouvée par les scientifiques sera testée dès novembre prochain avec le satellite Lisa Pathfinder. Si le succès est au rendez-vous, la voie sera ouverte pour eLISA, qui ne sera pas lancée avant 2030. En patientant, les chercheurs sont optimistes et pensent que Virgo et Ligo détecteront leurs premières ondes gravitationnelles dans les années qui viennent.
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Auteur
Sylvain Guilbaud, né en 1986, est journaliste scientifique. Ingénieur de formation, il est diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille et anime le blog http://madosedescience.wordpress.com.